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Via Romana

Le théologien chrétien gallican Bossuet indique dans son commentaire de l'apocalypse que, s'agissant de Satan et du nombre de la bête (666), toutes les pistes mènent à Rome. Il ne s'agit pas pour Bossuet comme pour Dante, Boccace, Luther ou Swedenborg, d'accuser la Rome pontificale de pornographie, mais l'Empire romain. Les Romains sont en effet pour les chrétiens ce que les Egyptiens furent pour les juifs. Bossuet ne se mouille ainsi pas beaucoup.

Les athées ne le comprennent pas toujours, mais si Marx et Engels s'inscrivent dans la continuité de ces penseurs chrétiens, c'est en raison de leur combat "drastique" contre le droit naturel qui régit les sociétés païennes. Ce droit heurte de plein fouet le réalisme chrétien. Le relativisme juridique, à terme, rend fou. D'y être nécessairement soumises, entraîne les civilisations vers leur perte. Marx identifie donc le droit comme la source première de l'idéologie et de sa barbarie consécutive. Il applaudit la peinture de Balzac d'une France en pleine déliquescence judiciaire, et les caricatures de Daumier de magistrats en proie à l'aliénation, illustrent bien Marx.

Mais revenons à Bossuet. S'il enfonce une porte ouverte à propos de l'Empire romain, en revanche sa tentative de dévaluer l'apocalypse en reléguant ses causes et effets aux premiers temps du christianisme, contredit la vision chrétienne et met pratiquement un terme à la théologie, envisagée de façon minimaliste par saint Paul comme le moyen de faire coïncider amour et vérité parfaitement. La vision de l'apôtre Jean ne dissimule pas que cette fin du monde sera aussi tragique que fut la résurrection de Jésus pour les Romains et les pharisiens, voire Judas et son espoir déçu que le Christ réitère le sauvetage de Moïse.

- Un artiste païen auquel je tentai récemment d'inculquer quelque notion de cette apocalypse chrétienne, en dehors de laquelle il n'y a dans l'ère chrétienne pas d'artistes, mais des décorateurs d'intérieur apointés, s'efforçant de faire passer leur byzantinisme pour une nouveauté, eut cette réaction à chaud : - Mais je connais ton truc par coeur ! C'est le manichéisme des bons qui seront sauvés, et des méchants qui seront précipités dans l'enfer.

Oui, l'apocalypse et son jugement dernier est manichéenne au sens où elle prive de fondement la perspective du purgatoire et permet à Luther d'avancer qu'il n'est qu'un lieu d'aisance bourgeois (la recherche du temps perdu). Le purgatoire ou l'au-delà païen, ainsi que Homère l'indique déjà, ne fait que correspondre au besoin de celui ou celle qui peine à jouir d'élargir le temps artificiellement, ou à la volonté des pouvoirs publics d'en faire autant, afin de faire mieux admettre la souffrance et la douleur.

Non, l'apocalypse n'est pas manichéenne au sens où elle ne répond pas au besoin moral d'ordonnancement de la société, d'où surgit toute puissance physique et son absurdité explosive, l'interdiction de tuer un jour, la permission le lendemain. C'est bien tout le problème des édiles qui ont construit leur vie selon la fortune et le droit, sans d'autres justifications que des chimères comme le voyage dans le temps, dont on fera bien de s'assurer de la véracité, avant d'accuser l'apocalypse d'être incongrue.

Pour répondre à un dernier sarcasme, en forme de question : "Comment une telle mythologie multimillénaire, sans cesse démentie par les faits, dans un monde aussi bien éduqué que le nôtre, peut-elle continuer de passionner toujours les foules ?", on peut rétorquer un autre sarcasme : si la passion de l'apocalypse traduisait l'inquiétude de la foule, alors celle-ci devrait se précipiter plutôt dans le socialisme, dont toutes les valeurs : travail, famille, nation, argent, bonheur, drogue, cinéma, ont une fonction religieuse rassurante.

L'apocalypse répond plutôt communément à cette question : le labyrinthe des conventions sociales, comme il a une porte d'entrée, dispose-t-il d'une issue ? Chacun a donc dans le coeur, non seulement l'obsession de la mort qui détermine sa geste sociale, selon le mode le plus religieux, mais aussi l'apocalypse, par laquelle l'individu rompt les amarres avec la société et arrête dans son esprit le mouvement implacable du temps. Le type qui se suicide ne fait qu'emprunter l'express social ou l'autoroute pour l'enfer, quand les autres font le tour de Paris en métro.

En effet le socialisme lui-même ne peut se passer de multiplier les portes de sortie, pour éviter d'apparaître comme un traquenard ou une chappe de plomb. Toutes ces issues sont conçues sur le même principe, mathématique, de la mise en abyme, c'est-à-dire de la mort. Le socialisme tire de la mort la seule raison de vivre. Autrement dit la société piège par la fin. Plus on se débat pour s'arracher à ce marécage, plus il nous aspire. Les crétins qui prônent l'ataraxie, comme l'auguste Schopenhauer, ne se rendent pas compte que la seule raison qui pourrait y inciter, c'est de diminuer la souffrance, que l'ataraxie ne fait qu'augmenter. Le saut à l'élastique n'est pas une doctrine plus sotte. Ce n'est qu'un exemple parmi cent de la stupidité des doctrines sociales.

La puissance sociale et l'illusion de celle-ci sont de surcroît manifestée par le fait que, si chaque citoyen consent à mourir, c'est à condition de ne pas aller seul au trou. Le socialisme dialogue avec les morts, c'est-à-dire les fantômes. De cet ésotérisme acharné, il tire la raison de se moquer du réalisme.

Pour sidérer les foules, le technocrate n'a besoin que de deux ustensiles : un masque et un miroir. La franchise du bâton risquerait d'éveiller les soupçons sur la profonde insanité des élites qui gouvernent le peuple des croyants que la mort les attend au virage.


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