Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Shakespeare & Copernic

Dans une note récente, je commente la thèse d'un astronome américain (Peter D. Usher) soutenant que la plus fameuse des pièces de Shakespeare, "Hamlet", aurait pour thème la "révolution copernicienne".

Pour résumer je la commente ainsi : - oui, la théorie de l'univers héliocentrique est bien au centre de cette tragédie ; - non, Shakespeare ne fait pas la promotion de la théorie héliocentrique redécouverte par N. Copernic (dont on peut légitimement supposer que le personnage de Polonius est l'avatar).

Alan S. Weber (du "Weill Cornell Medical College" au Qatar) prolonge les réflexions de Peter Usher, dans un article intitulé "What did Shakespeare know about copernicanism?"Il y soulève le problème qu'un historien ne peut manquer de soulever à propos de la thèse du thème astronomique de "Hamlet". Du temps où fut publiée la pièce (1601), seul un nombre restreint d'érudits avaient connaissance de la théorie de Copernic, un nombre si petit qu'il est à peine exagéré de dire que l'on aurait pu les compter sur les doigts de la main... dans toute l'Europe.

"L'époque élisabéthaine est trop précoce pour avoir complètement digéré plusieurs théories et découvertes en physique et cosmologie énoncées plus tôt sur le continent. Plattard (1913) a démontré que les écrivains français de la Renaissance, de la dernière moitié du XVIe siècle -à l'exception de Montaigne, Pontus de Tyard et Jacques Peletier du Mans- ignoraient les thèses de Copernic [encore peut-on préciser ici que le savoir de Montaigne est volontairement superficiel, Montaigne affichant un certain dédain pour la science].

De la même façon en Angleterre, le copernicianisme est rarement abordé dans la littérature populaire avant 1630. Ainsi que Nicolson le souligne, "Sur l'imaginaire populaire, les théories de Copernic n'ont pas eu d'impact avant les observations faites par Galilée au télescope. Elles restèrent des méthodes de calcul, importantes sur le plan de la technique astronomique et des mathématiques, mais ne bouleversèrent pas l'opinion commune.(...)

L'astronome et professeur de littérature David Lévy, codécouvreur de la comète de Shoemaker-Lévy 9, fait cette remarque significative : "Du temps où la plupart des écrits de Shakespeare étaient parus, l'impact réel des idées de Copernic ne s'était pas fait sentir." A. S. Weber

- Sur le dernier point de la croyance populaire, on peut ajouter qu'une enquête d'opinion a montré en 2014 que 30% des Français restent persuadés que le soleil tourne autour de la terre et non l'inverse.

Ces remarques historiques faites, on peut continuer de nier le thème scientifique de "Hamlet" (les interprétations psychanalytiques de la pièce, bien qu'elles soient incohérentes, sont rarement contestées) ; ou bien on doit admettre l'initiation de Shakespeare au débat scientifique le plus avant-gardiste de son époque. A.S. Weber évoque ainsi l'hypothèse d'un lien entre Shakespeare et Thomas Digges, petit-fils d'astronome et lui-même érudit. Mais, la biographie de l'acteur né à Stratford-sur-Avon tenant en quelques lignes, il n'y a pas moyen d'étayer cette hypothèse.

En outre, si ces astronomes américains avancent que "Hamlet" est une pièce d'avant-garde pour son époque, ils sous-estiment à quel point. R. Descartes, plusieurs décennies plus tard, exprime l'intuition que le nouveau dogme copernicien va avoir des conséquences importantes. Cette seule intuition ne lui aurait pas permis d'écrire une pièce métaphorique sur ce thème. Et quel cinéaste aujourd'hui serait capable de faire de la théorie de la relativité d'Einstein le thème d'un film, tout en ayant un recul critique sur cette théorie et en ne se contentant pas de l'illustrer ? Car il faut observer ici que le thème scientifique de "Hamlet" n'enlève pas à la tragédie sa cohérence (qui n'est pas d'ordre psychologique mais mythologique). D'une certaine façon, on peut même se demander si "Hamlet" n'est pas encore d'avant-garde.

Et d'en revenir encore à l'attribution à Francis Bacon Verulam (1561-1626) de l'oeuvre de Shakespeare. Cet esprit précoce a pu dès l'âge de quinze ans, une fois ses études "classiques" achevées, se familiariser avec les différentes thèses astronomiques opposées. De diverses manières ; par exemple lors d'un voyage effectué en France (1576-1579) où le jeune homme approcha probablement Jacques Peletier du Mans, considéré comme l'un des membres de la "Pléiade", et comptait alors parmi les quelques esprits savants français les plus en vue. Moins célèbre que Ronsard, Jacques Peletier était plus versé dans l'astronomie et la géométrie algébrique. A propos de cette dernière science, F. Bacon émettra ultérieurement d'importantes réserves dans son "Novum Organum", qui ne sont guère éloignées de celles formulées par Aristote.

