Bien que le racisme débridé de Montesquieu soit tout à fait désuet, il a le mérite de nous informer de la parfaite compatibilité entre l'esclavage et la démocratie. Si l'esprit de Voltaire est moins bêtement juridique que celui de Montesquieu, la juste remarque a été faite que l'ironie de Voltaire fléchit devant la compagnie des Indes.
Sur le plan de la doctrine sociale, on doit faire la remarque que l'esprit de Voltaire est un point culminant, et que tous les papes dans cette discipline peuvent s'incliner devant lui, puisque l'esclavage n'a jamais été aboli, et qu'un sociologue doit impérativement s'abstenir de prôner des choses impossibles. On a tort par ailleurs de situer Rousseau au niveau de la sociologie imbécile ou de l'égalitarisme républicain. Rousseau a parfaitement conscience de l'atrocité de la société, et du rôle central joué par la propriété dans l'ignoble compétition entre les hommes, qui soutient la thèse libérale ou nazie d'une continuité entre le singe et l'homme, et qui permet de qualifier le transformisme évolutionniste de confusion entre la sociologie ou l'anthropologie et la science, à l'instar du racisme de Montesquieu.
Là où l'esprit de Rousseau faiblit, c'est à propos du moyen de débarrasser l'homme de son instinct viscéral de propriété, c'est-à-dire du singe ou de l'amateur de musique qui sommeille en l'homme. On peut penser que Rousseau s'est laissé abuser par la métamorphose que la propriété a connu à son époque, c'est-à-dire par le truc dont la bourgeoisie libérale se sert depuis le XIXe siècle pour faire croire qu'elle s'inscrit dans le prolongement de l'humanisme ou des Lumières, quand c'est l'abjection qui caractérise les doctrines libérale et républicaine concertées. Les penseurs libéraux modernes n'apprécient pas toujours qu'on les compare à des singes, ni qu'on qualifie la République française de "bananière" : pourtant leur sociologie part d'observations encore plus superficielles.
La pierre déposée par Marx dans la botte républicaine est celle-ci : la science juridique a le don de pervertir la science, en y introduisant la démonstration, qui finit par avoir force de loi plus vraie que la matière. Autrement dit, la science et son objet finissent à ce compte complètement ensevelis sous le discours de la méthode. Si les savants républicains modernes éprouvent autant de difficulté à instruire leurs ouailles de leur nouvelles inventions pataphysiques et se montrent beaucoup plus efficaces à censurer tous ceux qui les contestent, c'est pour deux raisons conjointes : premièrement, il ne sert à rien d'expliquer une méthode ; seule sa fonction et son efficacité comptent. Donc l'absence de curiosité dans le peuple, en dehors de quelques dévôts, est parfaitement rationnelle. Le secret de l'imbécillité des polytechniciens, stigmatisée autrefois par Auguste Comte, vient de là, de ce qu'ils ont une fonction à accomplir, et la fonction publique requiert l'obscurantisme et non la vérité, comme la religion. C'est une idée de benêt ou de musicien de croire que la religion et dieu sont liés. C'est tout le contraire : si l'on s'abstient de lire les interprétations cléricales grossièrement frauduleuses du message chrétien, on verra que l'amour de Jésus-Christ met fin à toute possibilité pour l'homme d'inventer une religion ou une méthode pour parvenir à Dieu.
Deuxièmement, les explications de la vulgate scientifique moderne se heurtent à la réalité même, étant donné que la raison pure s'accommode mal des faits. Autrement dit, il est beaucoup plus difficile d'imposer l'autorité de la jurisprudence que celle du code civil. Autrement dit, les ouvrages de la polytechnique sont les meilleures démonstrations possibles de la véracité des spéculations scientifiques modernes. Les vulgarisateurs de la science moderne fabriquent des fusées qui ne décollent pas. Quelle est la place de la méthode dans la nature ? Le chaos est aussi probable que l'ordre, selon le même esprit de déduction, et le hasard qui permet de relier le chaos à l'ordre ne fait que décrire symboliquement le mouvement, comme une svastika, sans en donner le sens, réduisant la science au pur volontarisme religieux ou économique. La grande braderie de la science républicaine est sous le signe du hasard, qui marque bien la rupture entre la philosophie des Lumières et la République.
