Parallèle cubiste
C'est le hasard si je lis en ce moment en parallèle deux biographies, celle de Roger Nimier (1925-1962) et celle de Pablo Picasso (1881-1973). À première vue, tout semble séparer ces deux types. Pas de risque de confusion, j'ai pensé d'abord : autant Nimier est grand, autant Picasso est petit, autant Nimier est large, autant Picasso est pingre, autant Nimier est fidèle, autant Picasso est lâche, autant Nimier doute, autant Picasso est sûr, autant Nimier est anticonformiste, autant Picasso est communiste.
Le hasard car je ne m'attendais pas à ce qu'on m'offre la biographie de Nimier par Marc Dambre le jour où j'ai acheté celle de Picasso par Arianna Huffington. J'étais prévenu contre la biographie d'Huffington ; elle est Américaine et je ne devais donc pas espérer beaucoup de subtilité psychologique de sa part. De fait, A. Huffington ne peut s'empêcher de réitérer sa désapprobation féministe dès qu'il est question des conquêtes de Picasso, à chaque nouveau chapitre par conséquent, alors que personnellement je trouve que c'est un des aspects les plus sympathiques du personnage. Néanmoins l'aspect documentaire de cette biographie m'attirait. A. Huffington a en effet compulsé bon nombre de bouquins et d'articles sur son sujet, avant de composer son ouvrage, et elle n'a pas "poussé les mégots sous le tapis".
Même si A. Huffington préfère s'en prendre à la statue de Don Juan plutôt qu'à celle du Commandeur, on sent que déjà la gloire de Picasso entre dans l'ombre. Après tout Picasso appartient au moins autant aux Amerloques qu'à nous, ils peuvent bien jouer avec sa cote si ça les amuse.
Plus sérieusement, ne peut pas se poser des questions sur l'art spéculatif - et je m'en pose quelques-unes -, sans se pencher un minimum sur les spéculations de Picasso, largement inspiré par un rhéteur plus habile que lui, à savoir Apollinaire. Madame Huffington les cite l'un et l'autre assez souvent. Un exemple comique de jugement de Picasso sur Pollock, par exemple :
« Je suis contre ce genre de peinture : je crois que c’est une erreur de se laisser complètement aller, et de se perdre dans un geste, cette foi en l’acte pur me déplaît énormément. Ce n’est pas que je m’accroche à une conception rationnelle de la peinture. Je n’ai rien de commun avec un homme comme Poussin, par exemple. De toute façon, notre inconscient est si fort qu’il s’exprime toujours d’une manière ou d’une autre, en dépit de nous. »
Il y a dans cet arrêt toute l'impudence naïve de Picasso, sa foi dans les idoles du moment. Il ne voit pas qu'il tend des verges pour se faire fouetter, ou plutôt il s'en moque, ses bêtises n'ont-elles pas toujours été couronnées de succès ? Quel besoin a-t-il lui-même, Picasso, de rajouter des arêtes, des angles et des saillies dans sa peinture ? N'y en a-t-il pas assez dans la nature ? Et puis, surtout, on ne peut pas jouer sur la spéculation et en même temps vouloir la stopper lorsqu'on le désire.
À la réflexion, il y a quand même ce point commun entre Nimier et Picasso qu'ils sont tous les deux des génies précoces, gâtés par leurs mères. La spéculation non plus n'est pas étrangère à Nimier, elle est même sans doute plus spontanée chez lui. Et la vitesse, bien sûr, qui n'aura pas été fatale qu'à Nimier. Comme quoi on n'échappe jamais complètement à son époque.
Commentaires
Sans Picasso tu serais comme une femme sans ses boucles d'oreilles tu te sentirais tout nu ...
98% des femmes sont nues alors ?
Il y a des coups de pied au cul qui se perdent ? Même pas. Des culs plus nuls que nus qui ne valent la peine de rien.
Je reconnais bien volontiers que de toutes les spéculations existentialistes, ce sont celles de Picasso qui me divertissent le plus. Et puis Apollinaire a beau méduser le bourgeois avec sa critique d'art bidon, par ailleurs c'est un vrai poète, et qui sait parfaitement à quoi s'en tenir sur l'art de son pote, qu'il surnomme après la trahison de Picasso l'"Oiseau du Bénin".
