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Le Diable dans l'Eglise (2)

Pourquoi le XVIIe siècle janséniste est-il une étape décisive dans la dissolution -on a presque envie de dire "l'absolution"- du diable, et, partant, du délitement de la théologie catholique ?

Au passage il convient de souligner que le XVIIe siècle français, en dehors de Corneille et Molière, est bien peu "shakespearien". Si la Renaissance place l'apocalypse et le diable au coeur de la science et de la théologie, avec les juristes, les mathématiciens et les "harmonistes" du XVIIe siècle, c'en est fini de l'histoire. Karl Marx et Frédéric Engels ont en restaurant la dialectique historique mis fin plus efficacement que Voltaire à un obscurantisme de plus de deux siècles. Si on dérouille l'épée de Shakespeare du fourreau de gnose scolastique dans laquelle l'Université l'enferme, on retrouve chez Shakespeare les grands axes de la pensée marxiste : le matérialisme (qui est un naturalisme, et jamais S. ne fait une métaphore au hasard) ; la vérité scientifique contre la puissance politique ("dynamique" contre "dynastie") ; la dimension satanique de l'argent (et son rapport avec le sang et l'âme, remarqué aussi par Léon Bloy) ; la sainte horreur du paganisme et de l'ésotérisme qui est aussi au coeur de l'oeuvre de Marx.

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Il faut aussi aplanir ici une difficulté du vocabulaire courant. La science dite "matérialiste" authentique d'Aristote, Bacon ou Marx n'a rien à voir avec la "polytechnique" bourgeoise, nazie ou capitaliste et son culte de l'objet artisanal ou industriel. Pour un matérialiste, le rapport de l'âme à l'objet est évident et le fétichisme jaillit du miroir aux alouettes païen.

D'ailleurs la bourgeoisie nationale-socialiste, pour prendre un terme général, ne sait pas faire la distinction entre l'artisanat et l'art, ou l'art et le produit industriel. L'art pompidolien par exemple n'est autre qu'une mystique (pour ne pas dire une mystification) de l'objet d'art : il est donc extrêmement religieux, comme l'art dit "premier", tandis que l'art de la Renaissance, à l'opposé, est profondément irréligieux, dans le sens où il tend à l'élucidation et à la réduction des paradoxes à néant (la musique basée sur l'hiatus de l'âme, cultive au contraire le paradoxe et l'ironie).

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L'occultation du diable : ce que le nuisible autant qu'ignare Jacques Duquesne traduit comme un progrès théologique n'est autre que le produit de circonstances historiques et politiques. Le jansénisme, comme ses cousins germains l'anglicanisme et le luthéranisme, traduisent d'abord la montée en puissance des Etats-nations. Avant que l'équation ne soit parfaite entre le chef de l'Etat et le chef religieux (Napoléon ou Hitler), une étape a été nécessaire d'incorporation des principes politiques et moraux, au prix de graves distorsions du Nouveau Testament bien souvent, d'incorporation de ces principes à la théologie. Or, comme l'a décelé Simone Weil après Marx, la politique est le refuge du païen face aux éléments déchaînés de la nature. Il n'y a pas de société plus "politique et morale" qu'une tribu d'anthropophages. A tel point qu'on peut dire que l'anthropophagie est comme le terme de l'anthropologie. Le capitalisme, largement fondé sur la prostitution, a d'ailleurs réinventé de multiples façons de consommer le corps en toute légalité.

Ici on peut voir la différence entre l'imbécile Nitche dont Michel Onfray perpétue la tradition d'ignorance crasse pour mieux asservir le populo au Capital, et le savant Marx. Lorsque ce dernier démolit la cathédrale nationale-socialiste, il sait bien que c'est un monument païen qui n'a plus guère de chrétien que l'argument ou le slogan. Il sait que la nouvelle religion de l'Etat n'est que la métastase d'un christianisme nationalisé. Tandis que Nitche est incapable de voir qu'Apollon est LE grand dieu païen et que Dionysos n'est qu'un sous-fifre. Autrement dit rien n'est plus sacré pour Nitche, Maurras, comme pour Schopenhauer avant eux que la religion. Le fonctionnaire, c'est-à-dire l'"homme nouveau" de la religion nazie, endosse les habits du prêtre : son élitisme est du même ordre.

