Du point de vue scientifique, l'idée de "culture scientifique" ne veut rien dire. Quel peintre se contenterait du vernis ? Quel savant s'abstiendrait de soumettre à la critique les données de la science ?
De temps en temps, une étude statistique publiée dans tel ou tel journal sérieux fait état des lacunes des Français en matière de "culture scientifique", de leur retard à adhérer au transformisme darwinien, par exemple, voire à ce qu'il est convenu d'appeler la "révolution copernicienne". En somme, de nombreux Français "mal éduqués" s'en tiennent à l'observation de la course du soleil et prêtent peu l'oreille aux explications avancées par Galilée de la stabilité des choses terrestres, en dépit d'une vitesse de rotation de la terre hallucinante.
Un tiers des Français pencherait plutôt en faveur de l'immobilité de la terre ; d'ailleurs, je crois qu'on pourrait aussi compter un autre tiers de Français, en quelque sorte le "ventre mou", qui adhèrent à la révolution copernicienne comme à un article de foi, ignorant le détail des "preuves" fournies par Galilée. Je mets "preuves" entre guillemets, car il s'agit d'une démonstration théorique, et non d'une preuve expérimentale, contrairement à celle de la rotondité de la terre. Le physicien moderne H. Poincaré indique même que Copernic ne fournirait qu'une méthode de calcul.
Ces statistiques sur la culture scientifique ont le don de déclencher des réactions mi-inquiètes, mi-vexées, de la part des autorités en charge d'inculquer aux Français une culture scientifique digne de ce nom. Elles fournissent l'occasion à ces élites françaises d'enfourcher leur dada favori : les problèmes de méthode et de pédagogie. Mettez trois ou quatre bonnes femmes un peu cultivées ensemble, et très vite elles se mettront à disputer de questions pédagogiques, comme si la pédagogie était une science.
- Qu'est-ce qui cloche dans la méthode ? Il ne vient pas à l'esprit de ces élites qu'il s'agit peut-être là d'un problème de discipline, primo, et secundo que la discipline, si elle est une vertu sur le plan culturel, n'est pas forcément une qualité scientifique. Les Français manquent peut-être de discipline en comparaison, mettons, des Japonais ? Vu le goût pour les gadgets dans cette nation, et la cohésion sociale dont elle fait preuve, à la limite du fanatisme, je parierais que sa "culture scientifique" est exemplaire.
Les élites françaises ont souvent un raisonnement qui devrait les inciter à se déporter aux Etats-Unis, au Japon ou en Allemagne.
*
Plus sérieusement, le crédit accordé à la "culture scientifique" est une caractéristique du totalitarisme. Tout en rejetant le monopole scientifique du clergé catholique romain, à travers l'idée de "culture scientifique" se perpétue le même mouvement de développement conjoint de la science et de la religion ou de la morale. Le "comité d'éthique scientifique" n'est que la reformulation du tribunal d'inquisition. On comprend pourquoi, depuis l'Egypte antique, les élites considèrent le langage comme une chose sacrée : il leur permet de projeter un monde à leur image, et de soumettre le peuple à cette cinématographie.
Le comité d'éthique scientifique représente, à l'instar de son modèle, une double menace pour la morale et pour la science. Sur le plan scientifique, il fait germer l'idée que le progrès scientifique coïncide avec le progrès technique. Sur le plan moral, il remet les rênes entre les mains des élites politiques, dont les intérêts économiques et stratégiques sont primordiaux.
La science humaniste authentique contient une mise en garde contre l'art et la technique que la science moderne s'est efforcée d'occulter, ainsi que l'aspect chrétien de la volonté de progrès scientifique, qui reflète le caractère apocalyptique du christianisme, la dimension de révélation ultime de celui-ci. Si un chrétien ne peut croire un seul instant dans l'idée de progrès social, c'est parce qu'il croit dans la science et au dépassement nécessaire de la technique et du plan social culturel. Ainsi le savant humaniste Francis Bacon fait observer que le progrès technique n'est qu'une question de temps, et qu'il n'est donc pas un véritable progrès.
La science moderne a pris un chemin de traverse extrêmement dangereux en prenant à la fois ses distances avec le rationalisme païen, d'une part, qui visait un ordre politique équilibré, appuyé sur une philosophie naturelle cohérente, et récuse l'idée de progrès scientifique ou social, et d'autre part avec la logique chrétienne apocalyptique, insouciante des sciences humaines ou morales. De là l'absurdité particulière du savant moderne et des théories scientifiques modernes, relevée par exemple par George Orwell dans sa critique du totalitarisme. Dans le domaine de l'art, on a pu observer ce phénomène avec les "surréalistes" débiles, ou d'un cynisme exacerbé comme Salvador Dali. S'il y a un courant artistique qui correspond à l'idée de "cancer artistique", c'est celui-là. Il y est fait moins de publicité, mais l'on retrouve dans la science une même tendance "surréaliste".
Nitche, au nom de l'antichristianisme, fut capable de discerner et qualifier la culture moderne de "culture de mort", mais non de s'y opposer efficacement ou d'en élucider le sens véritable.