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Synagogue de Satan

Léon Bloy, facteur évangéliste en butte aux sacristains de plus grosses sectes, oppose le chrétien virtuel libéral au chrétien réel du moyen âge. Il s'est gouré d'un siècle ou deux. La Renaissance exprime une spiritualité bien plus haute, beaucoup mieux délestée du monde. Dante Alighieri qu'on peut prendre comme l'antichambre, ne s'occupe plus de faire la police comme Thomas d'Aquin avec sa loi morale naturelle, venue d'on ne sait trop quel prêtre païen, thèse qui fera florès dans les travées de la Synagogue de Satan (on peut être sûr que les cinquante versions de la loi morale naturelle ont toutes une origine égyptienne ou persane).

Comment Dieu peut-il préférer un pilier de bistrot la plupart du temps furibond, en faire son ange plutôt qu'un de ces curés bien peignés, aussi homosexuels que possible pour se conformer aux voeux des dames patronnesses ? Mystère vicieux. Par les temps qui courent, Karl Lagerfeld ferait-il pas un excellent pape au cas où l'actuel viendrait à se suicider à la tâche ? Karl a un très long col et communique avec l'excellence et l'onction d'un tartuffe planétaire.

Est-ce à l'alcool qu'il faut attribuer la confiance de Bloy dans la plume empoisonnée de Joseph de Maistre ? Même passion que Baudelaire. La rhétorique germanique, vomie d'un bloc par Bloy, a ceci de préférable pour un chrétien qu'elle est évidemment satanique : l'ennui de cette musique de chambre suffit à traduire d'où vient cette gnose ésotérique. Pas besoin d'avoir vu la carte du parti nazi d'Heidegger ni l'uniforme d'Ernest Jünger pour se douter en l'entendant que c'est une de ces brutasses sorties de la forêt noire qui prennent les Grecs pour des Romains, Aristote pour Epicure, Jésus pour Dionysos, la violence animale de la femelle pour le courage viril : "Grossartig! Wunderbar!!" Nitche a ceci de confortable pour l'industriel rhénan reconverti dans la chimie pure et 100% démocratique qu'il n'exprime RIEN hors de la métaphysique du tube digestif.

De Maistre a ceci de séduisant pour un esprit français qu'il ne se contredit pas d'un chapitre à l'autre et ne tente pas de faire passer l'ésotérisme pour le langage de Dieu. Son truc c'est plutôt le style. Bloy s'est tard rendu compte de sa méprise (1906) : "Je suis bien revenu de Joseph de Maistre (...)." Erreur compensée immédiatement par : "Nous pourrions nous trouver demain en présence d'un cas de possession universelle." Vision que Marx a exprimée plus tôt et de façon plus grecque en parlant d'attentat universel contre la réalité.

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On peut trouver ultérieurement dans la longue confession de Bloy l'explication de son erreur, si on ne se satisfait pas de celle de son dilettantisme.
"Non seulement je ne suis pas historien, mais j'ignore l'histoire. Il faut voir en moi une sorte de rêveur, de visionnaire, si vous voulez, mais rien d'autre. Que pourrais-je dire des Jansénistes dont le nom seul me donne des convulsions ?" (1913)

Tout Bloy est dans cette phrase qui le situe au niveau de Dante. C'est le défaut de science qui l'a empêché de comprendre que de Maistre est beaucoup plus noir que Baudelaire, d'une part, et très proche de l'égotisme janséniste qu'il abhorre d'autre part, cette sorte de judaïsme chrétien qui n'exclut même pas l'antisémitisme.
Fréquemment de Maistre s'exprime au nom de Dieu pour dire n'importe quoi : seul le diable peut permettre de jurer de Dieu comme ça. Ensuite la plus grande spiritualité de la Renaissance se traduit par la destruction du rêve et du hasard, idoles du fainéant ou de la femelle érotomaniaque. Le rêve tisse l'étoffe du néant, tandis que la vision la déchire.

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