Le “marché de l’art”, cette invention-là a de quoi soulever le cœur d’une âme classique ou même romantique !
Jean-Philippe Domecq, spécialiste de Ruisdael par ailleurs, a souligné la bêtise de la critique d’art contemporain. Mais Domecq est un idéaliste. À le lire, en le simplifiant un peu peut-être, mais quand même, on peut croire que le résultat que nous avons sous les yeux, tout cet amoncellement de bluff, Anselm Kiefer & Cie, une conjuration de critiques, d’universitaires et de galeristes foireux en sont directement responsables. C'est trop leur faire d'honneur. Non, les causes de l'éclipse sont beaucoup plus profondes.
Ce que Domecq n’explique pas, c’est comment l’imbécillité et la malhonnêteté ont triomphé de la clairvoyance et de la franchise. Domecq n’insiste pas assez sur le cynisme qui se cache derrière le barnum de l’art contemporain. L'ignorance est secondaire. Des trissotins comme Catherine Millet, Jean Clair, Yves Michaud, Daniel Arasse, il y en a toujours eu, mais ils ne jouissaient pas d'une telle faveur jadis.
Pourquoi la production française d'art contemporain n'est-elle pas à la hauteur de celle de ses concurrents allemands ou yankis ? Je parle ici de "hauteur" en dollars, un critère sur lequel la critique d'art contemporain garde les yeux rivés.
Probablement, entre autre, parce que le centralisme français a un effet de corset qui ne favorise pas l’expression de personnalités artistiques dans une direction toujours plus inattendue ou saugrenue. Ou, autrement dit, en France on n’achète ou ne produit que ce qu’il est de bon ton de produire à tel ou tel moment. Paris donne le “la”, pour le meilleur comme pour le pire, actuellement. Et Paris ça veut dire une poignée de gugusses.
À un moment donné, par exemple, il n'y a pas si longtemps, il y a eu à l’école des Beaux-Arts de Paris, le chef-lieu de l’académisme depuis David, une interdiction faite aux peintres qui y avaient échoué de… peindre. On n'imagine pas une telle directive aux États-Unis, au contraire, où le sens du commerce domine et où un minimum d’intelligence des affaires incline à penser que la future mode ne ressemblera pas à la mode actuelle.
Pourquoi l’art français est à la remorque, c’est parce que les artistes français prennent plus au sérieux l’art contemporain que les Yankis eux-mêmes ; ils cherchent à imiter une pratique dont une des caractéristiques est, précisément, d’être inimitable.
Duchamp lui-même, ce pauvre philosophe dont la punition est d’être attaché “ad vitam aeternam” au concept d’urinoir, Duchamp lui-même était abasourdi de voir des imitateurs débarquer dans son usine à gaz pour lui soumettre de nouvelles versions de son "innovation".
Si Sarkozy, comme il en a exprimé le vœu récemment, veut faire repasser en tête l’art contemporain français dans la compétition, il n’ a pas beaucoup d’autre choix que de parfaire l’américanisation de la société française.
Ce qui serait dommage, c’est qu’une fois cette tâche accomplie, dans le sens de l’Évolution et du Progrès, ça soit le goût russe qui s’impose au monde (le goût chinois, il n’y a guère de risque, vu que le capitalisme ajouté au communisme en Chine devrait pour longtemps couper les Chinois de toute vie artistique.)
(PS : Je me réjouis que mon pote H. ait enfin ouvert son blogue ! [http://happeur.hautetfort.com]. On ne sera pas trop de deux pour défendre l’art créationniste occidental et provoquer un krach de l'art bidon de Pinault & Arnault.)
Commentaires
Mon pauvre Lapinos nous sommes tous des rats et les lapins et les rats ne sont pas faits pour s'entendre même dans une galerie d'art.
Il a l'air gentil ton copain le Happeur, j'espère qu'il est moins hétéro que toi car j'ai l'intention de lui rendre souvent visite.
bon, désolée, Lapinos mais j'ai pas eu le courage de lire votre post jusqu'au bout (il est tard) mais puisque vous parlez d'art, connaissez vous A.Noetinger?
Je vous ai aidé à trouver le sommeil, au moins, Mme ? (connais pas Noetinger)
(Je me demande si les artistes sont vraiment aussi déterminés sexuellement que le commun des mortels, Driout.)
Künstlerübermensch ? Encore un truc d'allemand ... méfie-toi Lapinos où tu finiras en Forêt Noire à te nourrir de raves, de navets et de radis comme un célèbre philosophe ...
C'est très beau, la Forêt-Noire.
Quant aux navets, il suffit de passer le Rhin pour les déguster sous forme de "Süri Rüwa" (pour les handicapés linguistiques, on les trouve dans certains livres de cuisine sous le nom de "potée colmarienne" ou "navets salés"). Ils s'emploient exactement comme le chou à choucroute, mais sont bien plus goûteux et fondants que ce déjà excellent légume. Une pure merveille, hélas difficile à trouver.
Lapin je vous réponds ici car je me suis éclipsée et vous ne devez pas être spéléologue ? Merci pour votre citation d'Arasse, elle est complètement niaise je vous le concède mais pas du tout embrouillée.
Qu'entendez-vous par goût russe ? malgré la note sur les navets de denis je suppose que cela n'a rien à voir avec les cornichons ou le thé ?
Je vous assure que j'ai connu des gonzesses plus coriaces encore que vous, Nadine. La prochaine fois, vous aurez votre citation "explicitement amphigourique" d'Arasse, dont les angles sont rien moins qu'obtus. Mais après ça, ne me demandez plus rien.
Le goût russe est un peu différent du goût yanki. Les milliardaires du gaz et du pétrole russes ont un penchant marqué pour le style néo-néo-classique, les trucs qui font très "nouveaux riches", ils ont moins d'a priori que le gratin new-yorkais contre les machins figuratifs genre : "Portrait de Viktor Klapotoff en magnat du brut entouré de son harem de vierges nues". Ou alors les trucs très contrastés, qui évoquent des massacres ou des menstrues. Et comme ils sont assez nationalistes, ils préfèrent les artistes russes. Basquiat, Rothko, c'est pas trop leur camelote, si vous voyez ce que je veux dire.
Le mauvais goût et l'ignorance ne sont pas complètement uniformisés au niveau mondial, il y a des nuances.