(Allons, femme, laisse causer les hommes ; d'abord que sais-tu des femmes communes ? N'es-tu pas une poétesse, une Parque qui batifole parmi les menhirs ?)
Les touristes seuls batifolent parmi les menhirs. (Sauf un : Flaubert pétrifié et à qui les jambes manquent et les bras tombent face aux vestiges : "Ce sont des grosses pierres.")
Dans le même genre je connais un "fan d'Hellen" qui est allé visiter la Grèce et n'y a vu que des tas de pierres ennuyeux.
(Comme j'ai parlé de Le Pen avant de parler de menhirs, vous avez automatiquement pensé à Carnac, mais je me suis laissé dire qu'il y a des menhirs plus isolés, notamment du côté de Ploudalmézeau.)
Je vous pose la même question qu'à Driout. Et Chardonne ?
Impossible de trouver les "Lettres à Roger Nimier".
En Bretagne vous voulez-dire ? Il paraît que les meilleures librairies sont dans les hypermarchés, désormais, là-bas, et qu'en dehors de Rennes ou de Nantes, on ne trouve plus grand-chose en centre-ville.
Parce que question pélagisme, avec Chardonne, vous allez être comblée. L'apologie de la bourgeoisie vous plaira peut-être moins, bien que je sois tout disposé à soutenir la thèse selon laquelle Chardonne est beaucoup moins bourgeois que Debord.
Je ne vous conseille pas les romans "sentimentaux" de Chardonne, bien qu'ils soient susceptibles de vous plaire, mais plutôt le "Bonheur de Barbezieux", si vous ne trouvez pas les "Lettres à Roger Nimier" (J'avais perdu mon exemplaire et je viens de m'en racheter un autre, sinon je vous l'aurais offert.)
À Paris. Ni librairies (épuisé, me dit-on). Ni bouquinistes.
(À lire : Retour de barbarie/ Raymond Guérin, éd. Finitude, 2005.)
Les libraires ? N'écoutez pas les libraires, Claire, seuls les bouquinistes savent lire, les libraires font de "la mise en rayons".
De fait "Lettres à R.N.", où l'on cause de Raymond Guérin, est épuisé, contrairement au "Bonheur de Barbezieux", mais on peut se le procurer d'occase. Misère de l'édition française… Et pourtant Chardonne était un des auteurs préférés de Mitterrand, on comprend pourquoi en lisant "Le Bonheur" ; il est vrai que l'entourage de Mitterrand, je pense notamment à Jacques Attali, Régis Debray, Jack Lang, Rousselet, Jospin, tous ces gens sont d'une inculture littéraire et artistique effrayante lorsqu'on les compare à Jaurès ou Blum, par exemple.
(Vous n'êtes pas la première sur ce blogue à me conseiller Guérin, mais les premières pages de "Retour de barbarie" m'ont paru bien tristes.)
Allons, allons, Kaninchen, vous êtes bien sévère avec l'entourage de Mitterrand... Régis Debray a poussé la culture jusqu'au comparatisme (une de ses formes les plus abouties), en l'occurence entre Naples et Venise - il en ressort, en substance, que les amateurs de Venise sont des enculés mondains matérialistes, alors que les amoureux de Naples sont, eux, de vrais hommes doublés d'authentiques rebelles. Vous êtes également injustes à l'égard d'André Rousselet : certes, Canal Plus n'a jamais consacré beaucoup de place aux émissions littéraires, mais les taxis G 7 sont, grâce à une judicieuse politique de recrutement, de véritables salons (roulants) où l'on cause, et cosmopolites de surcroît. Quant à Jack Lang, je vous accorde que l'époque nancéienne de son épopée ne lui avait permis de diriger qu'un festival de jazz, ce qui n'a pas contribué à enrichir sa culture littéraire, mais que faites-vous d'un Roger Hanin, directeur et peut-être même fondateur du festival de théâtre de Pau, je vous le demande?
Pour reparler de Picassiette, pardon, de Pica sots, j' exprimais au cours d'un diner face à plusieurs décoratrices lancées, dont une espagnole de grande famille, mon aversion pour ce renégat de l'art.
Que n'avais je point dit !!!