*Précisons que si la thèse de "l'argument scientifique de la pièce" était avéré, quantité d'ouvrages critiques portant sur l'oeuvre de Shakespeare seraient désavoués, pour ne pas dire la plus grande partie (les interprétations freudiennes psychanalytiques également). Cette précision est utile pour expliquer qu'il faut s'attendre à une levée de boucliers contre cette thèse dans l'université. Les représentants de la science scolastique ont en effet tendance à ériger en dogme le caractère énigmatique des principales pièces de Shakespeare. D'une certaine façon, il n'est pas étonnant qu'une telle audace émane d'un "astrophysicien" ; celui-ci malmène les idées reçues dans les facultés de lettres, tout en épargnant les idées reçues dans le domaine de l'astrophysique aujourd'hui.

Commentaires

  • Exit la thèse du canado-rital Tassinari, trop médiatisée pour être scientifiquement sérieuse, de plus ce Florio, royal language tutor at the Court of James I, and a possible friend and influence on William Shakespeare also the first translator of Montaigne into English, proche du poète Samuel Daniel semble avoir été plus mondain, littéraire, psychologue qu'un John Dee, chef de file de la Renaissance élisabéthaine (1558-1583, qui fut le mentor du Digges proposé par Weber) et dont les liens avec Bacon semblent avérés voir http://www.sirbacon.org/links/dblohseven.html .
    - Tycho Brahe soutient une théorie qui garde la Terre immobile mais qui prévoit que toutes les autres planètes tournent autour du Soleil pendant que celui-ci tourne autour de la Terre, ce qui, sur le strict plan mathématique, est équivalent au système de Copernic d'après un certain J. L. E. Dreyer, A History of Astronomy from Thales to Kepler, 1906.
    -Le Polonius d'Hamlet pourrait aussi être le prince Laski qui emmena Dee en 1583 à la cour de Rodolphe II de Habsbourg, l’empereur des alchimistes, protecteur de Dürer, Arcimboldo, Tycho Brahé, Kepler, etc., et celle du roi de Pologne Stefan (Étienne Báthory , né à Szilágysomlyó (Hongrie à l'époque aujourd'hui Roumanie) en 1533 et décédé le 12 décembre 1586 à Grodno (aujourd'hui Biélorussie), fut voïvode (chef militaire 1571–1576) puis prince de Transylvanie (1576-1586) et enfin roi de Pologne (1576-1586), compte tenu de l’ambiguïté de la "nationalité" de Copernic à l'époque. Ce prince Laski semble avoir été une sorte d'escroc de haut vol, prince et financier malheureux, médium et sans doute très "savant" au contact de Dee.
    - L'enjeu de tout ça est crucial, l'univers fini baconien et conforme aux saintes écritures et à la prophétie chrétienne ou infini (héliocentrisme copernicien moderne) et donc religion de l'avenir antechristienne. Faut-il encore une fois citer le prophète Joel via Bacon: "Vos fils et vos filles prophétiseront, Vos vieillards auront des songes, Et vos jeunes gens des visions". Précisons avec Bacon que les visions ont plus de valeurs que les songes et que les jeunes sont les anciens car ils viennent avant nous, tandis que nous sommes les vieillards de l'histoire de l'humanité, les derniers hommes comme dirait Nitche.

  • Relevante et bondissante anecdote:
    The Earl of Leicester, Robert Dudley (the Queen's favorite), was the first man, according to Dodd to license a band of players for dramatic purposes. Without a license, acting was illegal in Elizabeth's England. It was through Leicester's sphere of influence, that a young Francis Bacon had developed interest in drama and the theater while getting the opportunity to know James Burbage, the first man to build a theater in England. Bacon would also get to meet in the Court circles the man who had tutored Leicester and advised Elizabeth on matters of state -the man whom Ian Fleming modeled his 007 James Bond character on, the first and perhaps the best secret agent of the crown, Dr.John Dee.

  • - A propos de la thèse Florio (de Tassinari), il est inexact de dire que Shakespeare est "italianophile" ; Shakespeare, bien qu'il s'est parfois inspiré d'auteurs italiens, modifie substantiellement le sens de leurs oeuvres, quand il ne le renverse pas carrément ; la plupart du temps, Shakespeare s'applique à démolir le fondement héroïque et légendaire de la culture européenne de son temps, largement romain. L'histoire n'apparaît selon Shakespeare qu'une fois table rase faite de la culture. En cela, Marx est l'héritier le plus fidèle de Shakespeare. L'idée développée par Marx que la civilisation romaine fut décadente dès le début est une idée que l'on retrouve déjà chez Shakespeare.

