Pas de Bloy, en dehors d’une anthologie qui non seulement “tronque” les textes, mais encore ne présente pas les meilleurs - une anthologie de Jésuites ? Bloy ne se déguste pas par petits tronçons de phrases comme les grands moralistes français, La Bruyère ou La Rochefoucauld.
L’Âme de Napoléon, cité notamment dans cette anthologie, ça n’a pas très bien vieilli. Si un Allemand aujourd’hui osait écrire un bouquin sur “l’âme d’Hitler”, dans un sens positif, ce n’est pas maudit qu’il serait, mais carrément jeté en taule !
À la décharge de Bloy, il ignorait le détail et le volume des exactions atroces commises par les troupes françaises d’invasion et d’occupation dans les populations civiles européennes. Plus encore qu’Hitler ou que les révolutionnaires français, Napoléon a saigné son propre pays, irrémédiablement.
Après Napoléon, c’en est fini de la France en tant que puissance politique, même si l’empire colonial a pu donner l’illusion du contraire. Lorsqu’on est Espagnol, on peut en vouloir à Napoléon en tant que chef de guerre criminel ; lorsqu’on est Français, c’est à Napoléon assassin de la France qu’on peut en vouloir. Avec Louis XVI, c’est un des personnages politiques les plus détestables de notre histoire moderne - pour un catholique français, s’entend.
Je me rabats sur Claudel, dont la beauté - trop formelle ? - ne m’a pas encore touché jusque maintenant. J’acquiers pour trois fois rien un numéro spécial de la NRF de septembre 1955, en hommage à Claudel, décédé cette année-là.
Ce numéro de la NRF, c’est un gag ! En fait d’hommage, c’est à qui des thuriféraires convoqués par Paulhan flinguera Claudel le mieux, à coups d’encensoir. Ça confirme la méfiance de Drieu, et les insultes de Céline : ce Paulhan est un sournois, un grand sournois. Cette méthode des tueurs à gages est imparable.
Le plus doué de cette bande d’assassins post-mortem, c’est incontestablement Francis Ponge :
« Et voici mon Claudel comme et où je l’entends :
Comme et où je l’entends c’est entre clame et claudique
Mais comme clame et claudique un de ces gros dolmens branlants.
Non tout à fait pierre-qui-vire : pierre branlante. »
Il n’y a pas très longtemps j’ai lu un petit livre neuf mais néanmoins instructif de Michel Mohrt, témoignage sur ses années de collaboration à la NRF. Il y souligne l’influence néfaste de Paulhan sur la littérature française, son goût pour le gadget littéraire, pompeusement baptisé “surréalisme”.
Au vu de ces strophes calamiteuses en “à la gloire de Claudel” (sic), moi je jette le Ponge avant de l’avoir lu ! Saligaud, va !
Parmi les quelques textes inédits de Claudel publiés à la fin de la revue, je trouve un beau credo créationniste de Claudel, qu’on opposera à tous les credos évolutionnistes lourdingues qu’on peut entendre un peu partout dans les médias* :
« 1/ Je ne crois qu’aux choses et aux êtres concrets : Dieu, la Vierge, les Anges, un homme, un chien, un arbre… et je refuse toute existence autre que la logique à ces idoles qu’on appelle la divinité, l’espace, le temps, l’élan vital, etc.
Il ne faut pas réaliser les abstraits et leur attribuer un pouvoir quelconque.
2/ Je suis absolument étranger à l’idée du devenir dans la nature. Je crois que les formes ont une importance typique, sacrée, inaltérable, inépuisable. Je crois que ce que Dieu a fait n’est pas imparfait, mais fini, et qu’il a eu raison de trouver ses œuvres bonnes et très bonnes. Logiquement, l’idée d’un devenir, c’es-à-dire d’un être qui peut sauter en dehors de sa forme, me semble un véritable monstre et le dernier degré de l’absurdité. Il faut la déchéance intellectuelle du XIXe siècle pour avoir accepté une telle ineptie. (…) »
Venu du terroir champenois, Claudel est un grand esprit intuitif et désintéressé, le genre d’esprit dont la science manque cruellement désormais.
*À transmettre à l’évolutionniste X. Dor, nonobstant courageux militant pro-vie français, véritable écologiste comme Claudel.
Commentaires
Que Napoléon ait laissé la France plus petite qu’il ne l’avait trouvée, qu’il se soit servi de son peuple comme d’une rossinante qu’on peut saigner à coups d’éperons, c’est évident. A vos yeux. Aux miens. Pas à ceux de Bloy. Les exactions des troupes napoléoniennes ? Il les connaissait parfaitement, ayant lu à peu près tout ce qui pouvait exister (de son temps, d’accord, mais c’était déjà pas mal). Pour lui c’était de l’engrais à Paraclet, point. Sa vision est, comme d’habitude, théologique :
« Napoléon, c’est la face de Dieu dans les ténèbres (…). Napoléon est inexplicable et sans doute, le plus inexplicable des hommes,parce qu’il est avant tout et surtout,le Préfigurant de CELUI qui doit venir et qui n’est peut être plus bien loin… » (L’âme de Napoléon,intro, ).
A cette hauteur de vue, que voulez-vous que fassent à Bloy les grands charniers militaires ? Quand donc cesserez vous de vouloir refaçonner les gens à votre image, à les appauvrir, à les châtrer.