Leurs regards ont immédiatement changés, je suis passé devant le peloton d'exécution des conformistes de la bonne et vrai pensée dominante.
Depuis, pour elles je suis mort
Dali, l'aristocrate, parlait du rôle de Picasso dans la crétinisation des esprits, c'était particulièrement bien vu, il est bien le reflet de son époque.
Dali avait raison
Il ne faut pas prêter à Picasso un si grand rôle, sans Vollard, Kahnweiler, les Stein, Apollinaire, Cocteau, Picasso n'aurait pas une telle cote. Dali n'est qu'un jaloux. Apollinaire, surtout, a joué un rôle décisif, il a donné à Picasso le vernis qui lui manquait. Mais peut-on en vouloir à Apollinaire ? Il n'a fait que s'adapter aux circonstances, après tout. On ne peut pas voir l'affaiblissement de l'art, de ses moyens et de ses effets, comme la conséquence d'une sorte de virus poétique qui se serait déclenché soudainement. En outre Picasso est quand même un créateur de formes, supérieur à un calligraphe japonais, tandis que Dali, lui, c'est un peu de technique, mais pas plus que Picasso, et un autre genre de bluff encore moins intéressant.
(Pfff, pas difficile de savoir que les amoureux de Venise sont des enculés mondains matérialistes, sans bouger de mon terrier j'en suis capable, y'a qu'à voir Sollers.)
Ferdinand Bac 1859/1952 était un grand amateur de cette ville aquatique sur laquelle il a beaucoup écrit et qu'il a souventes fois dessiné. J'espère que tu ne le ranges pas parmi les matérialistes exaspérés !
Je déconnais, Driout, étant donné que Sollers a à peu près tout préfacé et professé, je ne peux pas m'en servir d'antiguide touristique.
Cela dit s'il fallait choisir je choisirais plutôt Naples, les vrais mafieux m'attirent plus que les mafieux des lettres.
(Connais pas Bac.)
Dali était Le seul et unique génial génie ailé de l'époque :
http://www.youtube.com/watch?v=XFM6AwUZGg4&mode=related&search=
Bac un homme de goût ! Pas un type qui faisait du tapage en ayant l'air de croire qu'il allait tout casser comme Sollers depuis cinquante ans !
http://www.cg06.fr/tourisme/jardin-les-colombieres.html
Mais ne t'inquiète pas cette race est éteinte et tu ne risques pas d'en rencontrer un exemplaire au coin de la rue.
À leur grande époque les Doges avaient la main lourde tu aurais pu demander à Casanova ce qu'il pensait des Plombs de la Sérénissime !
Mais les peintres des doges, quelle légèreté de touche, surtout à côté du surréalisme pompier de Dali (Je préfère nettement le Dali humoriste, homme d'esprit, Danielle.)
En ce qui concerne la littérature, ne soyez pas si pessimiste Driout, la génétique nous réserve des surprises ! Pour la peinture c'est plus compliqué, elle repose sur toute une tradition artisanale, et lorsque le métier est cassé, on ne peut pas le faire repartir comme ça, d'un coup. Le peintre est tributaire du marché, l'écrivain beaucoup moins.
Mon Lapinos sans vouloir t'offenser que vient faire la génétique là-dedans ?
Crois-tu sérieusement que Baudelaire aurait eu sa chance à notre époque face à un Ardisson, un Guillaume Durand, un Bernard Pivot ?
Je te parle du "goût", une certaine manière de sentir et de se tenir, c'est cela qui est mort, le bruit des médias couvre tout !
De Chardonne, on se permettra de recommander : Les lettres à Roger Nimier et Vivre à Madère.
Il faut bien cependant bien admettre que "les romans sentimentaux n'ont pas très bien vieillis ou plutôt ne sont pas assez éloignés dand le temps...dans 50 ans on lira peut-être ça comme La Princesse de Clèves.
De Guérin avant tout la trilogie : L'Apprenti, Parmi d'autres feux et Les Poulpes.
Chardonne n'aimait pas la comparaison avec "La Princesse", qui ne lui plaisait pas.
Quant à Baudelaire, Driout, je ne suis pas sûr qu'on puisse dire qu'il ait vraiment eu sa chance à son époque.
