- Typiquement la philosophie (spéculative) est analytique et conduit à l'élitisme, c'est-à-dire à la "religion de l'art" selon Hegel (= SS).
- Typiquement l'art analogique ou synthétique conduit au communisme, c'est-à-dire à la libération par l'art de tous ceux qui n'inclinent pas plutôt vers la folie. L'idée de "génie artistique" relève de l'utopie pour Frédéric Engels car elle est le chemin le plus court vers le fétichisme, Proust, autrement dit la mort de l'art par asphyxie. Bien sûr il serait ridicule d'accuser Proust d'avoir assassiné l'art à lui tout seul, mais il est un symptôme caractéristique du cancer bourgeois. La mystique des arts décoratifs (les arts décoratifs ne supportent même pas la critique relative de Sainte-Beuve) qui est dans Proust, on la retrouve dans l'esthétique nazie.
On observe d'ailleurs que les doctrines des grands penseurs matérialistes à travers le temps, d'Aristote à Marx en passant par François Bacon, méritent d'être qualifiées de doctrines "artistiques", même si ça ne saute pas autant aux yeux dans le cas de Marx que dans celui d'Aristote ou Bacon ; Marx est issu d'une culture germanique qui a érigé le fétichisme et la muséographie en véritable religion d'Etat.
Le musée Pompidou est comme une parcelle de territoire allemand en plein Paris, qui témoigne de la conversion définitive de la bourgeoisie française aux principes animistes de sa cousine germaine.
Les caissiers-bureaucrates à l'entrée du Pompidou ont été surpris que je leur fasse un salut romain en passant le portique. Ils préfèrent oublier sous l'uniforme que les couleurs rouge et noire flottent et ont toujours flotté sur les régimes libéraux. Elles ont simplement viré au rose et gris sous l'effet d'un blanchiment intensif : de Julien Sorel à Frédéric Beigbeder.
J'estime en effet de mon devoir de démystifier l'art contemporain aux yeux de mon pote Henri des Etats-Unis, attiré naturellement dans cette antre à la gloire du plastique, mais sur qui la bêtise manifeste des groupes de visiteurs du Pompidou produit une lente catharsis (Henri est bien obligé de reconnaître que ces bons citoyens-là font du lèche-vitrine kulturel).
*
Ainsi un marxiste discernera sans trop de peine la dimension religieuse dans l'art de Picasso, plus ou moins grande bien sûr selon les directions prises par un génie "éclectique".
Cette dimension religieuse est trahie par un autre aspect de la peinture de Picasso : son aspect architectural. Ce gros poupon incestueux d'Apollinaire trahit sa religion avec son goût pour les cubes.
Une comparaison simple avec Michel-Ange : chez ce dernier le corps est dans l'architecture et non l'inverse, l'architecture dans le corps. Comment le traduire ? L'art de Picasso tend vers un idéal de beauté morale. Le goût des nazis et des Yankis (Gertrude Stein) pour la peinture de Picasso est loin d'être inconséquent. Autrement dit l'art de Michel-Ange est moins religieux, mieux fait pour plaire à un communiste. L'art de Michel-Ange est moins pédérastique, en outre, que celui de Picasso.
Un bon esthète au demeurant, et à cet égard Baudelaire surpasse largement Diderot et ses pirouettes de rhéteur janséniste, un bon esthète fidèle à la raison incluera nécessairement la charogne à l'idéal de beauté morale, sans quoi l'architecture, nettement organique, ne tiendra pas, faute de symétrie ; la morale est aussi binaire qu'un ordinateur. La polytechnique ne peut être élevée au rang de science véritable, elle qui est si pétrie de sexe et de morale, que dans un régime politique totalitaire.
Picasso a le mérite comme Céline de proposer un art où le classicisme et le baroque se téléscopent, un dialogue et non un monologue hystérique. S'agissant de Kandinski ou Klee en revanche, on peut parler de style ou de religiosité débordante : l'onanisme dont parle Karl Marx pour qualifier la philosophie allemande.
Celui qui ne comprend pas que l'art de Picasso est plus religieux, c'est qu'il ne sait pas faire la différence entre la beauté et la séduction ou le charme. Celle-ci est morale et magnétique (non loin de la "cristallisation" de Stendhal, dont c'est à peu près la seule formule intelligente) ; la beauté est, elle, véritablement "par-delà bien et mal" ; certainement pas "dionysiaque" bien sûr ; mais pas non plus "apollinienne" ; athénienne, tout simplement.
*
On peut enfin définir la musique ou la culture (concept germanique), comme le mode de destruction de l'art. Episode de la mythologie, Athéna jette au loin et brise la flûte charmeuse qu'elle avait embouchée et qui l'enlaidissait. Que le divertissement est compatible avec la critique et le progrès est une théorie bourgeoise. La musique est d'argent et le silence est d'or. L'ordre bourgeois fondé sur l'argent inclut la guerre et le désordre comme l'harmonie musicale comprend le chaos.
Commentaires
"Les caissiers-bureaucrates à l'entrée du Pompidou ont été surpris *lorsque je leur fasse* un salut romain en passant le portique."
nan t'as pas fait ça? et tu leur as dit quoi?
par Jupiter! j'aurais voulu voir ça!
et Henri il en a dit quoi?
L'analogie élucide en révélant, l'analyse élude en interprétant.
(trop synthétique? trop...symétrique? trop formulaire?)
Et Porteur il en dit quoi de ce texte?
Ce qui me parait difficile (paradoxal) dans ce texte c'est que j'ai l'impression qu'il est plus accessible à un croyant.
L'effort de Bacon, qui est typiquement du côté de l'induction et de l'analogie, est un effort de réduction de la science ; elle tend comme la vision artistique d'Aristote à abolir tous les déterminismes (comme dit Porteur).
Tandis que les analystes (et tout mathématicien est un analyste, Newton comme Descartes) démultiplient la science en la divisant. L'outil mathématique finit par se substituer à l'objet de la science lui-même : ici on pense fortement à Frankenstein, créature humaine qui se retourne contre son démiurge.
(Il y a un rapport étroit entre la merde et le "concept", bien vu par Céline lorsqu'il compare Sartre au ténia. Même un Yanki comme mon pote Henri est sensible à la proportion de trous du cul qui viennent lécher la vitrine du Pompidou, l'art le plus policier du monde.)