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Du rêve démocratique

Alexis de Tocqueville situe utilement la démocratie en Amérique, bien qu'on peut concevoir cette idéologie comme la métastase d'un mouvement politique né en Europe.

Rares sont les penseurs français à ne pas avoir pressenti la nature totalitaire de l'idéal démocratique. Tocqueville lui-même est circonspect ("De la démocratie en Amérique"), et son propos modéré au regard du mysticisme contemporain de la religion des "droits de l'homme".

Tocqueville cherche à comprendre la démocratie plutôt qu'à l'imposer, et il en brosse par conséquent un portrait contrasté. Il rêve d'une démocratie aristocratique ou élitiste ("Pourquoi l'étude de la littérature grecque et latine est particulièrement utile dans les sociétés démocratiques").

Même si elle comporte quelques détails pertinents, dans l'ensemble l'analyse de Tocqueville est insuffisante. "De la démocratie en Amérique" est un ouvrage qui vaut surtout pour les fanatiques d'une idéologie, dont il peut servir à tempérer les ardeurs. Indissociable du totalitarisme, le rêve démocratique a viré au cauchemar au XXe siècle.

Tocqueville explique que la centralisation de L'Etat est une tendance démocratique. Il est ainsi permis de voir dans le régime despotique de Louis XIV et son administration centrale un préambule à l'avènement de l'Etat bourgeois ("Que les idées des peuples démocratiques en matière de gouvernement sont naturellement favorables à la concentration des pouvoirs").

Tocqueville lie à juste titre l'idéologie démocratique à la notion d'égalité ou d'égalitarisme. Sous cet angle plus étroit, on peut d'ailleurs croire les Français attachés à la démocratie ; ils sont en réalité attachés à leur indépendance, à quoi le principe d'égalité peut paraître favorable. C'est sur le plan religieux que les remarques de Tocqueville s'avèrent intéressantes, car celui-ci se montre conscient que le culte démocratique est en partie le produit de la morale judéo-chrétienne.

Le chapitre "Comment l'égalité suggère aux Américains l'idée de la perfectibilité indéfinie de l'homme" contribue à élucider la nature religieuse de l'idéologie démocratique, et le rôle de l'onirisme dans la culture des régimes bourgeois totalitaires. Il faut ajouter que l'idéologie égalitaire est typique des idées qui sont à première vue imputables au christianisme. La plupart des cultes païens sont "providentiels", et par conséquent hermétiques à l'idée d'égalité. Tocqueville considère pratiquement la démocratie comme un catholicisme qui aurait débordé les frontières juridiques de l'Eglise romaine.

"L'égalité suggère à l'esprit humain plusieurs idées qui ne lui seraient pas venues sans elle, et elle modifie presque toutes celles qu'il avait déjà. Je prends pour exemple l'idée de la perfectibilité humaine, parce qu'elle est une des principales que puisse concevoir l'intelligence et qu'elle constitue à elle seule une grande théorie philosophique dont les conséquences se font voir à chaque instant dans la pratique des affaires.

Bien que l'homme ressemble sur plusieurs points aux animaux, un trait n'est particulier qu'à lui seul : il se perfectionne, et eux ne se perfectionnent point. L'espèce humaine n'a pu manquer de découvrir dès l'origine cette différence. L'idée de la perfectibilité est donc aussi ancienne que le monde ; l'égalité ne l'a point fait naître, mais lui donne un caractère nouveau.

(...) Ce n'est pas que les peuples aristocratiques refusent absolument à l'homme la faculté de se perfectionner. Ils ne la jugent point indéfinie ; ils conçoivent l'amélioration, non le changement ; ils imaginent la condition des sociétés à venir meilleure, mais non point autre ; et, tout en admettant que l'humanité a fait de grands progrès et qu'elle peut en faire quelques-uns encore, ils la renferment d'avance dans de certaines limites infranchissables."

Tocqueville ne songe pas à tancer le christianisme, à l'instar de Nietzsche, pour avoir doté l'humanité d'une anthropologie défaillante ou irrationnelle. Catholique, T. n'est pas éloigné de voir dans la démocratie une manifestation de la propagation de la religion chrétienne à travers le monde, tout en conservant sang-froid et prudence devant une métamorphose politique dont les bienfaits restent à prouver à ses yeux.

Cependant le christianisme est absolument dépourvu de caractère anthropologique*, et l'idée d'un régime politique dans lequel le christianisme pourrait idéalement s'épanouir est contraire à la lettre et l'esprit évangéliques. Le cas de Tocqueville illustre que l'idéologie démocratique, bien plus sûrement qu'elle ne dérive du christianisme, dérive de principes aristocratiques mêlés absurdement ou par ignorance avec un culte chrétien superficiel, dégagé de ses obligations de respect de la vérité, qui dans le christianisme se confond avec dieu lui-même.

(*Les soi-disant chrétiens qui affirment le caractère anthropologique du judaïsme ou du christianisme nient implicitement que le christianisme soit une religion révélée, et ne le font que pour rendre service aux élites capitalistes démocrates-chrétiennes.)

 

 

 

 

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