Aujourd'hui une assistante sociale et un conseiller de l'ANPE l'enverraient chez un pyschiatre qui lui prescrirait une camisole chimique et beaucoup de séances de psychanalyse ... on ne le verrait même pas comme un écrivain, du moins au XIXème on l'a publié !
Tu te fais des idées sur le libéralisme de notre époque ...
Est-ce que quelqu'un ici a aimé, même seulement un peu, les Destinées sentimentales ? En ce cas, ce quelqu'un pourrait-il dire un mot de cet amour ? Je l'avais lu il y a quelques années quand elles furent adaptées au cinéma et qu'il y en avait plein les journaux (pas vu le film toutefois), et je ne suis jamais passée autant "à côté" d'un livre que de celui-là. Je ne l'ai même pas détesté, c'est dire. Faut-il avoir trente ans de mariage et éventuellement un divorce derrière soi pour être sensible à son charme ?
C'est grave, docteurs ? Eclairez ma lanterne je vous en prie !
Notre rongeur favori pardonnera mon insistance, mais je n'ai pas l'impression qu'il ait fait claire repentance pour son jugement hâtif et peu charitable sur le niveau culturel de l'entourage Mitterrandien. La propre soeur de feu notre Président, l'également regrettée Christine Gouze-Rénal, produisit un demi-siècle durant des images animées de qualité, débutant aux services de propagande de Vichy et culminant avec la production du chef-d'oeuvre antifasciste "Train d'enfer", réalisé par Roger Hanin, lequel se trouvait être son mari.
Que d'injustice, aussi, envers Lionel Jospin ! Certes, celui-ci n'a que peu produit sur le plan littéraire. Mais comment pourrait-il être inculte, étant tout à la fois... fils de Robert Jospin, auteur de nombreux articles et opuscules pacifistes et collaborationistes ... mari de Sylviane Agacinski, philosophe 3ème échelon à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales ... beau-frère de l'actrice Sophie Agacinski, l'immortelle interprète de "Les malabars sont au parfum" ... et beau-frère de l'acteur Jean-Marc Thibault, inoubliable dans "Les bidasses au pensionnat", bouleversant dans "Mon curé chez les nudistes" et surtout, surtout, poignant dans "Féroce", autre chef-d'oeuvre antifasciste où il
eut le privilège de donner la réplique à Samy Nacéri sans finir à l'hôpital.
Je le maintiens : les salons du grand siècle pâlissent par comparaison avec le panthéon culturel mitterrandien.
C'est vrai, j'avais oublié Roger Hanin je le confesse, qui, au-delà des clivages démocratiques artificiels et des petits intérêts personnels, s'est toujours rangé du côté de la culture.
De Chirac, aussi énarque soit-il, on pouvait quand même dire qu'il avait des "auteurs favoris", Georges Fourest ou Alexandre Dumas… quelqu'un sait-il quels sont les auteurs favoris de Sarkozy ?
Il n'est jamais facile pour un protestant, même léger, de se "lâcher", Nadine. Chardonne reconnaît lui-même "a posteriori" qu'il a écrit ses romans pour répondre à des questions qu'il se posait. C'est très protestant de se poser des questions sentimentales, n'est-ce pas ? Ce qui me fait ajouter que les catholiques d'aujourd'hui sont très protestants, avec leur "couple sacré". Plus précisément, et c'est une grille de lecture des premiers romans de Chardonne, celui-ci écrit pour justifier son divorce.
Reste que dans un roman de C., quel qu'il soit, il y a toujours ce climat des Charentes qu'il sait rendre envoûtant - et que l'optimisme déclaré de cet auteur dissimule une détresse émouvante (à l'inverse je trouve les auteurs très pessimistes stimulants, c'est un lieu commun mais après avoir lu quelques pages de Bloy ou de Baudelaire, je me sens d'humeur à casser la gueule à une demi-douzaine de bobos.)
Ça situe Chardonne parmi les quatre ou cinq auteurs principaux du siècle passé, bien au-dessus des camuseries bénignes, par exemple, ou des constipations gidiennes.
Le fait que Chardonne soit quasiment ignoré aujourd'hui, alors même que ses idées ne sont pas réactionnaires, n'est-il pas significatif de ce que les bourgeois que Chardonne encense ont été remplacés par une autre espèce d'hommes sans autre loi que le profit, sans autre profession de foi que le socialisme libéral ?
