À la télé, l’historien Michel Winock avance timidement que le pouvoir des médias dépasse désormais celui des hommes politiques ; vu l’irresponsabilité des médias, ça lui semble inquiétant. Ce danger, Simone Weil le pointait déjà sans aucune timidité il y a plus de soixante-dix ans !
La démocratie, au plan de la pensée, apparaît comme une sorte d’âge glaciaire. Régis Debray accuse soixante-dix ans de retard ; ce n’est qu’au plan de la syntaxe, complètement décadente, qu’il a dix ans d’avance.
Même pour défendre l’égotisme bourgeois, il n’y a plus de philosophe du niveau de Sartre.
La critique de la télé à la télé est forcément timide, quand la télé ne suscite pas carrément des guignols, de Gaccio à Jean-François Kahn en passant par Karl Zéro-talent, pour agiter des chiffons rouges : le fachisme, l’islam, la scientologie, l’antisémitisme, le réchauffement, etc., et faire diversion.
En l’occurrence c’est F.-O. Giesbert, mi-homme de Cromagnon, mi-brute yankie, qui réplique à Winock que rien n’a vraiment changé sous le soleil depuis les démagogues de la Grèce antique.
Winock disposait pourtant d’un bon exemple tout frais, celui de la guerre en Irak, déclenchée par les médias yankis d’abord, qui ont forcé la main de l’administration Bush, débordée par l'"enthousiasme populaire".
Non contents d’avoir semé la zizanie en Irak, les démocrates voudraient voir maintenant l’anarchie régner en Birmanie. La dictature chinoise est beaucoup plus supportable : les Chinois sont de futurs clients - en Birmanie, il n'y a que des bonzes et des soldats.
Plus divertissant que le directeur du Point sur un plateau de télé, son chroniqueur Patrick Besson qui tente désespérément de “se faire adapter au cinéma” et pond ainsi des romans de plus en plus plats. On devine que Besson ne sera pas parfaitement heureux tant qu’il n’aura pas atteint le niveau de Marc Lévy.
D’après Patrick Besson, on a tort d’être aussi sévère avec la littérature française, qui a de beaux restes. Qui a lu les sept cents romans de la rentrée et peut prétendre qu’ils sont unanimement mauvais ?
Jusque-là l’argumentation de Besson est assez habile, même s’il doit être le dernier à mettre le nez dans cette surproduction de navets nouveaux.
Mais après Besson dérape ; les Serbes sont souvent comme ça, d’un culot épatant dans un premier temps ; après, ils finissent par prendre leurs propres coups de bluff pour la réalité.
Lui-même, dit Besson, est parfaitement capable de citer sur-le-champ une bonne vingtaine de noms d’écrivains contemporains compétents ! Une vingtaine ! Bigre, je sens qu’on va rire… Le chiffre est vite ramené à trois. Parmi les trois, Besson cite Frédéric Beigbeder. Ça aurait pu être pire, vu que Beigbeder a beaucoup lu et beaucoup pompé sur les “anciens”, mais quand même, le coup est un peu gros (sauf pour un plateau de télé).
Laissons de côté les petits romans publicitaires de Beigbeder, qui n’ont aucune espèce d'intérêt. Lorsque Beigbeder est à son meilleur niveau, c’est-à-dire lorsqu’il se raconte, il est incapable de couper, sur trois pages, les deux qui sont ratées. C’est pourtant le b.-a.-ba du métier, et Besson le sait bien. Même si Céline n’est pas parfait, il y a dans Mort à crédit trente à quarante pages de trop, Céline a conscience de son métier et de ses propres limites, contrairement à Beigbeder. Il y a cinquante ans, on pouvait au moins dénombrer encore une petite dizaine d’écrivains et une petite dizaine d’éditeurs qui dominaient leur art.
Plutôt que de continuer à entendre ce genre de grossièretés, je me demande parfois si je ne ferais pas mieux de demander l'asile politique à la junte birmane.
Commentaires
Vous nous donneriez une liste de ces deux petites dizaines, cher ? Voyons si vous n'êtes pas un peu serbe !
"les sept-cent" ??
Les sept cents.
;-)
Eh oui, Besson baisse...
- On va dire que les gaullistes défendent l'orthographe et le calcul mental, Ricci, et que les pétainistes défendent la syntaxe et l'histoire.
- Je suis complètement aserbe, Nadine, je vous garantis ; je n'éprouve que la fascination du lapin vis-à-vis de ce genre d'animal ondulant.