De sorte qu'il n'y a aucune justification à produire des démonstrations scientifiques cohérentes. D'une certaine manière, le chaos et la mort l'emportent même sur l'ordre et la vie dans la nature, et la logorrhée scientifique est mieux fondée qu'un discours organisé. Le discours moderne et les fétiches qu'il produit apparaissent ainsi comme une grossière culture de vie obscurantiste. D'où vient que les savants matérialistes voient le langage comme une prothèse qui fait dévier la recherche scientifique. Le langage le plus pur ne signifie rien, et la démonstration est le réceptacle du mensonge religieux. La principale contrainte qui oblige l'homme à raisonner en termes de probabilité est la satisfaction de ses besoins, qui n'a rien d'une quête scientifique ; c'est plutôt une forme d'érotomanie entraînant vers la mort. Le véritable objet de la science républicaine, qu'elle cherche à explorer sans s'en rendre compte, c'est la mort et non l'univers ; ce qui l'entraîne à une biologie ou une culture de vie, une médecine psychanalytique débiles, qui ramènent inexorablement au déterminisme initial.
La recherche artistique moderne, à quelques exceptions près dont Céline fait partie, contribue à la cataracte. Il n'y a rien à expliquer au peuple dans l'art abstrait, entièrement démonstratif et religieux. Le clergé romain explique-t-il à ses ouailles comment le pain se métamorphose en chair ? Non, il s'en tient au registre dogmatique, comme le cinéma, qui "force" le processus naturel en faisant croire qu'il l'accomplit.
Mon chemin n'a jamais croisé celui d'un artiste moderne qui s'avise de ramener selon le voeu (impie) de Marx, l'art vers la science. Non, ce que tous veulent, c'est pondre leur petite hostie, et si possible la fourguer comme un talisman à prix d'or. La culture moderne occidentale sort aussi des caves du Vatican.
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Aucun esprit occidental n'a mieux traduit cette vérité que Shakespeare-Bacon, et le combat de Marx contre la religion au service de la vérité prolonge la science de Shakespeare. Derrière tous les ennemis de Shakespeare, je peux garantir qu'on retrouvera le mobile clérical, à cause du formidable coup de pied qu'il a mis dans la pyramide des illusions humaines, que le clergé a pour fonction essentielle d'entretenir. Certains ne comprennent pas bien le propos scientifique convergent de Bacon, ou feignent de ne pas le comprendre, comme aux Etats-Unis, où l'induction a été transformée en une véritable gnose. L'induction convoque tout simplement la charité chrétienne dans la science, et renvoie par conséquent la méthode dans les cordes qu'elle n'aurait jamais dû franchir. Bacon ne dénigre chez Aristote que son platonisme, que la scolastique médiévale au contraire avait exclusivement conservé.
La vérité scientifique est aussi indépendante des moyens pour y parvenir que le vrai dieu l'est de la religion, voilà ce que veut dire l'induction selon Bacon, qui n'est pas une méthode scientifique nouvelle, mais bien plutôt la synthèse de toutes les erreurs que le méthodisme scientifique fait courir au progrès scientifique. Il faut se garder d'envisager la science à la manière des médecins, dont Bacon se moque en raison des maigres résultats obtenus par ce type de savants, comme une solution aux problèmes de l'homme, faute de quoi la science sera le tombeau de l'humanité, comme elle fut pour les Egyptiens. Or c'est bien ce qui est visé par la méthode scientifique : un résultat. Elle produit sans élucider ; elle accumule les objets selon les mêmes règles fausses.