Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Actualité de Simone Weil

Pour ce qui est des procès en antisémitisme, il ne fait pas de doute que Francis Kaplan est un expert.
Mais, encore une fois, il est beaucoup moins habile lorsqu’il s’agit de contredire l’exégèse biblique de Simone Weil, qui s’attache à repérer dans l’Ancien Testament la nécessité du Nouveau et les preuves de la “raideur” du peuple juif. Le procédé est grossier qui consiste à faire passer des questions posées par Simone Weil à des ecclésiastiques (pas toujours à la hauteur des questions, semble-t-il), à faire passer ces questions pour des réponses, et par conséquent à dénoncer de prétendues “erreurs” de Simone Weil.

*

Sur un point, le zèle de Kaplan à piéger Simone Weil est si grand qu’il l’entraîne à une exégèse qu’on peut presque qualifier de “freudienne” tellement elle est tirée par les cheveux et manque de recul humain et scientifique.
À propos du livre de Jonas, voici en effet ce qu’écrit Kaplan :
« Simone Weil dit, en effet, que “Jonas (est) malheureux que Ninive ne soit pas détruite”. Or, il est évident que Jonas dans ce livre est un personnage imaginaire, que, par contre, l’auteur est juif et condamne Jonas pour vouloir que Ninive soit détruite et, Ninive, n’étant pas juive, que le judaïsme prêche donc une religion d’amour universaliste. »
Et Kaplan de conclure que Simone Weil commet un contresens grossier en chargeant Israël du péché de Jonas. Peut-être l’auditoire habituel de Kaplan est-il habitué à gober des couleuvres pareilles... En réalité, primo, l’opinion que Jonas est un personnage imaginaire n’est pas partagée par tous les spécialistes de la Bible ;
- et secundo, quoi qu’il en soit, c’est un point de vue chrétien classique de considérer Jonas comme l’incarnation d’Israël, Jonas réticent à partager son élection avec les Gentils. Que l’auteur du livre de Jonas soit juif ou pas n’y change rien. Confondre un auteur juif avec le judaïsme tout entier est un amalgame étrange ! Surtout de la part de Kaplan, puisque celui-ci n’hésite pas dans le même temps à faire de Simone Weil une antisémite, bien qu’elle soit juive !
Si le livre de Jonas est un des pans du judaïsme, comme l'avance naïvement Kaplan, son interprétation universaliste chrétienne est pour le moins “occulte” dans la tradition juive qui continue, par exemple, de refuser les mariages de Juifs avec des non-Juives.
Kaplan est presque cocasse, car si on met à plat son raisonnement en apparence tordu, la pensée chrétienne, exprimée par Simone Weil, constitue un contresens. Ce point de vue antichrétien est en quelque sorte typiquement juif, et typiquement contemporain, est-on tenté d'ajouter si l'on se souvient de la polémique étrange déclenchée par le (mauvais) film de Mel Gibson sur la crucifixion. Il y a de surcroît chez Kaplan, à rebours de sa prétention, une incapacité totale à se projeter dans la pensée de Simone Weil. Kaplan ne fait que radicaliser inutilement l’opposition entre Juifs et chrétiens. Le juge est sans doute plus antisémite que l’accusée, inconsciemment.

*

Parfois on peut se demander si la pensée juive dominante actuelle ne cherche pas à nous démontrer que, au fond, Jésus-Christ lui-même est antisémite. Simultanément, on sent une certaine fierté, malgré tout, de la part de ces Juifs-là, que Jésus ou Simone Weil soient nés Juifs. N’est-ce pas ce qui conduit Kaplan, pour finir, à prononcer un non-lieu en faveur de Simone Weil, un non-lieu qu’il se refuse à prononcer en faveur d’Adolf Hitler ?

Ce type de logique est marqué par un narcissisme ethnique exacerbé, narcissisme que Simone Weil rejette justement avec ses origines juives pour se tourner vers l’universalisme grec, marxiste ou chrétien.
Plutôt que les hypothèses psychanalytiques bancales de Kaplan, le rejet de ses racines juives par Simone Weil doit se comprendre surtout au plan intellectuel, un plan que Simone Weil quitte rarement. Ce vers quoi Simone Weil tend, c’est une logique, une perspective universaliste moderne et chrétienne aussi nette que possible. Elle aurait sans doute préféré ne pas s’encombrer de cette “question juive” qui ne lui paraît pas une question “moderne” et la place en porte-à-faux avec ses préoccupations métaphysiques ; l’actualité la ramène de force à ce sujet ; elle subodore qu’elle va être classée comme une “philosophe juive”, et cette étiquette lui est étrangère.

