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Chrétien et soldat ?

Dans un square parisien, comme je suis en train de glaner un peu d'internet gratuit, un Témoin de Jéhovah m'aborde. Il m'offre deux de ses brochures sans se douter que j'attends l'apocalypse avec autant d'impatience que lui (patience est vertu de petit rentier).

La gazette des Témoins de J. s'appelle "La Tour de Garde". Je la feuillette sur un banc après avoir rédigé une note pour ce blogue. Elle est fabriquée manifestement aux Etats-Unis, tire à trente-sept millions d'exemplaires et est traduite dans une centaine de langues différentes.

Mon attention est attirée par deux articles dans le n° daté du 1er octobre 2009. Le premier sur l'Esprit saint dont l'auteur nie qu'il puisse être une "personne" ; après avoir fait le tour de la gazette, ça me semble être la seule différence notable entre les Témoins et la théologie catholique... Le rédacteur ne critique pas directement la conception catholique trinitaire qu'il n'a pas l'air de bien connaître. Vu que quasiment aucune ouaille catholique n'est capable de donner une explication claire du "trois-en-un divin", on ne saurait reprocher aux Témoins de J. leur ignorance.

*

Plus intéressant l'article intitulé "Peut-on concilier guerre et christianisme ?" d'Olivier O'Donovan ; j'ai même un léger sursaut en lisant ce titre, qui serait beaucoup trop politiquement incorrect pour un journal français chrétien ayant pignon sur rue aujourd'hui. Le "civisme" est prôné aujourd'hui jusqu'à l'absurdité par les plus hautes autorités chrétiennes en France, et le "civisme" implique de larguer des bombes sur des civils innocents en Afghanistan comme en Irak naguère, afin de protéger l'économie française capitaliste de la concurrence.

D'ailleurs O. O'Donovan se garde de répondre à cette question brûlante de la possibilité d'accorder le statut de soldat et celui de chrétien dans son article. Mais il pose quelques jalons intéressants. Il cite d'abord saint Augustin (en 417 "de notre ère", est-il précisé, je suppose à l'attention du lectorat yanki de "La Tour de Garde") :

"Gardez-vous de croire qu'on ne puisse plaire à Dieu dans la profession des armes (...). Il en est (...) qui, en priant pour vous, combattent contre d'invisibles ennemis ; vous, en combattant pour eux, vous travaillez contre les barbares trop visibles."

O'Donovan qualifie malicieusement Augustin de théologien "catholique". En réalité le renom d'Augustin est plutôt dans les pays de confession protestante. Chez les catholiques, ce sont les jansénistes qui ont remis à la mode saint Augustin au XVIIe siècle pour des raisons politiques (que l'extrait cité par O'Donovan permet aisément de deviner).

Thomas d'Aquin (XIIIe siècle) est ensuite cité :

"Les guerres sont licites et justes (...) dans la mesure où elles protègent les pauvres et tout l'Etat contre les violences des ennemis".

Ici on ne peut s'empêcher de penser à Bernard Kouchner. C'est-à-dire que le propos de Thomas d'Aquin constitue un progrès considérable par rapport à celui d'Augustin, à la stricte condition qu'il ne soit pas fait une application hypocrite de cet "humanisme militaire" protecteur des pauvres. Un peu d'histoire suffit pour connaître que l'hypocrisie prévaut généralement dans le déclenchement des conflits militaires, surtout au cours de l'histoire récente, et bien sûr au-delà du seul cas de Bernard Kouchner.

O'Donovan s'en abstient, mais il aurait pu citer des formules plus pacifistes encore datant de la Renaissance, celles d'Erasme, par exemple, afin d'illustrer le progrès vers l'orthodoxie chrétienne jusqu'au XVIe siècle. Orthodoxie qu'on peut traduire comme la correspondance de la théologie avec l'Ecriture sainte qui la surpasse toujours ; orthodoxie dont on peut vérifier historiquement qu'elle coïncide avec une dépolitisation de la théologie.

O'Donovan cite justement : "Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée." prononcé par le Messie contre l'apôtre Pierre, sûrement pas par hasard (Matth. 26:47-52).

Il aurait pu citer aussi, qui dissuade plus largement encore le chrétien de se compromettre dans la carrière des armes : "Que celui qui a des oreilles entende ! Si quelqu'un mène en captivité, il sera mené en captivité ; si quelqu'un tue par l'épée, il faut qu'il soit tué par l'épée. C'est ici la patience et la foi des saints." (Ap. Jean 13: 9-10)

Bien sûr, on est en droit de trouver ça naïf et utopique. Mais la politique du point de vue chrétien est une utopie qui a la puanteur du Danemark, la couleur pourpre, écarlate ou orange des âmes corrompues.

"La Tour de Garde" des Témoins de Jéhovah s'avère donc une lecture très saine en définitive pour des catholiques, par comparaison à la chienlit et la cinéphilie immonde des gazetiers démocrates-chrétiens actionnés pour beaucoup d'entre eux par "Le Figaro", dont les arrières-pensées politiques précisément sont transparentes comme le cristal.

