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Camera obscura

Enfant, je n'éprouvais pas le même malaise qu'aujourd'hui au cinéma : un sentiment de mort insidieux, comme si le temps était arrêté et l'espace, contenu. La présence à l'écran d'une jolie putain à poil n'y peut mais.

Cela dit depuis la cour de récréation je fuis le type assez commun qui insiste pour raconter au premier venu sa dernière expérience cinématographique et se montre incapable de résumer l'intrigue ; le type même du mythomane.

Il y a des énergumènes qui pensent que le cinéma est l'art du XXe siècle ; et du XXIe siècle, sur la lancée. Et même des philosophes chrétiens, il est vrai peu qualifiés, qui prêchent que le cinoche est le meilleur moyen d'évangéliser le monde ! Sans blague. Comme si la salle obscure n'était pas une métaphore de la caverne de Platon. Je précise, pour les "cinéphiles" : la métaphore n'est pas dans le cinéma mais l'englobe. Ça serait pécher contre la science que d'affirmer que le cinéma est vierge de toute métaphore, alors disons plutôt que le "Septième Art", comme tous les systèmes puritains, est iconoclaste, imperméable à l'imagination. Je vois sortir des salles obscures des têtes de zombis. Ils secouent leur hébétude sur le pas, avant de réintégrer l'espace-temps avec un soupir, persuadés que la fiction dépasse la réalité.



*

Si je n'ai pas vu le film Matrix, j'ai quand même entendu parler de son argument. Je crois qu'il y a des Russes derrière cette idée de monde dédoublé. Or, depuis que je suis doté d'une cervelle marxiste, c'est comme si j'étais passé complètement de l'"autre côté". Lorsque je cause avec un esprit "kantien", une paroi de verre blindé se forme entre nous. Je m'agite, je déploie des efforts insensés pour trouver la faille et faire sauter le vitrage, et le mec en face me regarde, un peu interloqué. C'est plus facile d'organiser une évasion d'un quartier de haute sécurité ; au moins les gars à l'intérieur ne vous mettent pas des bâtons dans les roues.
Dans un cocktail mondain où je reprenais des forces, me nourrissant sur la bête, un architecte de profession me toise et me confie en sourdine : « Qu'est-ce qu'un arbre, mon lapin ? Si ce n'est… du… langage ! » Je m'appuie au platane pour y noyer mon chagrin de tous ces mal-logés, dans le vin.

Commentaires

  • Il y a un paradoxe. Autant vous défendez la métaphore et l'imagination, autant vous critiquez les abstractions. Mais l'imagination, la métaphore, ce ne sont pas des machines à produire des abstractions?

  • Moi, je suis d'accords avec le Lapinos : Le cinoche comme l'architecture ça doit montrer et non pas démontrer.
    Bref, il y a l'image et il y a l'imagination qui sont des deux côtés de l'écran en fait (comme dans un miroir, mais en plus compliqué et moins physique)
    Savoir si c'est un art ou pas : Je m'en balance.
    Sinon Matrix, c'est pas mal des fois, mais ça fatigue assez vite, à la longue.
    Je vous conseille la série Harry Potter aussi ou la guerre des étoiles. Ça c'est du cinoche !
    Je vous taquine, mais je suis sérieux en fait.
    J'aime bien ce billet.

  • Un paradoxe ? Quelle horreur ! (le paradoxe est la mystique du crétin ou du voleur).
    Il y a deux types de métaphore et d'abstraction, Spendius, d'où votre question.

    L'abstraction marxiste et l'abstraction kantienne sont très différentes, et cette dernière n'en est pas une. Ce n'est pas un hasard si ont est obligé de passer par un discours kantien pour méduser le gogo et transformer une industrie en art.

    Un exemple : la géométrie, pour les Grecs, est "métaphorique" au sens authentique. Notez qu'elle est pour eux une forme imparfaite.
    Un architecte du "Brave new world" comme Jean Nouvel, au contraire, prend la géométrie des Grecs pour une forme parfaite. Son architecture, sur cette base totalitaire, est presque entièrement dépourvue de dessein et d'imagination.

  • Songer que les toiles de Lovis Corinth seront décrochées après-demain et que vous n'avez peut-être pas vu au musée d'Orsay ce frère de Balzac ! Lovis Corinth ne peint pas des natures, il est une "nature" à l'oeuvre en peinture. Il s'occupe moins de sexualité que la sexualité ne s'occupe de lui, — le fait puissamment irradier. Et l'on sort chaviré par tant d'énergie, se redisant ce que l'on sait mais qui vient de vous crever violemment les yeux, à savoir : la puissance de l'artiste est décidément proportionnelle à sa pulsion sexuelle.

