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deus ex machina

  • Deus ex Machina

    Le hasard est le dieu des imbéciles, dont l'ancienne formule est la grâce ou la providence des anciens catholiques romains.

    Depuis la nuit des temps, la science combat le providentialisme, et le providentialisme combat la science. Autrement dit le but élucidateur de la science s'oppose au but organisateur de la religion. Le monde, au bout du compte totalitaire, n'est pas complexe, non, ce qui est complexe c'est la foule d'informations contradictoires, de nature religieuse, sur le monde. 

    Le refus de certains biologistes évolutionnistes bornés d'entendre parler d'histoire de la science, par exemple, témoigne de leur ignorance que la science a toujours été un enjeu religieux, c'est-à-dire moral, ou politique majeur, et que la science pèse beaucoup moins sur la morale ou la politique que ces dernières contraintes ne pèsent sur la science. En somme l'influence de l'inconscient collectif est presque reconnue partout, sauf dans la communauté scientifique.

    Les scientifiques ne s'étonnent pas d'un cadre scientifique qui est devenu, depuis le XIXe siècle, une méthodologie pure, ni que le méthodisme soit un principe moral avant tout. Ils ne comprennent pas qu'il est inutile de convoquer l'éthique dans une société technocratique, puisque la technocratie est essentiellement un ordre moral, postulant un "deus ex machina", c'est-à-dire l'équivalent de la formule providentielle. Etat-hasard-"Française des jeux" revient au même que Dieu-grâce-kermesse. Dieu devient inutile peu à peu au XIXe siècle en raison du machinisme. Le paysan ne pouvait manquer de rendre grâce au dieu providentiel pour le fruit de son travail, tandis que pour l'ouvrier ou le citadin moderne "qui vit avec son temps", c'est-à-dire le plus persuadé des mérites de la civilisation dans laquelle il évolue, les machines sont autant de témoignages de l'existence d'un tel dieu, les médiateurs de la puissance de l'Etat et de ses institutions. L'encombrement des machines et leur intrusion jusque dans les détails les plus intimes de la vie dispense d'une idole supplémentaire, d'un dieu du foyer ou du comice agricole tel que Nitche l'aurait souhaité. Ce qui importe aux élites, et Nitche s'avère de ce point de vue impuissant, c'est le maintien de la main-d'oeuvre à un certain niveau d'inconscience ou de folie religieuse, dont dépend la légitimité des faiseurs d'opinion. On a vu maints vieux singes impies (dernièrement G. Steiner) déplorer à la suite de Napoléon la "mort de dieu" et la perte pour leur caste des brahmanes de ce moyen de coercition. Ce type de négationniste occulte que la bourgeoisie industrielle a troqué son dieu contre la paix sociale, et qu'elle ne peut pas payer deux fois la même monnaie de singe. Enrichi, l'homme moderne n'a plus de compte à rendre à son banquier en matière de foi, mais il doit lui prouver désormais seulement qu'il fait son devoir en consommant, digérant, chiant, et travaillant pour consommer de nouveau, suivant un cycle qui tend à prouver que l'homme a bien une parenté avec l'amibe, et qu'il peut de temps en temps faire le singe en vacances.

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    La tentative de Francis Bacon de refonder la science en la purgeant de ses préjugés philosophiques médiévaux, où la méthode prenait justement toute la place, n'a rien de "baroque", comme les moins malhonnêtes historiens de la science le relèvent (ils sont peu nombreux, et j'indique toujours Karl Popper comme le comble de la malhonnêté ou de l'imbécillité) ; cette tentative est caractéristique de l'humanisme de la Renaissance, dont l'art fut aussi le moins soucieux d'éthique - c'est-à-dire le plus réaliste et le moins fondé sur l'illusion de la perspective. Dans l'architecture somptuaire, Bacon voit d'ailleurs un signe de dégradation de l'esprit chrétien, sachant parfaitement pour l'avoir démontré par ailleurs, que le confort et l'orgueuil, l'ivresse du pouvoir, sont les deux mamelles de l'athéisme ou de l'anthropologie. Il est assez étonnant d'entendre Bacon fréquemment cité en référence aux Etats-Unis, alors même que la science polytechnique prométhéenne en vigueur aux Etats-Unis contredit tous les avertissements de Bacon contre "la science sans conscience".