Si le complotisme est un phénomène chrétien au sens large, cela s'explique parce que la vision chrétienne du monde n'est pas une vision morale, mais une vision historique. L'Antéchrist est ce complot dans le vocabulaire des apôtres. Paul de Tarse en fait dans ses épîtres un élément historique essentiel. Derrière la littérature complotiste de grande qualité ("Hamlet", de Shakespeare), comme derrière des oeuvres superficielles ("Matrix", des frères Wachowski), on retrouvera les éléments de la cosmologie chrétienne et/ou juive, opposée à la cosmologie satanique ou prométhéenne (résumée par le nombre d'homme 666).
A la vision complotiste ou historique, s'oppose la conception éthique païenne ou néo-païenne de la "banalité du mal", b.a.-ba du négationnisme historique. Il n'y a rien d'étonnant à ce que cet argument fasse partie de la rhétorique nationale-socialiste d'Hannah Arendt, (qui cherche sans doute ici des circonstances atténuantes à son amant le professeur Heidegger, ancien membre du NSDAP) : en effet le millénarisme nazi, comme le millénarisme soviétique ou démocratique, sont typiques du néo-paganisme qui consiste à blanchir les élites politiques et religieuses à l'aide de la notion de "progrès social". Comprenez : le permis de tuer des élites "au nom de dieu" n'est plus valide - l'argument du "progrès social" remplace donc dieu. La notion religieuse de "progrès social" légitime donc les crimes des élites, bien que cette notion soit scientifiquement improbable, donc débile.
Ici la fausse science évolutionniste s'avère indispensable en tant que substitut de "philosophie naturelle" pour soutenir l'éthique totalitaire abstraite. Ce clergé bascule dans le délire religieux quand il s'agit d'expliquer comment la bestialité, facteur d'évolution, peut engendrer un progrès éthique, et quelle sorte de progrès la compétition entre les hommes a jusqu'ici engendré ?
Le fait marquant de cette éthique technocratique moderne "à géométrie variable", qui sert d'instrument de domination au service des élites occidentales, c'est qu'elle est "judéo-chrétienne". La rhétorique du progrès social est essentiellement l'oeuvre subversive du clergé chrétien ; le nazisme serait une simple doctrine réactionnaire nitchéenne, non pas totalitaire, sans cet argument darwinien du "progrès de la race" ou prolétarien du "progrès social", qui donne la dimension totalitaire à la propagande nazie, et non seulement nitchéenne ou artistique ; quant au régime soviétique, Lénine indique lui-même l'analogie de ce régime avec l'ancien régime français théocratique de Louis XIV, préambule à l'avènement du pouvoir de la bourgeoisie industrielle. Le régime totalitaire le plus puissant, dont la dénomination de "Pacte atlantique" résume bien le mobile prométhéen véritable, quant à lui n'hésite pas à s'avancer derrière le drapeau de "l'humanisme judéo-chrétien", aussi grossière soit la manoeuvre.
Ce qui le contraint à un tel faux-semblant, c'est largement le fait que l'éthique subversive judéo-chrétienne est le moyen le plus efficace du négationnisme historique. A tel point qu'on peut enseigner l'histoire aujourd'hui, à partir du mensonge démocrate-chrétien, en montrant comme ce dernier a pour but de faire obstacle à la conscience chrétienne de l'histoire. L'esprit de Shakespeare est aux antipodes de l'éthique démocrate-chrétienne, au service de l'iniquité la plus grande.
Le combat de Shakespeare au service de la vérité chrétienne, dirigé contre l'office de mort de l'élitisme chrétien, a bien le caractère d'ultime combat, perdu d'avance apparemment comme celui de David contre Goliath, mais que le fils de l'homme remportera contre la Bête de la terre et ses suppôts déguisés en soldats et militants chrétiens.
Commentaires
Pour Matrix, série de films d'action à prétention métaphysique, qui marrie messianisme et arts martiaux asiatiques, il s'agit des frères Wachowski. A titre indicatif, il ne sont plus aujourd'hui frères, mais frère est sœur, Larry ayant changé de sexe, et s'appelant désormais Lana.
C'est noté.
Bonjour,
Pour nier les faits historiques, encore faut-il leur attacher de leur importance et de l'intérêt, or cet attachement n'est pas vraiment caractéristique des religieux. L'importance démesurée accordée à l'histoire n'est qu'une lubie toute récente et athée, puisque pour le croyant, les faits historiques sont avant tout des symboles : le sens symbolique n'exclue pas le sens littéral, et le croyant sait que Jésus est réellement mort sur la croix et ressuscité, mais placer le sens littéral avant le sens symbolique, ou pire ne retenir que le sens littéral, cela revient à faire de la connaissance historique une simple érudition sans grande portée, si caractéristique du savoir profane moderne. Le croyant sait bien que « la vérité historique elle-même n'est solide que lorsqu'elle dérive du Principe » (Tchouang Tseu).
Bonjour,
Pour l'Occident moderne, l'histoire est un enjeu majeur, qu'il s'agisse de nier qu'elle a un sens à la manière de Frédéric Nitche, réclamant le retour à l'ancien état du droit naturel, ou bien au contraire d'affirmer qu'elle a un sens.
- Vous avez raison de dire que la vie religieuse n'incite pas à s'intéresser à l'histoire : mais le christianisme est une anti-religion. Jésus-Christ est assassiné parce qu'il trouble l'ordre religieux, plus encore que l'ordre civil. Il y a bien une manière de réduire le message évangélique à une méthode religieuse ou à une fonction sociale, mais cette manière est subversive de l'esprit et de la lettre, et elle a toujours rencontré au cours de l'ère chrétienne une contradiction forte, d'autant plus que celle-ci s'appuie sur le texte et la lettre. Le plus radical désintérêt des questions sociales et culturelles est exprimé par le Messie dans cette parole : "Laissez les morts enterrer les morts." Dans les religions païennes, le rituel funéraire est une des fonctions essentielles attribuées au prêtre/poète.
- Le symbolisme juif ou chrétien, surnaturel et non anthropologique comme beaucoup de symboles païens, renverse bel et bien le sens littéral. Le royaume du Christ, est nécessairement opposé dit justement Augustin d'Hippone, à ce que les hommes entendent NATURELLEMENT sous ce vocable. Le symbolisme de l'épouse du christ, décisif en ce qui concerne la conscience historique chrétienne, contredit ce que l'on peut entendre naturellement par le mot "épouse", et même le symbolisme païen qui représente les institutions - grandes villes, nations, voire continents, sous les traits de femmes aux formes généreuses.
- La question du symbolisme des "événements politiques" est différente. Si l'on prend l'exemple de l'aventure sanglante napoléonienne, par exemple, elle est associée à tellement de signes sataniques que sa signification est transparente pour le chrétien. La véritable question n'est pas de savoir par quelle sorte d'esprit Napoléon est possédé, mais plutôt : pourquoi les tyrans qui se réclament du droit naturel satanique continuent-ils d'usurper le symbolisme chrétien ? C'est d'ailleurs une question que l'antichrist Nitche se pose. Pourquoi le monde moderne ne parvient-il pas à éradiquer le christianisme, alors même que les derniers chrétiens ne témoignent plus que d'une vague culture chrétienne éloignée de l'esprit évangélique ?