  • D'accord lapin. Je me disais bien que vous pensiez comme cela, je vous taquinais pour que vous le précisiez.

    On en revient à votre phrase: "Le cinéma est un théâtre glacé."

  • Le désir de peindre est un désir de procréer. Encore faut-il distinguer la peinture réelle de la peinture virtuelle et le sexe réel du sexe virtuel sado-masochiste.

    Laissons les musées à Proust ou aux Saoudiens pour chercher plutôt des muses en Russie. Même si Picasso n'a pas eu les couilles de chouraver la Joconde, pour un communiste l'art n'a rien à faire dans la naphtaline d'un musée.

  • Votre histoire de théâtre, Spendius, me fait penser à ce cinématheux de Lars von Trier, coqueluche des festivaliers en (no)-smoking, qui fait du théâtre filmé cadastral. On repère tout de suite la cervelle kantienne qui confond l'espace-temps avec son petit repaire orthonormé. On peut se perdre dans son propre reflet.

  • Je cite : "Le désir de peindre est un désir de procréer"
    Non Lapinos, ça c'est de la foutaise à deux balles freudiennes.
    Je suis à demi d'accords avec vous pour les musées : Ils n'ont désormais qu'une fonction patrimoniale (indispensable par ces temps de casseurs qui courent et qui accourront de plus en plus) mais leur fonction sociale (pour ne pas dire culturelle) m'a toujours fait rigoler !
    Quant à l'art, j'en cherche encore la définition, comme le mot "culture" aussi. Nous sommes tous des bacheliers frustrés !

  • Freud, comme Nitche, est à peu près impuissant, je ne vois pas ce que sa morale de bourgeois sado-masochiste vient foutre ici ?
    Pour un marxiste l'art et la science c'est la même chose.

    Vous m'avez dit que vous aviez été boy-scout, non, Lothar ? Il me semble qu'il y a dans la méthode boy-scout un pont vers le marxisme, un principe de réalité. La vie fruste des boy-scouts ne les tire-t-elle pas hors des fictions laïques ?

  • Non seulement je suis toujours scout Lapinos, mais j'ai eu les couilles, le désir et le plaisir finalement d'avoir bien d'autres "fonctions" ou "expériences".
    Je fus un temps templier savez-vous ? Non, non, ne rigolez pas car ce n'est vraiment plus sérieux !
    Je fus surtout enfant de choeur : Vous savez, c'est cette oie blanche de la première aube qui secoue une cloche à l'eucharistie.
    Ce petit con rigolard qui fait baisser les têtes de tant de grandes personnes si adultes, si cardinales et si sérieuses et d'autres cloches en branlant un outil sacré à deux balles.
    Grand est le pouvoir des esclaves et des serviteurs Lapinos !

  • Que d'a priori ! Quel esprit de système ! Vous sentez la naphtaline.
    Mais bon, muse/musée, quand on a la mite à l'oeil...

  • Je vous citais, lapin!

  • Croyez-moi, Lothar, les libéraux et leurs valets démocrates-chrétiens en aubes folkloriques sont des adversaires autrement sournois que les Maures ! Leurs cimeterres sont si recourbés que les coups qu'ils portent finissent par les transpercer eux-mêmes.

    Et Marx n'est autre qu'un chevalier de l'Ordre teutonique pourfendant la superstition laïque.

    (Je ne nie pas que Corinth soit à sa place dans un musée. Mais Balzac n'a rien à faire dans la collection de fétiches de Proust.)

  • Vous allez interdire à Proust d'aimer Balzac? La vie est compliquée, Lapin, Proust aime Balzac et Baudelaire, que voulez-vous...elle est comme mon cul, la vie, je sais toujours pas ce qui s'y passe.

    C'était pas un saint, Marx?

  • À moins d'être le contemporain et même de fréquenter l'atelier de Lovis Corinth, difficile de découvrir des oeuvres telles que le "Grand martyre", l'"Ecce homo", etc, autrement qu'au musée ! Et se priver de prendre en plein coeur une oeuvre aussi singulière, irrespectueuse, puissante, tellurique (si on peut dire), droite et percutante, (aussi peu virtuelle), la négation de la frime (et de l'univers proustien), — la justification, en quelque sorte, de ce que vous semblez défendre, au motif que les musées sentent la naphtaline, est décevant.

  • Spendius, si Proust avait les mêmes fétiches que Sollers, je n'en parlerais pas autant, je le laisserais dans son embaumement.