Commentaires

  • Il y a encore devant le trône comme une mer de verre, semblable à du cristal.
    Apocalypse 4:6

    (patience des saints ou vertu de petit rentiers, j'aimerais pas croire que les saints sont des rentiers du ciel!)

    Les orthodoxes qui m'entourent sont assez tièdes et on pourrait leur reprocher vu les persécutions que Staline leur a fait subir. Et curieusement je n'ai trouvé qu'une "Témoin" pour me montrer la charité.

  • - Le passage que tu cites est un de ceux qu'on peut facilement relier au livre d'Ezéchiel, dont la lecture permet de comprendre comme Dante et surtout Shakespeare que la putain de l'apocalypse est bien l'Eglise chrétienne ; "Ta grande soeur, qui demeure à ta gauche, c'est Samarie avec ses filles ; et ta petite soeur, qui demeure à ta droite, c'est Sodome avec ses filles. Tu n'as pas seulement marché dans leurs voies et agi selon leurs abominations : c'était trop peu ; tu t'es corrompue plus qu'elles dans toutes tes voies." (Ezéchiel XVI:38)

    - La prostituée de la vision de saint Jean se tient sur les eaux ; les eaux ou la "mer" sont interprétés comme étant la masse mouvante des nations et des peuples. Vu que le cristal a une connotation politique/médiatique très marquée (non seulement "diabolique" au sens propre du terme), la métaphore de la mer de verre semblable à du cristal m'évoque la planète, la planisphère qui est comme une boule de cristal. On constate de façon plus caricaturale encore dans l'idéologie écolo. que dans le capitalisme cette identification de l'homme avec ce qu'il appelle "la planète", raisonnement typiquement politique qui engendre les paradoxes les plus comiques (Il devient plus grave de tuer un panda que d'écraser un spectateur africain ou américain qui regarde passer le "Paris-Dakar").

  • Pour bloguer dans un square parisien, en janvier parmi les maraudeurs et les gyrovagues, il ne faut pas être tiède, mais bouillant !

  • tu parles Porteur, t'as essayé la place rouge, l'a fait moins seize à Moscou cette nuit.

    joli la boule de cristal, ça élucide pas mal en effet.

  • Cette rencontre avec un Témoin de J. remonte à il y a un mois, Porteur. Du square dont je parle, le froid a désormais chassé tous les clochards.

    La conversation sur le cristal rejoint une causerie que j'ai eue avec Porteur sur le miroir : l'un comme l'autre sont des instruments de "surdétermination" politiques. C'est-à-dire que les principes scientifiques de Pythagore (dont Platon hérite, tandis qu'Aristote démolit un par un les principes pythagoriciens, au point d'offusquer les commentateurs modernes), ses principes sont d'abord et surtout religieux, même si le rapport avec la nature est encore conservé dans la science milésienne, ce qui n'est plus le cas des mathématiciens italo-boches du XIXe siècle.

  • Cette surdétermination politique est une illusion d'optique dont procède aussi l'évolutionnisme. L'analogie avec le prisme est très bonne, car c'est purement la même erreur. Comment Jamblique pouvait-il ne pas "voir" cette difficulté ? Il a dû être envoûté par les muses. Au fond, les platoniciens, qui passent leur temps à se retourner (on ne sait jamais !) n'ont pas digéré Orphée.

  • Très fort, les hommes! j'en perds pas une miette. Plein les mirettes! et comme je suis pas l'homme de la grotte de Platon je prends pas non plus mes désirs pour des réalités, je spécule pas (speculos) je réfléchis pas (O miroir) je pense pas (que donc je suis) et je suis pas apophatique (non plus). Vous me faites l'effet de gyrophares, (merci Porteur pour ce drôle de mot, je connaissais pas cette engeance errante des gyrovagues)
    Dieu m'a blessé de son amour, j'ai juste besoin de me reposer, je reviendrai.

  • - Exact, Porteur, la théorie transformiste implique au préalable de réduire l'homme à un animal politique, CE QUI N'EST PAS LE PROPOS D'ARISTOTE MAIS DE DESCARTES. L'évolutionnisme est une théorie mécanique, ce qui explique son succès auprès des nazis naguère, des capitalistes aujourd'hui, qui n'hésitent pas à traduire la crise économique (politique) comme une évolution naturelle. Pour Aristote, le singe n'est pas moins un animal politique ; on pourrait ajouter que sa frénésie sexuelle et le sentimentalisme de certaines espèces de singe devraient inciter les hommes politiques à lui accorder le droit de vote, qu'il semble à sa portée d'exercer pleinement. Je m'étonne que les écolos n'y aient pas pensé, et Cohn-Bendit le premier, animal politique s'il en est.

    - Il est clair que lorsque François Bacon associe Orphée à la philosophie, c'est à Platon et aux péripatéticiens qu'il pense. Je le soupçonne même sur ce point d'enfoncer un coin dans le Purgatoire de Dante et Virgile. Shakespeare lui-même n'est pas très... romain.