Que lit Sarkozy ? Comme je n'en savais rien - je croyais qu'il lisait seulement des revues de presse, des études d'opinion et les oeuvres complètes de Loïc Le Meur - j'ai fait une petite recherche et selon "Livres Hebdo", l'intéressé aurait confié aimer Céline et "Belle du Seigneur". Louis-Ferdinand Destouches dit Céline et Albert Coen dit Cohen. Quel équilibre. Un auteur assez surestimé et très raciste, et un auteur très surestimé et assez raciste (la femelle du goy est par définition une saute-au-paf, surtout si ledit paf est circoncis, mais elle a l'excuse que le propriétaire dudit paf est par essence irrésistible - je résume "Belle du Seigneur"). Quelle symétrie. Nicolas a l'âme d'un centriste. Le pire est que je ne plaisante pas.
"Il n'est jamais facile pour un protestant, même léger, de se "lâcher", Nadine. (...) C'est très protestant de se poser des questions sentimentales, n'est-ce pas ?" J'ai bien envie de vous soupçonner de clichetonnage, mais bon, qui sait, peut-être avez-vous une connaissance particulière du sujet ? J'en serais surpris, vu que vous affirmez et votre catholicisme (version rétro donc peu protestante) et votre marxisme (philosophie qui a bien moins séduit les protestants que les adeptes des autres monothéismes européens). Dans l'attente de vos explications, je vous soumets une citation approximative : "celui qui n'aime ni les femmes, ni le vin, ni la musique, celui-là est bien à plaindre." Elle est de Luther.
Vous n'y êtes pas, Denis, sans doute parce que vous n'êtes pas marxiste comme moi, ce qui vous éviterait de croire que Luther a eu une influence sur les protestants. Luther est un poète. Il a eu plus d'influence sur Bloy que sur Gide ou le Dr Freud.
Mais je suis injuste avec le protestantisme, car il vrai que Rousseau lui doit pas mal de ses effets comiques ("Nous serions tous abstèmes si l'on ne nous eût donné du vin dans nos jeunes ans.")
(Le fait que Sarkozy se réclame de Céline et de Cohen prouve seulement qu'il n'est qu'à moitié mal conseillé. Mais au-delà de la réclame ?)
Merci de votre éclairage, Lapin. Je vois ce que vous voulez dire pour la détresse de l'optimisme et pour le climat provincial, mais ma méconnaissance quasi totale du sud ouest de notre pays n'aide pas. Enfin il y a donc bien quelque chose à voir avec un divorce. Je vais vous confesser une grande mienne naïveté : j'avais lu que ce monsieur était le chantre du couple, je connaissais sa réputation de pétainiste. Le livre s'ouvre sur un divorce, et LE couple du roman est celui du second mariage. Ca m'a perturbée, je ne voyais pas ça comme ça. Des seconds mariages réussis j'en connais des tas, voyez ? ce que j'attendais c'était un roman plausible et intéressant sur un premier et unique mariage. En fait je crois que ça n'existe pas, en roman je veux dire.
Je réagis très tard ces temps-ci car j'ai de très gros soucis depuis un mois avec ma connexion, il faut m'excuser d'arriver comme ça après toutes les batailles, et me pardonner de vouloir encore et malgré tout mettre mon grain de sel (enfin là c'est pour dire merci, tout de même). Si ça vous énerve, dites seulement que je me suis fait bouler au test, je comprendrai. Au fait, ça fait un moment que vous n'avez pas posté dans la rubrique "Le test" ?
Les gens qui divorcent ont souvent une très haute idée du mariage. Chardonne est de ceux-là. Ni le mariage ni le divorce ne peuvent le satisfaire complètement. Il célèbre l'amour courtois et y voit un trait typiquement français (Si le clergé contemporain avait deux grammes de culture littéraire, il se servirait de Chardonne pour peindre son idéologie dans des tons un peu soutenus.)
On comprend ce qui a pu plaire autant à Mitterrand chez Chardonne, il est plein de contradictions subtiles.