  • Dans votre système, Claire, qui occulte tout "a priori", je crois deviner que la littérature et la peinture évoluent (ou n'évoluent pas) de concert.
    Quant à moi, je crois que si Céline a pu, jusque dans les années 30, après Baudelaire, briser l'académisme et faire entrer un peu d'air dans la littérature en train de crever sous les adverbes d'Anatole ou de Marcel, pour la peinture, si solide et si fragile en même temps, ça s'est joué beaucoup plus tôt. Déjà Ingres et Delacroix sont aux prises avec les muséographes bien-pensants, les esthéticiens à double-foyer, les agioteurs. Un écrivain peut se faire franc-tireur. Un peintre, seul, n'est rien.

  • Delacroix aux prises... Certes. Mais comment avez-vous découvert Delacroix ?
    Brisons-là sur ce sujet après avoir cité L. Corinth (frère de Baudelaire et de Delacroix), qui, sachant qu'un peintre seul n'est rien en effet, s'est servi de la Sécession comme rampe de lancement : "La peinture est pure expression sensuelle. Je dirais que l'érotisme sera ce qu'il y a de plus spirituel et de plus difficile à rendre comparé à la pure notion picturale."
    Allons, retour sans oeillères à Marx.

  • J'ai découvert Delacroix "via" Baudelaire. Et puis je l'ai approfondi en lisant son journal, etc.
    Vous vous doutez que je suis beaucoup plus proche de l'érotisme de Ingres, de Géricault ou de la Renaissance, que des reflets verts et des ombres violettes de Delacroix. Mais Delacroix est encore d'une époque où les peintres étaient encore des artisans.

    Même si votre Corinth est un peu confus, j'admets que ses propos sentent la grappe. Si on va par là, Maurice Denis lui-même et son "manifeste artisanal" a des côtés marxistes.

    Mais comme je suis terre-à-terre je juge les peintres à leurs peintures et les scientifiques à leurs théories scientifiques. En-dessous de 300x300cm, je trouve la peinture à l'huile étriquée.

  • Cher Lapinos,

    Je crains que vous ne confondiez l'Art et la sociologie. Les groupes passionnés qui sortent du Grand-Palais, après avoir vu leur expo obligatoire, ont aussi des têtes de zombies, comme les ravis qui se délectent dans tous les TGV de France du dernier Gavalda.
    Et en tant que marxiste, que pensez-vous des films d'Eisenstein, ce pur produit, génial et équivoque, de la révolution d'Octobre ?

  • C'est aussi parce que les cinéphiles fréquentent les collections publiques de peinture que je m'en tiens éloigné, Maubreuil.

    Vous êtes en train de démontrer qu'il n'y a pas de métaphore dans la littérature parce que Mlle Gavalda ne crée pas de forme. Vous ne seriez pas chercheur au CNRS, par hasard ?
    Moi je vous dis que le cinéma emprunte ses métaphores à la littérature, à la danse ou au théâtre, et qu'il les dilue. (Encore faut-il pour ça comme sous-entend Godard que la métaphore littéraire soit déjà un peu diluée à la base.)

    En dehors de ça, le cinéma n'est qu'illusion ; illusion du mouvement, ça c'est facile à comprendre, même pour un chercheur à l'EHESS ; illusion aussi de la vie, calculée géométriquement par l'onde lumineuse. Les cinéphiles sont des sauvages qui se prosternent devant la Fée électricté.

    Je suis juste curieux de savoir si vous êtes un pur kantien. Dans la logique kantienne, la forme géométrique est une forme supérieure à la métaphore. Thalès ou Euclide dépassent Homère.

    Donc pour un kantien pur la "forme" cinématographique dépasse la forme picturale (j'ajoute qu'un kantien pur se moque des évidences pour conclure dans l'absolu). Est-ce votre cas ? Avez-vous déjà éprouvé l'envie de filmer des espaces interstitiels, par exemple ?

  • Je ne crois pas être kantien, les dieux m'en préservent...

    Le cinéma n'est qu'illusion, d'accord, mais que fait-on face à elle, on se laisse envoûter ou bien on tente de la percer à jour ? C'est l'Art tout entier, toute poésie, qui vient nous demander de nous prosterner si on n'y prend pas garde. Pour résister il faut une distance. Etant le plus puissant des arts de l'illusion, le cinéma est peut-être alors le garant, si l'on en sort, d'un plus grand détachement ?
    Bob, je file, mon cours au CNRS commence.

  • Pour un communiste, l'art est science, ou charité. Seul les fétiches bourgeois invitent à se prosterner.

