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De Shakespeare à Sollers

Dans un article récent, P. Sollers décerne aimablement à Shakespeare le titre de "plus grand tragédien de l'Occident", avant de se pencher sur la personnalité énigmatique de l'auteur, que très peu d'éléments factuels permettent d'identifier, ainsi que le souligne Mark Twain dans une petite pièce comique.

L'abondance à peine croyable des sources de Shakespeare, tant historiques que littéraires, mythologiques, bibliques, chrétiennes, juridiques, astronomiques, folkloriques, géographiques, etc., qui procurent à l'oeuvre du tragédien anglais son exceptionnelle densité, suffisent à forger la conviction du journaliste américain qu'un jeune acteur de province, aussi doué soit-il, ne peut en être l'auteur.

L'opinion de P. Sollers est tout ce qu'il y a de plus banal ; on sait que les plus grands noms de la littérature occidentale ont tenté de se hisser au niveau de Shakespeare, Voltaire ou Hugo pour ne citer qu'eux. Pour se limiter au périmètre de la France, Molière et Balzac en sont sans doute les plus proches. Molière en raison du caractère antisocial de son propos, le plus dissuasif d'espérer quelque chose de la société en termes de vérité. Balzac parce qu'il appartient au genre mal nommé du "fantastique chrétien", mal nommé puisque c'est l'utopie politique qui est, du point de vue réaliste de Balzac, le rêve ou le néant vers lequel se précipitent les sociétés, et la nouvelle fiction susurrée à l'oreille des peuples par la bourgeoisie en guise de religion. Elle consiste simplement à conférer à l'au-delà une fonction politique qu'il n'avait pas, ou qui était plus restreinte dans l'antiquité. La démocratie est une sorte de paradis ouvert à tous. Shakespeare, Molière et Balzac ont en commun d'être des négateurs de "l'au-delà", dont ils illustrent la dimension psychologique triviale. Aucune société ne peut se passer de l'exaltation mystique de la chair, suivant la tournure d'esprit qualifiée dans le judaïsme et le christianisme de "fornication" (cf. Swedenborg, où Balzac a trouvé une partie de son inspiration), pas même les sociétés bourgeoises puritaines, qui l'exaltent bien plus encore, exactement comme le masochisme est une quête de plaisir plus mystique que la recherche d'une satisfaction ordinaire.

Shakespeare a aussi des adversaires, voire des ennemis, et leur propos est parfois plus éclairant sur Shakespeare que celui d'admirateurs aveugles. C'est sans doute pour le parti de la "franc-maçonnerie chrétienne", expression qui permet de désigner le large usage du christianisme en Occident, à des fins élitistes et politiques, que Shakespeare est le plus dérangeant, car il n'a de cesse de peindre les hommes d'Eglise au service des princes et monarques chrétiens comme des suppôts de Satan, ou des imbéciles "arroseurs arrosés", s'agissant de théoriciens plus idéalistes (Th. More). Et cette peinture saisissante s'accompagne d'une dénonciation drastique de la culture médiévale, qui procède de l'amalgame entre le paganisme (néo-platonisme) et le christianisme. Autant dire que Shakespeare ouvre une voie d'eau dans la théorie de la nef occidentale battant pavillon chrétien - une voie d'eau qui n'est pas tant faite pour détruire le navire que pour permettre aux voyageurs de s'en échapper.

La piste du génie de Shakespeare, suivie par Sollers pour tenter de retrouver l'auteur, comme on résout une devinette, n'est pas la bonne. En effet, Shakespeare n'a rien d'un génie. C'est le moins original des auteurs. Le génie ne sait pas ce qu'il fait, parfois il n'a même pas la maîtrise de ses actes ; tout au plus, quand il a survécu à son génie, le génie en comprend-il a posteriori la portée. Les génies, les grands, demeurent incompris des foules qui les admirent, les croyant forts, alors qu'ils savent, eux, au contraire, qu'ils sont plus petits que l'art qu'ils ont pratiqué. Les grands génies ne peuvent que s'incliner devant la nature, dont ils sont les porte-voix. En matière d'histoire, le génie n'est d'aucune utilité. Rechercher la signification des événements du passé ne permet pas de guérir l'homme des passions qui l'ont conduit à commettre des erreurs, et qui, les siècles passant, le conduisent à répéter les mêmes erreurs en pire, suivant le principe qui veut que, quand on n'avance pas, on recule. Avec le temps, synonyme de perspective, l'erreur humaine ne fait que s'aggraver, et la culture refléter de plus en plus le prisme humain. L'histoire ne se conçoit que comme prophétie, et Shakespeare est un prophète pour les temps reculés où nous sommes.

 

 

Commentaires

  • La pièce de Twain c'est Est-ce que S. est mort?? un lien pour la lire ?

  • mince alors vous sévissez toujours! il va falloir que je rattrape mon retard abyssal!

  • On ne rattrape jamais rien en terme de temps, la mère l'oie, et surtout pas quand on est au fond du trou, à l'extrême rigueur peut on se rattraper soi-même encore que ça dépende surtout de la profondeur de l’abîme au-dessus du ou de laquelle on s'est laissé aller à batifoler. En tout cas c'est ce que vous sauriez si vous aviez été un peu plus présente ces derniers temps et moins dans votre cul de basse cour (Oui bon c'est gratuit mais suis pas payé par Lapinos non plus, et puis vous mentez peut-être, vous êtes peut-être du genre à retranscrire les billets de Lapinos à vos enfants, dans votre/leur langue depuis des années, qui sait?)

    En fait mon expé perso c'est que c'est très difficile de faire entendre ce que dit not' Lapinos à une femme ou à un pédéraste élevé sous la mère comme il dit. Il faut faire taire la femme qui est en soit pour commencer ce qui est quand même plus facile pour un homme. Ensuite la femme en qui on a été (la mère) et enfin la femme qu'on a choisi un jour par distraction (c'est vraiment celle qui est le plus dur à faire taire, pour sûr, et c'est sûrement la raison pour laquelle l'apôtre nous dit que bon, si vraiment on peut pas faire autrement...mais mieux vaut essayer de pas être trop distrait quand même, le piège de la femme c'est pas en rêve, putains de moines!).

  • C'est la peur qui détermine les femmes à pencher du côté de la société plutôt que du côté antagoniste du Christ, le plus dissuasif de tout espoir social.

    Avec les femmes démocrates-chrétiennes comme cette MotherGoose, il faut aborder directement la question de Satan, entrer tout de suite dans le vif du sujet. Le culte que les femmes vouent à Satan depuis des millénaires suffit à établir le sérieux de la mythologie juive de Moïse.

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