L'apocalypse étant le passage du Nouveau Testament le plus explicitement dirigé contre la politique et ses cornes sataniques (comme les livres prophétiques juifs sont les moins "talmudiques"), il était parfaitement logique que le "nationalisme chrétien" janséniste ou protestant fasse jeter l'apocalypse aux oubliettes. Les deux phénomènes d'abstraction du diable et de l'apocalypse convergent. Etant donné la signification historique de la "trinité", celle-ci disparaît aussi. Lucifer et l'Esprit saint sont alors regroupés sous le même vocable : la Providence. La présence de celle-ci dans la religion nazie (G.W.F. Hegel) suffit à établir que le nazisme et la morale existentialiste qui en découle sont "néo-gothiques". Le moyen âge ne connaît pas l'histoire. Le national-socialisme allemand dérivé du judéo-christianisme assigne, lui, une raison mathématique à l'histoire, ce qui est encore pire que l'ignorance pure et simple.


Commentaires

  • Lapin, Simone Weil parle-t-elle expressément de la politique en tant que "refuge du païen face aux éléments déchaînés de la nature" et dans quel ouvrage s'il vous plaît ? (je pose la question simplement parce que le sujet m'intéresse)

  • Tout dépend de ce que vous voulez dire par "expressément". Simone souligne le rôle de la peur dans le paganisme, l'ancien comme le nouveau. Le sauvage (j'en profite pour dire que Rousseau n'a rien à voir avec la nostalgie du "bon sauvage" ou de l'"état de nature", comme Engels le démontre intelligemment), le sauvage primitif déifie ce qu'il craint : la foudre, la tempête, le vent.
    Le capitaliste ou le nazi (que S. Weil) tient à juste titre pour un sauvage, déifie aussi ce qu'il redoute : l'Etat et son pouvoir d'oppression. Typiquement, on cherche à intimider Xavier Matthieu qui a commis un blasphème en saccageant une préfecture avec des arguments religieux : le caractère sacré de l'Etat, de la loi, tous les fétiches chevènementistes. Je répète que Rousseau n'a rien à voir avec ces conneries, dans la mesure où il appelle de ses voeux une société purifiée des archétypes sociaux et politiques, et qu'il n'est pas assez bête pour ignorer que les sociétés primitives sont hyper-conventionnelles.
    On peut ajouter qu'un animisme très fort (Freud aujourd'hui) est révélateur d'une société hyperpolitisée. Lorsqu'il a progressé, l'Occident a toujours progressé CONTRE la politique et l'animisme.
    C'est dans les "Causes de l'oppression" que Simone établit le mieux le lien entre le paganisme ancien et le nouveau.
    J'attire en outre votre attention sur le fait que l'idéologie capitaliste est très proche de l'idéologie païenne dite des "éléments" (science élémentaire mathématique dont Aristote fait la démonstration dans sa "Physique" qu'elle est une rhétorique et non un science).
    - Un bémol : la critique de Marx par S. Weil vaut pour le fachisme, le communisme soviétique, mais pas pour le marxisme. Marx est beaucoup plus près que Simone Weil de concevoir la politique comme une utopie (compte tenu des avertissements du Christ contre l'utopie politique, Marx est plus chrétien). Si Marx était un réformateur, il serait Luther. On ne trouve aucun recours au droit chez Marx, dont l'idéal démocratique est étranger aux "Droits de l'homme" (Flaubert est outré que le Christ n'ait pas le sens de l'équité ; Marx est lui aussi véritablement "par-delà bien et mal", sachant très bien que la morale est le fondement de la religion comme de la politique.)

    - Une surprise : le bouquin de Simone Weil s'achève sur une note fataliste, et, alors qu'on aurait pu penser que le christianisme "libèrerait" Simone de sa mélancolie, les chrétiens qu'elle a rencontré par la suite l'ont plutôt poussée vers une sorte d'ataraxie complètement étrangère au christianisme. Cela confirme l'observation de Marx du rôle majeur joué par le clergé chrétien dans le déclin vers le paganisme. L'espèce d'athéisme incarné aujourd'hui par des types comme Diderot, Nitche, Maurras, Sartre, Michel Onfray est inédite dans l'histoire ancienne. Elle est essentiellement d'origine chrétienne. Lucrèce n'est pas "athée" au sens où on l'entend aujourd'hui : il ne croit pas que l'homme échappe à la mort, ce qui presque l'inverse des athées modernes qui croient en l'homme comme en une sorte de démiurge.

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