  • Lapinos : Je vous invite fermement à développer votre dernier commentaire par un note longue comme un film qui veut penser car j'ai l'impression que vous vous êtes pris dans votre propre collet !

  • L'art n'est pas charité, Lapin, c'est la charité qui est de l'art. Relisez Baudelaire.

  • Ça commence mon Lapin, je vous avais prévenu hein !
    @ Spendius : La charité est un art quand ce n'est pas un bas art (ou pire, un bazar comme disait Bloy)

  • Or, je vous le dis en vérité, si vous n'avez pas la charité... même envers les bourgeois, les communistes, les cathos, les protestos, les musulmos, les intégros, les marxos, etc, qui se prosternent tous devant des fétiches bien à eux... Clac, la porte du Royaume ! Plouf dans les infernaux paluds !

  • La seule charité pratiquable avec les bobos, c'est de leur botter le cul. Un peu comme les électrochocs pour les schizophrènes (un bobo est, par définition, schizophrène) : on ne sait pas comment, mais c'est le seul truc qui marche.

  • (Baudelaire comme Hegel, Spendius, est un romantique qui aspire au classicisme. D'où certaines contradictions dans sa critique d'art. Les mêmes que Hegel. Baudelaire est un national-socialiste "à la française", d'une certaine façon.

    Quel penseur laïc aujourd'hui peut se prévaloir d'une philosophie de l'art qui arrive à la cheville de Hegel ou Baudelaire ? Il n'y a plus que des petits néo-nazis brouillons qui lèchent les bottes de Pinault et Arnault.)

  • Putain, Baudelaire un nazi! Merde lapin, vous êtes vraiment le seul blog au monde ou tout le monde fusille joyeusement tout le monde!

  • Mais c'est une évidence Spendius qu'il y a dans le national-socialisme une volonté de bâtir un libéralisme, un capitalisme "à visage humain" et que contrairement à Guizot, Sarkozy ou les Yankis, il n'y a pas que l'argent, l'enrichissement, le pouvoir d'achat qui compte. Le mépris des commerçants, de l'art décadent, ou de la démocratie, vous le retrouvez chez Baudelaire. La critique d'art nazie comme la critique d'art contemporain pillent Hegel ou Baudelaire ; elle ne fait pour cette dernière que recopier Baudelaire maladroitement.

    Vous savez l'attachement des communistes à l'Histoire et à la science. Cet attachement impose de rendre justice et d'établir des hiérarchies entre les régimes.
    Vous-même êtes bien conscient que dans le registre du gadget industriel, militaire, chimique, automobile, les nazis ont tout appris aux libéraux d'aujourd'hui. Même sur le terrain de l'évolution, les nazis sont moins coupables de gober Darwin que nos "experts" généticiens. Les faits qui infirment Darwin désormais n'étaient pas encore établis. L'antiracisme est plus bête encore que le racisme.
    Ou Nitche est moins crétin qu'Onfray ou Sollers, pour vous faire plaisir.

    Ah, oui, j'oubliais, on peut même penser que le pétrole qui a fait perdre la tête à Hitler et l'a entraîné à rompre le pacte germano-soviétique, c'est ce même pétrole qui perdra les Yankis.

  • Vive l'art soviétique ! Et puis tiens, vive aussi Arno Breker !

  • Où l'haut art déniche-t-il ses critères pour distinguer le bas art de l'autre ?
    Les bobos méritent un coup de pied au cul, d'accord ; vous, m'est avis que vous avez à la sortie du terrier ou de la messe déjà pris sur la tête le marteau qui fendit la mienne !

  • Si les nazis sont meilleurs que les capitalistes, qu'est-ce qui est meilleur que les nazis?

    (C'est dingue, dehors tout le monde déteste le nazisme, dans le terrier du lapin on essaie vainement de trouver mieux!)

  • Les collabos, voyons ! (ceux qui n'avaient pas de bottes, pas de cul à botter)

  • Un petit poème pour notre Lapin :
    Sein Sie weiser mein Schmerz und hält toi ruhiger.
    Du fordertest den Abend, steigt er herab, hier
    Ein athmospère dunkles wickelt die Stadt ein
    An einen, die den Frieden an die anderen die Sorge tragen.

    Karl-Adolf von Baudle-Herr (1900-1945)

  • Et Lénine, il est pas là ? C'est mon préféré, le Constantin de notre ère.

  • Il est sur mon pont, tiens ! — frappé de stupeur par la vision des lendemains qui chantent. (Les cieux, sinon les yeux, se sont ouverts.)

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