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Pourvu qu'elle soit une putain

Comme Paul Lafargue le souligne, "amour vénal" rime avec "Capital" ; seul Tartuffe peut d'ailleurs feindre de l'ignorer désormais. Non que la prostitution soit inconcevable sans le Capital, mais le Capital est inconcevable, lui, sans la prostitution et la convention matrimoniale.

"L'amour, la passion sauvage et brutale, qui trouble le cerveau, pousse l'homme à l'oubli et au sacrifice de ses intérêts, la courtisane le remplace par la facile, la bourgeoise, la commode galanterie vénale, qui pétille comme l'eau de Seltz et n'enivre pas.

La courtisane est le présent du Dieu-Capital, elle initie ses élus aux savants raffinements du luxe et de la luxure ; elle les console de leurs légitimes, ennuyeuses comme les longues pluies d'automne." (In : "La Religion du Capital")

Quoi de plus logique, dans cette voie de garage à bites, que l'idéalisation de la pute par la télévision publique ? Un reportage diffusé récemment renseigne sur l'évolution de la prostitution :

- une pute "à l'ancienne" fait l'éloge de son métier, du contact avec le client, de l'évasion de métiers abrutissants qu'il permet, de l'incompréhension des "légitimes" qui ont d'autres chats à fouetter... bref, le discours du petit épicier contre la grande distribution. On en deviendrait presque poujadiste tellement la putain à l'ancienne est attendrissante et rappelle les descriptions amoureuses de putes par Drieu La Rochelle ou Picasso ;

- la pute nouvelle, elle, travaille plutôt dans le porno, qui permet un meilleur rendement et une hygiène sans taches, de ne pas mourir étouffée sous le client ; la pute nouvelle génération est plus jeune, semi-professionnelle, parfois une étudiante qui se prostitue pour payer ses études et s'orienter ensuite vers un autre job. Elle tient un discours plus "froid", plus "marketing", celui d'un chef de rayon, avec des mots anglais pour bien montrer que la prostitution n'est pas en retard sur la technologie. D'ici qu'elle ponde un "mémo" avec des diagrammes et des courbes pour expliquer les parts de marché et les grandes tendances du plaisir, il n'y a qu'un pas.

"Il est difficile pour un homme de demander à sa femme de lui pisser dessus, si tel est son bon plaisir." explique la pute traditionnelle dans le langage d'une pute qui n'a pas bac+3 et doit avoir du mal à rivaliser dans le domaine du sado-masochisme "high tech" avec ses consoeurs plus jeunes. La tendance à vouloir souffrir encore un peu plus au sortir du boulot ou du conjuguo, et non plus à prendre du plaisir comme au bon vieux temps, est elle aussi caractéristique du capitalisme. Si l'on réouvrait les camps de concentration, il y aurait pas mal de volontaires aujourd'hui, à en croire les putes.

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Ce qui est frappant, et confirmerait encore si c'était nécessaire les vues de Charles Fourier*, Karl Marx ou Paul Lafargue, c'est l'évolution concomittante de la prostitution et du mariage depuis la fin du XIXe siècle. Ces deux institutions éminement sociales et fondées sur l'argent, le pouvoir, ont été peu à peu, depuis le XIXe siècle, recouvertes d'une épaisse couche de guimauve et de sentimentalisme. La prostitution et le mariage bourgeois ou petit-bourgeois, qui ont de toute évidence été modifiés juridiquement par les bouleversements économiques importants au cours du siècle et demi écoulé avant tout, -évolution vers le salariat "grosso modo"-, le mariage et la prostitution sont maquillés par la propagande capitaliste comme une voiture volée ou une mariée le jour de son mariage : le mariage est déguisé en "projet sentimental" ou "existentiel" ; et la prostitution qui en découle en "service social".

L'éloge de la prostitution n'est donc rien d'autre en définitive que l'éloge discret du mariage. Le capitalisme ne détruit pas l'idéologie du mariage en réalité, mais la renforce bel et bien toujours plus, exactement comme il renforce la prostitution, même si les deux institutions ont de plus en plus tendance à se confondre dans le même sentimentalisme, et pas seulement dans les "parties carrées" qui permettent de faire des économies.

Il est juste difficile de savoir ce qui est le plus grotesque, du "mariage-divorce" laïc, sorte de polygamie successive à l'usage des bourgeois, qui voudraient donner par-dessus le marché des leçons de morale sexuelle à l'Afrique (!), ou de sa version chrétienne, sorte de "mariage de droit divin" inspiré de la "monarchie de droit divin", qui se présente comme la muséographie ou l'archéologie du mariage ? Choix cornélien.