Quelque soit mon opinion pour Napo, je n’irai pas pour autant changer Bloy, ni tenter de l’ « excuser ». C’est un monstre splendide, dont l’imagination mystique nous dépasse incroyablement, l’homme pour qui Jésus « Est tellement l’identique de ce LUCIFER qui fut nommé Prince des ténèbres qu’il est à peu prés impossible, fût-ce dans l’extase béatifique, de les séparer ». (Vers la fin du Salut par les juifs.)
Quand à Paulhan, vous n’en direz jamais autant de mal que Léautaud dans son Journal. Reconnaissons lui au moins une choser : se « Lettre aux Directeurs de la Résistance », où il démissionne du Comité des écrivains résistants et crache son dégoût pour l abjecte épuration. Il fut le seul, et ça reste un titre d’honneur.
Non, pas "plus petite", saignée à blanc !
Certes je ne reproche pas à Bloy de s'intéresser à Napoléon plutôt qu'à l'insignifiant Dreyfus.
On peut souhaiter le mysticisme ET l'histoire, ils ne s'excluent pas.
OUi, oui, d'accord. J'entendais "plus petite" uniquement au sens géographique. Le "Vol de l'aigle" nous a fait perdre pas mal de territoires que l'intelligence de Louis XVIII, de Talleyrand et surtout la magnanimité d'Alexandre (conseillé par l'incroyable Mm de kreutzer) nous avait permis de conserver. Point.
Je voulais dire Mm de Krudener, excusez ce Tolstoïsme incongru.
Ps. Chers lecteurs, afin de vous présenter la dite comtesse Krudener, je vous avais recopié tout un passage des Mémoires de Mm de Boigne, + un texte (très cours) de R Le Forestier. Probablement jaloux de voir cité ce qu'il ignore, la bestiole a cisaillé mes 30 lignes . OK.
Bon, Mr le rédac chef, par égard pour le lecteur, laissez au moins la rectification, juste ça marxounet, histoire de ne pas induire en erreur. Merci d'avance...
L'intelligence de Louis XVIII, je ne vous le fais pas dire, surtout si on la compare à celle de son frère aîné, fossoyeur de la France et bêtement adulé de certains royalistes.
Sur Charles X, en revanche, celui-ci savait qu'il ne pouvait compter sur le soutien du parti royaliste, et on peut donc comprendre son panache et ses principes, non pas comme de l'imbécillité, mais plutôt comme "le chant du cygne".
Tandis que Louis XVI avait vraiment une marge de manœuvre et il a tout gâché.
D'ailleurs les démocrates-chrétiens ne détestent pas Louis XVI tant que ça, c'est assez logique.
La révolution bourgeoise de 1789 illustre assez bien le propos selon lequel l'"histoire est celle de la lutte des classes", qui s'oppose à la lecture idéologique en vigueur de cet événement catastrophique.
Les « royalistes » qui glorifient Louis XVI ressemblent à Chateaubriand, qui ne trouvait jamais la monarchie aussi belle que dans les cimetières. Cette dangereuse fascination pour la mort est l’un des pires poisons de la pensée monarchiste. Elle nous a, lentement mais sûrement, réduit à l’état de momie politique (avec un solide coup de main de l’épuration communiste de 44).. C’est à Louis XVI qu’on doit le funeste rétablissement des parlements brisés par Louis XV et l’imbécile réintroduction de l’obligation de noblesse pour être officier, que ses devanciers avaient su abolir. D’autres mesures (Cf Taine, Ancien Régime, vol1) contribuèrent ainsi à fermer presque toutes les portes aux enfants de la bourgeoisie, au moment où le philosophisme sapait la vielle fidélité. Et Marie Antoinette qui refusa l’aide de Mirabeau n’a rien arrangé. Et je préfère ne rien dire de Louis XVI devant le Révolution.
Les royalistes qui se gargarisent du « roi martyr » se condamnent à l’immobilisme comme tout mouvement qui veut s’épargner les saines douleurs d’une critique rénovatrice.
Les démocrates n'ont pas leur place dans ce débat, puisqu'ils haïssent le concept même d'ancien régime.
La lutte des classes ? Elle ne me pose qu’un problème, mais de taille : elle réintroduit en douce l’idée de « progrès ». Forcément, puisqu’on va vers l’Avenir Radieux. Position contraire au dogme du péché originel et à l’idée de chute.
Reconnaissons que la lutte des classes mène au charnier – et c’est bien ce qu’on a vu depuis le début de la Révolution française - nous aurons fait un pas décisif vers la vérité.
C'est vrai que mourir pour un homme , fût-il corse ou de sang royal, n'est pas mourir pour une idée, fût-elle géniale!
Attention : ce que vous dites part d’un « bon sentiment » - mourir non pour l’abstrait mais pour le concret, le charnel. Mais Hitler et Staline aussi étaient des hommes. Il faut voir, d’abord, ce qui qu’incarne dans un homme, quelle « idée » de la société il représente, car c’est toujours le cas. Le royalisme se veut un principe au dessus des hommes « le roi est mort, vive le roi ». Il s’inscrit dans la durée et dans l’idée d’héritage. Je n’ai pas le temps, hélas, d’en dire plus.
Ps Le royalisme est justement le seul principe qui réussisse à concilier fidélité à un homme et à une Idée.
Le concret et l'abstrait -qui ne font plus qu'un.