  • Le prince Laski et l'alchimiste John Dee se sont en effet rencontrés en Angleterre à la cour d'Elisabeth Ire en 1783 ; John Dee fait partie des savants auprès de qui le jeune Bacon aurait pu se familiariser avec la théorie héliocentrique, tout comme avec Jacques Peletier du Mans. On connaît l'opinion de Bacon sur les alchimistes (inventeurs de la psychanalyse selon C. Jung) : le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il se montre très réservé, mettant à leur crédit quelques découvertes dans le domaine de l'alchimie opératoire, mais ne leur accordant ni une méthode cohérente, et sachant parfaitement ce que recouvre leur "mysticisme".
    Cependant Laski me semble avoir très peu d'envergure en comparaison de Copernic, né en Prusse polonaise, dont on pouvait subodorer qu'il deviendrait LE Polonais. Bacon sème comme le Petit Poucet des cailloux blancs (Rosencrantz et Guildenstern étaient deux astronomes danois, cousins et amis de Tycho Brahé, ayant étudié à Wittenberg) destinés à faciliter le déchiffrement de ses pièces, mais qui ne nuisent pas à leur caractère mythologique intemporel.
    De plus, Hamlet s'adresse à la "nymphe" Ophélie, fille de Polonius, ainsi : "Doute que les astres soient de feu, Doute que le soleil se meut (...)". Or, s'il y a bien une victime de son éducation et de principes erronés, en même temps qu'elle incarne la sottise moderne, c'est Ophélie. Venant de Hamlet, Ophélie ne comprend qu'une seule chose, ce sont les plaisanteries grivoises...
    Il nous reste à déchiffrer Horatio et Laërte. Là encore on peut penser que Bacon a déroulé son fil d'Ariane.

  • Si pour Horatio la référence à Horace est transparente, la critique du personnage et de son référent l'est moins pour un certain professeur émérite de l'université de Bourgogne et par conséquent sa traduction de la pièce vaut peau de balle. On pourrait citer nombre d'exemple un seul suffira : Marcellus dans un cocktail de traditions superstitions et théologie a propos du chant du coq qui fait disparaitre le spectre : "It faded on the crowing of the coq,/ some say that ever 'gainst that season comes / wherein our saviour's birth is celebrated / The bird of dawning singeth all night long; / And then, they say, no spirit can walk abroad, / the nights are wholesome; then no planet strike, / No fairy takes, nor witch hath power to charm, / So hallowed and so gracious is the time. " ce à quoi Horatio répond qu'il en a entendu parler et qu'il y croit en partie. Critique en passant du manque de rigueur scientifique d'Horace (l'aere perennius qui tant charmait Nitche mais pas que) et du même coup de l'université de Wittenberg, haut lieu de l'humanisme protestant alors naissant d'où proviennent Horatio et Hamlet. Donc notre prof émérite traduit "no planets strike" par: nulle planète alors n'est fatale (!) il est dès lors impossible d'y voir une allusion à la découverte de Tycho Brahé car "strike" a le sens de frapper l'esprit mais aussi celui de découvrir, le jeu de mot est lumineux si j'ose dire, mais il n'éclaire certains que pour mieux aveugler les autres. Pour qu'il eût frappé l'esprit du prof il eût fallu que ce dernier en possédât un et ne fût pas possédé par un spectre.

  • 1/ Hamlet donne du "soldats, SAVANTS et amis" à Marcellus et Horatio. Shakespeare joue manifestement sur le double sens de la vigie/vigile, militaire et scientifique ou prophétique. Allusions évidentes également dans l'acte I à l'épiphanie des mages qui suivirent l'étoile qui les mena jusqu'à Bethléem.
    2/ Francisco et Bernardo, présents au début, quittent ensuite la scène l'un après l'autre. Francisco et Hamlet parlent tous les deux de "souris". Pour dire qu'il a eu une garde tranquille, Francisco : "Pas une souris n'a bougé." ; pour parler de l'acte qu'il a écrit et fait jouer, Hamlet : "Une souricière." Coïncidence, mais on pourrait concevoir une mise en scène, par exemple, dans laquelle Hamlet serait présent dès le début, sous l'habit de Francisco.
    3/ Il est assez clair que Marcellus et Horatio sont représentatifs d'une culture médiévale, qui mélange des éléments de culture païenne, astrologie, alchimie, croyance dans les fantômes et dans un diable-mauvais esprit, avec des éléments catholiques (un des thèmes préférés de Bacon est l'exigence de ne pas mélanger ces croyances et le rejet d'un syncrétisme bien plus typique du moyen-âge que de la Renaissance, contrairement à un préjugé répandu) ; mais, sur un autre plan, Marcellus et Horatio ont conscience de la "pourriture du Danemark" ; ils n'en sont pas les chevilles ouvrières, à l'instar de Polonius, qui du point de vue shakespearien est le personnage le plus condamnable avec Gertrude. C'est ce qui explique l'amitié de Hamlet avec Horatio.
    3/ En ce qui concerne Laërte, je crois qu'il faut partir de la juste remarque que certains commentateurs ont faite que Laërte est presque le double de Hamlet ; et prendre en compte l'indice qui nous est fourni du prénom antique. Comme Hamlet, Laërte est "amoureux" d'Ophélie, dans un sens sans doute plus sexuel et "oedipien" que Hamlet. Comme Hamlet, Laërte veut "venger" son père, mais il s'agit d'une vengeance banale. Je dirais : la psychanalyse peut expliquer Laërte, mais elle ne peut pas expliquer Hamlet. En un sens, je dirais que Laërte, comme Horatio, nous mettent sur la piste de Hamlet, en nous indiquant qui il n'est pas, mais avec qui on pourrait le confondre facilement.
    4/ A propos de Yorick, une remarque : de nombreux aphorismes de F. Bacon concernent les bouffons, sur le thème de la folie du bouffon qui contraste avec la raison politique, et de la raison du bouffon qui met en exergue la folie inhérente à la politique.