On n'hésite pas dans la version démocrate-chrétienne à se référer, pour les plus ignares, à... l'"amour courtois", comme pour prouver que question mensonge et ignorance, le chrétien rivalise sans peine avec le capitaliste lambda.

Le médiéviste Georges Duby a émis l'hypothèse ("Dames du XIIe siècle") que "l'amour courtois" n'était qu'une forme d'hommage indirect d'un chevalier à un autre, un témoignage (poétique) de vassalité. En somme, en tant que "manipulation politique", l'amour courtois ne serait autre que l'ancêtre du PACS. C'est plutôt cocasse. Ou encore il serait comparable aux éloges incessants de la presse à l'endroit de Carla Bruni. Comme si Sarkozy pouvait avoir un doute sur la servilité du corps journalistique.

Certitude en revanche, et qui confirme l'hypothèse de Duby, rappelée par l'historien Denis de Rougemont cette fois : l'"amour courtois", qu'il soit réel ou du domaine exclusif de la propagande politique, se présente comme un éloge de l'adultère. Donc "grotesque", le mot est faible pour désigner le fétichisme démocrate-crétin.

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C'est aussi ici l'occasion de rappeler que Karl Marx démontre dans la "Sainte Famille" que l'idéologie allemande, cristallisée dans la philosophie du droit totalitaire de Hegel, est en grande partie inspirée d'une idéologie de la famille et du mariage chrétien. Cette inspiration, qu'on peut résumer à la "génitalité" en réalité, trahit le caractère statique et fixe de l'idéologie de Hegel. Le fameux "progrès laïc" n'est qu'un point mort. Hegel ne se distingue qu'apparemment de Maurras ou Montesquieu ; il ne s'en distingue pas fondamentalement.

C'est d'ailleurs faute de pouvoir expliquer l'évolution politique autrement que par un mécanisme, que Hegel invente son fameux "sein-dasein", mécanique ET ésotérique. Cet ésotérisme a produit la morale existentialiste capitaliste, aussi sûrement que l'algèbre mène à la spirale et n'appartient plus au domaine de la science dès lors qu'elle n'est plus un simple outil mais commence à engendrer des théories (c'est le cas dès Kopernik).

La morale existentialiste, divisée en autant de chapelles et de curés qu'il faut pour satisfaire la demande, allant du plus stupide, l'existentialiste nazi d'Heidegger et sa poule Hannah Arendt, au plus ambigu et au plus profond, l'existentialiste Louis-Ferdinand Céline, qui n'est pas un simple touriste et dont la profondeur passe par les bas-fonds, à qui il doit plus qu'aux gratte-ciel, et qui "rachètent" sa poésie ; Céline qui ne se paye pas que de mots.

L'analyse poussée de Marx permet de comprendre que cet existentialisme n'est autre que la morale totalitaire par excellence. Il permet de comprendre son paradoxe fondateur et son caractère binaire et successif. Et pourquoi même l'épicurisme est une philosophie plus raffinée, puisque l'existentialisme s'efforce de ramener Hegel au niveau moral, au niveau du figuier, l'arbre de la connaissance du bien et du mal dont le sado-masochisme est l'ultime fruit, alors que ce niveau moral, Hegel, malgré toute sa bonne volonté, ne l'a jamais dépassé. Jamais Hegel n'a compris la forme. Il a juste anticipé le cinématographe.

Epicure procède de la même façon avec Démocrite, mais il le fait sciemment. Marx a donc appliqué l'analyse aux analystes et il en est sorti de l'eau de boudin, baptisée pompeusement par l'université "Philosophie".

Dans l'idéologie totalitaire de Hegel, je précise que c'est l'Etat qui joue le rôle de la femelle, et l'"homme de la Providence", pour reprendre la terminologie de Hegel, Napoléon, Bismarck, Napoléon III ou Hitler, joue le rôle du mâle fécondant. C'est à ce niveau qu'il faut d'ailleurs situer le mythe d'Oedipe, et non au niveau du drame bourgeois, étant donné qu'on voit bien que l'Etat totalitaire est non seulement une femelle, mais qu'il est aussi une matrice. Louis XIV a beau dire : "L'Etat, c'est moi", on voit bien qu'il n'en est rien et que cette mante religieuse a fini par le bouffer.

*A propos de Charles Fourier, il faut se défier des inepties à son sujet de l'écrivaillon bourgeois Pascal Bruckner, qui fait pratiquement dire l'inverse de ce qu'il dit à Charles Fourier. Ce bourgeois "rive-gauche" qui n'a cessé de déverser pendant vingt ans ses idioties dans les médiats a d'ailleurs bâti sa réputation de romancier sur l'éloge de la prostitution.

 

 

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