Une liste ? Je manque un peu d'expérience pour ce genre de chose mais je veux bien essayer en partant de celle de Drieu. Cet aimable homme retient, si je me souviens bien, dans les six premiers son ami Malraux, Bernanos, Breton, Aragon, Giono et Jouhandeau, avec un "accessit" pour Mauriac, Céline et Claudel.
Pas mal pour un contemporain ! On se souvient que même Sainte-Beuve, le roi de la critique, a commis quelques erreurs. La plus flagrante de Drieu, c'est Breton. "Nadja", c'est assommant, et le surréalisme officiel en général. Selon moi, Drieu surestime Malraux pour des raisons sentimentales et l'œuvre de Montherlant n'a pas très bien vieilli.
Aragon, Giono et Jouhandeau, je ne les connais pas assez bien, mais ils me paraissent inférieurs à Céline et Mauriac. Son image de démocrate-chrétien gaulliste pontifiant nuit à ce dernier, mais sa littérature est bien plus dense que ses idées politiques bébêtes.
Je vois dans la haine de l'Éducation nationale vis-à-vis de Céline une confirmation de son talent et la certitude que ses chef-d'œuvres sont impérissables.
Claudel, en tant que penseur créationniste majeur, envoyant dinguer Nitche, Bergson ou Darwin d'une chiquenaude de poète-paysan, je suis obligé de le retenir, Nadine, bien que les noms de ses héroïnes me hérissent le poil.
Bernanos ? Deux gaullistes, ça ferait un peu trop, même si Bernanos n'était pas très bien informé.
Donc Céline et Mauriac, auxquels j'ajoute Chardonne. Trois, c'est déjà énorme.
Quoi que Besson dise, je ne vois pas un amateur contemporain qui arrive à la cheville de ces trois artisans-là.
J'adooore les articles de guerre de Bernanos, c'est mon livre de sac à main en ce moment (pour lire dans la queue à la poste, etc). Mais je conçois que ce ne soit pas à votre goût. Toutefois je ne disqualifierais pas l'auteur du Journal... pour autant (ce serait mesquin). Certains romans resteront, vous ne croyez pas ? (on en parlait encore avec le Uhlan il y a quelques jours)
Si un jour le créateur farceur vous donne des filles, vous ne les appellerez pas Mara, Prouhèze et Ysé ? Claudel, inventeur des prénoms bobo, le pauvre. "A mi-chemin de la prothèse au prout, l'onomastique claudélienne a Prouhèze..."
La même année, l'Education Nationale m'a fait avaler Nadja, les Gommes et les Justes. Qui dit mieux ? En revanche les trois années qui ont suivi, j'ai eu du Barbey, comme quoi l'Education nationale c'est un peu comme la Samaritaine...
Vous savez ce qu'on dit des femmes, Nadine, entre misogynes, qu'elles sont fidèles… jusqu'à ce qu'elles trouvent mieux. Eh bien moi j'applique cette règle à la littérature. Lorsque j'ai découvert Chardonne, j'ai abandonné Proust ; lorsque j'ai découvert Bloy, j'ai abandonné Bernanos, qui, comme imprécateur, est un peu mou à côté. Je reconnais qu'il y a de bonnes formules chez Bernanos dont Beigbeder et Besson, ces deux dilettantes qui se prennent au sérieux, feraient bien de s'inspirer, mais ça manque un peu de tranchant et de recul. À tout prendre, un essai de Simone Weil m'excite plus. Aimer les grands fauves enragés n'empêche pas de goûter aussi les jeunes vierges effarouchées.
Comme romancier, Bernanos est meilleur que Bloy, mais je n'ai pas trouvé dans le Bernanos que j'ai lu la noirceur qu'il y a chez Mauriac, doublée parfois d'un effet comique, comme dans "Le Sagouin", court mais grand roman de l'oppression de l'homme par la femme, tout à fait actuel.
On court moins de risques de se tromper avec trois plutôt que dix ! (Sentence dédiée à votre gendarme-philosophe.)
A part ça si vous étiez à ma portée, vous passeriez un sale quart d'heure ! Je vous ferais ravaler votre calomnie sur Claudel. Violaine n'est pas un prénom particulièrement porté chez les bobos, pas plus qu'Ysé. J'ai trois exemples en tête en dehors du milieu et de l'idéologie bobo.
Je sais bien que Céline raille Claudel comme Bloy raillait Huysmans, mais Céline est-il aussi évolutionniste et moderniste qu'on le dit ? Il est beaucoup plus ambigü que ça.