Sur la réputation de pétainiste de Chardonne, au-delà des clichés, quelques précisions : ce qui caractérise la pensée politique de Chardonne, c'est le pacifisme, il "vote" pour tous les politiciens qui lui semblent être du côté de la paix : Jaurès, Blum, Briand, Staline, Pétain, pour lui ce sont des hommes de paix (il reconnaîtra s'être trompé à propos de Staline et des vertus pacificatrices du communisme.)
Il vote en revanche contre Churchill, qu'il considère comme un homme de guerre, qui a déclaré la guerre à l'Allemagne, sans avoir les moyens de mener cette guerre, et entraîné les coïons de Français à la déclarer aussi.
Assez sensible aux hommages, le fait que DeGaulle lui fasse part de sa révérence vis-à-vis de son style et de ses idées politiques l'amènera à adoucir son jugement sur DeGaulle qu'il tenait aussi pour un dangereux ambitieux.
"La nature n'aime pas les mâles, dit à peu près Chardonne, ils sont faits pour s'entretuer."
Guérin et Chardonne étaient amis avant-guerre, et également pacifistes. Guérin a changé de vues à cause de la captivité entre autres, et il rend compte de leur violente dispute à son retour d'icelle et dans "Retour de barbarie" dont on parlait ici et dans la fin des Poulpes où il change évidemment les noms propres. J'aime mieux cette version qui est celle qu'il avait envie qu'on lise (la première c'est un extrait de son journal en fait) même si elle est moins claire pour se mettre au fait des dessous de l'histoire littéraire.
Vu ce que vous dites des relations de Chardonne et du Général (vous avez votre masque je garde le mien), en tout cas, on voit que les deux écrivains étaient d'une égale fatuité (intelligente mais quand même). Avec la vocation à l'entretuerie, la fatuité est typiquement masculine, vous ne trouvez pas ? D'ailleurs on ne dit pas "fate" ?
On ne disait pas "fate", c'est vrai, on disait plutôt "gourde" jusqu'à il y a peu. La fatuité, c'est la sottise, la fatuité intelligente est donc un paradoxe un peu lourd à soutenir, Madame, pour vos frêles épaules.
Je ne vois pas de quel masque vous voulez parler.
Le fat c'est celui que les compliments, mérités ou flagorneurs, rendent sot. On peut être sot de temps à autre, pour se reposer d'être intelligent. Je vous assure que ça arrive aux meilleurs. C'est d'ailleurs amusant de voir un homme brillant avoir le visage qui s'emplit littéralement de sottise quand il entend la chanson du flatteur.
Vous saurez, Monsieur, que mes épaules, magnifiques, ne sont pas frêles du tout.
Je faisais allusion au plaisir que ça vous fait d'avoir affaire en moi à une (gourde) gaulliste. Comme je suis une brave fille, je joue le jeu, car ce blog comme le monde est un théâtre, et je dis "le Général".
Mais ni Chardonne ni DeGaulle ne correspondent à votre description très subjective ! Les seuls compliments auxquels DeGaulle est vraiment sensible, ce sont ceux qu'il se fait à lui-même, quand il a des loisirs. Avouez que ce n'est pas la même chose…
Chardonne, lui, n'est sensible au compliment de DeGaulle que dans la mesure où c'est DeGaulle et pas n'importe quel butor qui le lui adresse, compliment qui porte sur sa vision politique (pacifiste et pro-allemande), domaine où DeGaulle a plus de prestige et d'expérience que C. - et dans la mesure où DeGaulle rompait ainsi l'opprobre dans laquelle ses partisans avaient jeté Chardonne après guerre et dont celui-ci souffrait (mais pas par vanité, sur le plan social).
Personnellement je ne connais pas ce type d'homme que vous décrivez, brillant mais qui devient sot lorsqu'on le complimente. Les rares hommes brillants auxquels j'ai eu affaire dans ma vie étaient d'une modestie supérieure à la moyenne.
Dernier point : c'est vous qui répétez à l'envi que vous n'êtes qu'une gourde, Nadine, ruse de femme bien connue, et maintenant vous m'accusez. Quel toupet ! Vous voulez savoir ce que je pense de votre gaullisme, sincèrement ? C'est un gaullisme dont vous avez hérité, de classe, et il vous importe peu de savoir s'il est cohérent ou juste, car vous êtes une femme "pratique". Et je comprends ça parfaitement.