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  • Rentrée littéraire

    Je suis la rentrée littéraire d'un oeil distrait par le mouvement historique des Gilets jaunes. Comme je le disais à mon jeune voisin, qui ne doit pas avoir beaucoup plus de vingt ans, et pour prendre une référence qu'il connaît, la France entre 1945 et les Gilets jaunes, c'est "Le Désert des Tartares" ou à peu près, une longue période d'attente qui fait penser à la terne existence de cette pauvre Emma (Bovary), transpercée par quelques aventures.

    Cela explique l'écho de "Mai 68", qui ne doit être ni sous-estimé, ni surestimé par la jeune génération. "Mai 68" résonne dans le vide "gaullien", prolongé par le vide "mitterrandien".

    Depuis quelques années déjà, la rentrée littéraire est encombrée par des romans qui s'efforcent de capter l'attention du public avec des historiettes familiales. Les études de marché enseignent aux éditeurs que la famille est une passion féminine, tout comme la lecture de romans légers : la combinaison de ces deux tendances semble une excellente stratégie, qui explique sans doute le succès de la littérature dévirilisée - j'irai jusqu'à dire dévitalisée - de M. Houellebecq auprès des femmes. M.H. plaît autant aux femmes que L.-F. Céline leur déplaît : trop réaliste, trop cru, pas assez familial.

    Dans mon jargon, j'appelle ce genre littéraire en vogue "la queue de Proust". Loin d'être démodée, comme le suggérait le critique Ph. Sollers, "La Recherche" était au contraire ultra-moderne, avant-gardiste : la fin du XXe siècle n'est-elle pas pleine de chercheurs qui ne trouvent rien et d'enfonceurs de portes ouvertes ? On peut accorder à Marcel Proust qu'il enfonce des portes ouvertes avec une rare élégance.

    Le paradoxe de cette obsession pour les histoires de famille, qui est une obsession identitaire comme le tatouage, est qu'elle intervient alors que l'Etat capitaliste a accompli son ouvrage de destruction de la famille traditionnelle, la plus prosaïque. Le mariage gay est pure poésie, qui suppose la rencontre de deux jeunes demoiselles (j'ai croisé beaucoup de pédés au cours de mes études, mais aucun assez efféminé au point de vouloir convoler).

    Le père de famille a perdu ses droits au profit de l'Etat, grand-frère dont l'indulgence avec les femmes et les enfants semble sans limite ; et ce n'est pas nouveau puisque K. Marx note que les romans de Balzac nous instruisent sur cette évolution. Suivant la logique de Marx, on peut dire que le divorce est la formule du mariage la mieux adaptée au capitalisme, et que tout le reste n'est que nostalgie.

    A vrai dire on ne peut prendre un défenseur des valeurs familiales au sérieux en 2025, à moins qu'il ne soit membre d'une secte protestante étatsunienne, prêt à en découdre s'il le faut, le fusil à la main, contre l'Etat policier.

    Pour le reste, il s'agit de convictions "identitaires", c'est-à-dire illusoires. Même les familles maghrébines sont complètement désarmées contre la mode qui consiste pour les jeunes femmes à s'habiller comme si elles faisaient le trottoir, et les jeunes types comme s'ils postulaient tous à l'équipe de France de foot, de basket ou de rugby.

    Le dernier bouquin que j'ai lu a été publié en 1948 ; c'est un court roman d'Evelyn Waugh, "Le Cher Disparu" ("The Loved one"). Il s'agit d'une relecture ; ce n'est pas son meilleur, mais je mettrais ma main à couper qu'il surclasse tous les romans de la rentrée littéraire. Il parle du choc des cultures entre l'Angleterre, où la littérature est tout, et les Etats-Unis où la littérature n'est rien qu'un scénario de film. Il parle encore de la femme américaine, la "working girl", qui est devenue le standard féminin international, la femme qui n'accepte plus d'être entretenue mais qui veut s'entretenir elle-même coûte que coûte.

    E. Waugh parle de la Californie avant qu'elle ne devienne la Silicon Valley, c'est-à-dire la capitale spirituelle du monde ; on parle beaucoup de New York, ville enjuivée, européenne parce qu'enjuivée, mais la Californie c'est autre chose : la Californie c'est le cinéma, et les Etats-Unis rayonnent grâce au cinéma.