Commentaires

  • je vous lis de temps en temps, j'aime bien vos textes et je les trouve souvent frappés au coin du bon sens. Mais bon, vous êtes comme tous les lapins : très productif... et j'ai du mal à lire toute votre oeuvre !
    Bon, il va falloir que je finisse par lire Simone Weil... j'ai commencé, mais j'ai trouve plus de pesanteur que de grâce...
    Pour l'antisémitisme, il me paraît de plus en plus vraisemblable que cette question échappe aux non juifs : personnellement, je n'ai jamais compris qui l'était et qui ne l'était pas : j'ai l'impression que ça dépend de ce que l'on cherche à prouver... ce qui m'inquiète, c'est lorsque l'accusation provient de non juifs, sinon, peu importe, c'est un débat théologique !

  • Au contraire de la gnose moisie de Kant ou d'Heidegger, si à la mode aujourd'hui, malgré les odes ridicules de ce dernier au Führer (sans compter sa nullissime maîtresse Harendt), Simone Weil me paraît très claire et synthétique, - "grecque", en un mot - surtout dans ses "Causes de la liberté et de l'oppression sociale."

    "Antisémite", Simone Weil a dit elle-même qu'elle l'était, par provocation sans doute, parce que les jérémiades juives ne l'intéressaient pas, elle était tournée vers l'avenir, aussi sans doute parce qu'étant juive elle s'exposait moins à des poursuites ; enfin parce que son époque était plus libre que la nôtre ; désormais, gauchistes, libéraux, capitalistes et autres évolutionnistes imposent leurs petits credos avec une force médiatique inégalée.

  • J'ai rien fait!!

  • "Le procédé est grossier qui consiste à faire passer des questions posées par Simone Weil à des ecclésiastiques (pas toujours à la hauteur des questions, semble-t-il), à faire passer ces questions pour des réponses, et par conséquent à dénoncer de prétendues “erreurs” de Simone Weil."

    Pas tout à fait d'accord!
    Si vous parlez des lettres à un religieux, les questions posées par Simone Weil expriment bien ses idées. Il s'agit non de les discuter mais de savoir si elles sont compatibles avec la foi catholique.
    Ces lettres n'ont pas reçu de réponses de son vivant et je n'en connais pas de posthumes. En tout cas, il n'est qu'à lire ses "lettres à un religieux", pour constater que beaucoup de ceux qui citent S. Weil n'ont vraisemblablement pas du ouvrir ses livres.

    Quant à Kaplan (auteur également d'un Marx antisémite), vous lui faites beaucoup d'honneur de consacrer un troisième article à sa prose. Laissez donc pisser le mérinos. Et puis le pauvre vieux, c'est son fond de commerce; dans quelques temps, il s'intéressera à quelqu'un d'autre.

  • Les lettres de Simone Weil expriment bien sûr les idées de Simone Weil, mais ce ne sont pas des idées "arrêtées", comme celles qu'on peut émettre dans une thèse ou un bouquin. Par ailleurs on n'a pas à vérifier la conformité de ses idées sur l'Ancien testament avec la foi ? Des tas d'interprétations ont toujours cohabité au sein de l'Église… Que voulez-vous dire ?

    Kaplan a une autre interprétation de la Bible que Simone Weil, fort bien, mais c'est le procédé qu'il utilise pour disqualifier son adversaire qui est malhonnête.
    Peut-être j'en fais trop, ou peut-être pas assez ? Il n'est pas dit qu'à force de laisser dire tout et n'importe quoi sur les catholiques, cela n'a pas un effet pervers. Je suis même tenté de croire le contraire, quand je vois où en sont réduits les démocrates-chrétiens, à gober sincèrement des racontards.

  • Cher Lapinos,

    Sans doute me suis-je mal fait comprendre.

    Dans l'ouvrage en question, Simone Weil expose ses vues sur différents sujets et demande à son corrrespondant de se prononcer simplement sur la compatibilité de chacune des opinions émises avec l'appartenance à l'Eglise.

    Ces opinions sont extrêmement intéressantes mais parfois à la limite de la stricte orthodoxie (voire carrément hétérodoxe), voilà pourquoi je regrette que ses lettres n'aient pas reçu de réponses.

    Bon courage et dans l'attente de lire de nouveaux billets.

Les commentaires sont fermés.