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  • Orwell mal traduit

    George Orwell et "1984" sont souvent mal traduits, c'est-à-dire mal interprétés. Les détracteurs d'Orwell sont parfois moins éloignés de la vérité que ses laudateurs, ainsi d'un représentant du parti communiste des travailleurs belges qui n'hésite pas à diffamer Orwell comme le quotidien libéral "The Guardian" car il ne peut supporter qu'Orwell ait posé l'équivalence du fascisme et du communisme stalinien. On pourrait pourtant démontrer historiquement que c'est bien le cas : le communisme est devenu une idéologie impérialiste exactement au moment où le libéralisme le devenait aussi aux Etats-Unis.

    Jean-Jacques Rosat, spécialiste français de l'oeuvre d'Orwell a opportunément fait valoir à l'occasion de la retraduction de "1984" en français qu'une bonne traduction exige de la part du traducteur d'avoir compris le sens de l'oeuvre... ce qui est d'ailleurs le cas aussi d'un bon acteur de théâtre interprétant un rôle.

    La langue est traîtresse, source de confusion par nature. Le "Newspeak" (nouveau parler) est un outil conçu par le ministère totalitaire de la Vérité pour étouffer la Vérité (notamment la vérité historique) à l'aide du Verbe. On ne peut s'empêcher de penser ici à l'usage du latin jusqu'à la Renaissance comme langue diffusant le point de vue des élites politiques et religieuses. Sur ce point la critique du langage comme instrument de domination par Orwell rejoint la critique de Shakespeare.

    Les fausses ou les mauvaises interprétations de "1984", dont il faut rappeler qu'il a été longuement et efficacement censuré par l'intelligentsia française pendant plusieurs décennies, ignorent la dimension principale de satire de l'utopie par Orwell. Il faut préciser que c'est une caractéristique marxiste-léniniste : "utopiste" est, dans la bouche de Marx comme de Lénine, une insulte qu'ils réservent aux anarchistes. Du point de vue socialiste d'Orwell, l'anarchie est le meilleur allié de Big Brother. Orwell le décrit précisément comme un sentimentalisme politique. La Guerre civile d'Espagne avait vacciné Orwell contre l'utopie, mais il n'avait pas pour autant baissé les armes.

    Un petit exemple d'interprétation erronée : "Winston Smith termine l'histoire en héros, mais commence en complice des crimes commis par Big Brother. Orwell n'écrivait pas sur les bons et les méchants. (...)" Dorian Lynskey

    Seule la dernère proposition est vraie : Orwell montre que la fonction de la propagande totalitaire, indépendamment du fait historique du pacte passé entre l'URSS et l'Allemagne nazie, est de fabriquer une éthique binaire du camp du bien opposé au camp du mal, éthique à laquelle les élites ne sont pas soumises, bien entendu (les faits historiques qui contredisent la propagande totalitaire comme le sabotage du gazoduc NordStream ou le financement du terrorisme islamiste par la CiA et le KGB doivent impérativement être passés sous silence).

    Mais WInston Smith ne termine pas l'histoire en héros. Son histoire s'achève par une humiliation cruelle, qui fait penser à celle subie par Julian Assange mais qui est bien pire encore. Winston Smith et sa compagne Julia finissent par trahir ce qu'ils considéraient eux-mêmes comme une preuve de la dignité humaine : l'Amour. L'Etat totalitaire triomphe de la dignité humaine : il faut porter de grosses lunettes teintées pour y voir une "victoire".

    A contrario, Winston Smith est le moins complice de tous les citoyens d'Océania d'un régime "socialiste" qui exige de se mentir à soi-même pour croire qu'il l'est vraiment. L'idéalisme de Winston Smith l'empêche de tremper dans le mensonge d'Etat. Julia n'a rien d'une idéaliste, mais elle trouve dans le fait de braver la loi puritaine commune la satisfaction de son désir sexuel : elle insufle à Winston Smith le courage qui lui manque.