  • Bacon pense à tous les philosophes.
    Constatant l'impatience des philosophes de faire appliquer leurs systèmes de merde qui ne répondent d'ailleurs pas aux vraies questions (la mort), Bacon observe qu'ils se réfugient incontinents dans la morale, (maintenant les journalistes disent "éthique") et s'attachent à des vanités. Car voilà : la morale, même kantienne, n'a rien de transcendant, car quelle que soit la morale, ben on va tous crever la gueule ouverte. D'où les sectes, etc.
    C'est d'Orphée l'interprétation la plus intéressante que je connaisse. Les versions modernes (Camus, Cocteau, Orphée-Nègre, tous ces trucs...) sont bêtes à pleurer.
    Sur Dante, je ne sais pas. Oui, d'accord : Eurydice, Béatrice, toutes des putes, l'apocalypse, etc., je vous vois venir. Mais je ne suis pas convaincu.

  • - La critique de Bacon épargne les pré-socratiques tel Démocrite.
    - Le sophisme de la "loi naturelle" qui survit à travers les droits de l'homme est typiquement romain ; on ne peut pas l'attribuer à Aristote, ne serait-ce qu'à cause du dédoublement de la nature au regard Aristote. De ce point de vue, comme sur beaucoup d'autres points essentiels, pas de différence entre Bacon et Aristote. Non seulement celui-ci sait déjà qu'il n'y a aucun progrès à attendre de la politique, mais que les lois statiques incluent l'entropie ou la spirale.
    - Notez quand même à propos d'Orphée, de Dante et de la philosophie, non seulement que cette dernière est statique mais qu'elle se heurte en dernier ressort au problème de la conciliation du corps et de l'âme. Or non seulement Orphée et Eurydice évoquent le dédoublement de la personne, mais Dante établit une analogie entre l'ombre, projection du corps, et l'âme, dont les "corps glorieux" sont pour Dante dépourvus (sans ombre). Dans une large mesure la théologie de Dante frappe celle de Thomas d'Aquin de caducité et on mesure l'imbécillité de l'Eglise catholique de s'être rattachée à la scolastique de Thomas d'Aquin à la fin du XIXe siècle.
    Le purgatoire est une abstraction juridique ou philosophique du même type que l'inconscient. Y faire séjourner des personnages animés n'était pas sans risque pour sa crédibilité, d'autant plus que les contemporains de l'Alighieri n'étaient pas comme ces crétins de cinéphile qui croient que le cinéma participe de la réalité alors qu'il la détruit plus efficacement que n'importe quelle religion.

  • Je crois qu'il existe également "Réveillez-vous", plus axé sur l'actualité généraliste.

    Guère étonnant que les TDJ soient autant persécutés par les milices laïcardes, que par les démocrates-chrétiens. Entre, à l'époque, le refus ferme de la conscription (qui s'assimile à aller se faire flinguer pour le capitalisme) et le refus poli de participer à la mascarade électorale (qui consiste à l'adouber avec un étendard dans le fondement), il y a de quoi être cerné d'ennemis. Lesquels sont étrangement prompts à se donner la main dès qu'un esprit chagrin suggère que tout le monde se tient par la barbichette en marge des empoignades.
    La facette la plus emmerdante étant, sans conteste, leur refus de distinguer la démocratie de toutes les autres formes de totalitarismes et ce sans compromission avec ces derniers. Les TDJ crevaient dans les camps, et ne commerçaient pas avec les boches ou ne bombardaient pas Dresde.

  • Oui, j'aurais pu ajouter que la théologie de Mgr Barbarin-le-bien-nommé : "C'est un devoir chrétien de voter", contredit gravement l'avertissement du Christ de ne pas mêler le royaume de Dieu aux affaires mondaines.

  • Lassé du cd dans l'autoradio, je me suis mis à parcourir l'autre jour la bande fm. Je suis tombé sur une radio se disant chrétienne (RCF), lors d'une émission traitant du mariage et des engagements afférents. En moins de deux minutes d'écoute, j'ai entendu un curé dire que la fécondité n'englobait pas l'unique domaine de la procréation mais était une métaphore de l'implication dans la vie sociale, notamment par l'action politique. Deux fichues minutes !!

  • Oui, je crois que c'est vraiment une erreur historique de croire que l'Eglise catholique a survécu sur le plan théologique au XVIIe siècle. Que l'Eglise romaine le veuille ou pas, laïcs et profanes se sont emparés de la théologie dès la fin du Moyen âge.

    Un autre élément qui m'a toujours indisposé dans cette Eglise française que je connais plutôt bien, c'est son extrême féminisation. C'est une institution dominée par les femmes, donc par l'idée politique et par la peur. En ça l'Eglise ressemble beaucoup aux Etats-Unis où flotte le même parfum d'inceste, à la limite du supportable.

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