  • En effet les psys expliquent très bien Laërte mais entre eux car pour ce qui est de l'expliquer à leurs (im)patientes c'est une autre paire de manches, si j'ose dire! Ma Pénélope qui tourne à l'Ophélie en a perdu patience sur ce coup-là.
    Le Yorick m'a soufflé l'idée d'un personnage à créer (bande dessinée?) de nain moderne qui remettrait en cause les principes et préjugés des parents tout en amusant et édifiant les enfants sur les folies modernes, téléphones et tablettes à l'école, accès à la pornograhie sur le net (cas de la fille de Pénélope: 9 ans), on pourrait le doter de pouvoir étrange, genre Yorick le nain champion de basket grâce à une détente prodigieuse, etc. (en russe Karlick Yorick, Karlik = nain).

  • Yorick en banlieue, dont l'arme fatale serait une mâchoire d'âne, celle de Caïn, comme massue, boomerang, voire kalach recyclée, dealer de drogues douces (livres anciens, possibilité de semé des indices scientifiques) ou plus dures (roman de Ouai-le-bec, encyclique du pape, du pope et du pipe). Yorick au cinéma, à la messe, au concert, en ski, à l'usine, actionnaire du groupe Aurore, conseiller spécial de "Putin" ou d'"Obahahama", Yorick à la guerre, Yorick amoureux, chez le psy, le coiffeur, le boucher, etc.

  • Freud avait avec sa fille des rapports comparables à ceux de Polonius avec Ophélie.
    Ton idée de BD me fait penser aux contes antipédagogiques de Tomi Ungerer, dont la carrière new-yorkaise fut interrompue pour cause de misogynie.

  • -Quel genre de "rapports" peuvent avoir entre eux un pédéraste et une paed Ophelia?
    -Suis pas assez bédophile pour apprécier ce Tomi alsacien mais si t'as un lien je ferai un effort, si ça peut aider. En suis un peu resté à docteur Justice, Luky Luke et Astérix mais bon je connais aussi monsieur Dessiner, Léa et Zombi, et Cabu, Reiser, Brétécher, Vuillemin, Franquin, Hergé et même pas mal d'autres, des plus... des moins... , je lis Zébra quoi!

  • Te fie pas à l'heure, on a déjà passé la deuxième heure ici. Cela dit il se passe des trucs bizarre dans la région, un avion étrange venant de l'ouest a failli s'abattre dans mon jardin puis a fait demi tour au dessus du champs d'à côté retour vers l'ouest avant de bifurquer au nord et de reprendre la direction de l'ouest, bimoteur gris à Hélice avec pas mal de hublot, j'ai bien cru qu'il allait s'écraser comme il tanguait comme une pastèque (mon pote m'a parler de roquettes russes vicieuses mais il est pas objectif). Pour rien te cacher j'ai prévu de construire un petit voilier, outre que j'aime ça par le Dniepr je peux atteindre Paris en prenant par le Rhône, la Saône, la Loire et ... merde faut que je regarde si on peut rejoindre la Seine, pas trop envie de passer par Gibraltar et remonter jusqu'en Normandie (putain je sais même pas où est l'embouchure de la Seine!) et encore faudra que je passe le Bosphore, c'est pas donné.

  • Il y a trois canaux qui relient la Loire à la Seine, mais c'est plutôt des voies pour les péniches : http://www.iesf.fr/upload/pdf/canauxter.pdf

  • Merci pour le pdf, me sera très utile le temps venu.

Les commentaires sont fermés.