J'indiquais récemment que Voltaire qualifie Shakespeare de "sauvage". Ce n'est pas l'adjectif le moins approprié, puisque la vision chrétienne s'oppose à l'angle païen de la civilisation (la théorie des "racines chrétiennes" est une théorie juridique, et le christianisme n'a ABSOLUMENT RIEN de juridique).
J'écris "angle" exprès, car la littérature de Shakespeare recèle cette prophétie selon laquelle la "terre des Angles" est la pointe avancée de la civilisation occidentale, "hyperboréenne" comme disent Nitche ou les nazis.
Certains critiques ont pu dire que le portrait des rois par Shakespeare était une sorte d'anticipation du dictateur oedipien Hitler. En réalité, c'est le "royaume chrétien d'Angleterre" qui est visé, et tous les régimes théocratiques soi-disant chrétiens par conséquent, qui inversent la spiritualité chrétienne d'une façon frappante, et qui trouve confirmation dans l'apocalypse aussi bien que les mises en garde répétées de Jésus et des apôtres contre les faux prophètes et prêtres chrétiens. La grande leçon d'histoire apocalyptique de Shakespeare est celle-ci : dans l'ordre démoniaque de la puissance morale et politique, l'étiquette chrétienne ajoute une ruse supplémentaire.
Le poète soi-disant catholique Paul Claudel écrit quant à lui : "Ces écrivains anglais, de Shakespeare à Dickens et à Kipling, sont tous des païens. Pas le moindre sentiment du Christ, pas même un soupçon de métaphysique chez l'un d'eux."
Claudel est le pharisien-type, tel que Shakespeare le décrit sous les traits de Polonius dans "Hamlet", c'est-à-dire du chrétien planqué derrière une "morale chrétienne" dépourvue de fondement chrétien. Il est impossible de fonder le catholicisme sur la morale, puisque celle-ci n'a pas de caractère universel. C'est un grand thème shakespearien que la trahison des clercs du moyen âge.
A tous les points de vue : littéraire, chrétien et métaphysique, Claudel divague. Il n'y a sans doute pas de "sentiment du Christ" (?) chez Shakespeare, en revanche pas une page qui ne se réfère aux écritures saintes ou à saint Paul, ce qu'il faut être athée ou païen pour ne pas remarquer. L'écrivain pédéraste et pédagogue (l'un va rarement sans l'autre) R. Kipling a donné des fables dont le sens est assez contradictoire, quoi qu'il en soit très éloigné du symbolisme apocalyptique de Shakespeare, le mieux maîtrisé dans tout l'art anglais, en un mot le plus logique. Si l'on tient à citer un écrivain démoniaque, pédéraste et britannique, c'est le nom de Lewis Carroll qui s'impose.
La métaphysique "par-delà le miroir" de celui-ci est typiquement païenne - "pythagoricienne" -, et c'est exactement celle contre laquelle Shakespeare livre bataille. La littérature régressive et pénible à lire pour un adulte normalement constitué de L. Carroll indique d'ailleurs assez bien que les mondes virtuels où la métaphysique païenne trouve refuge se conçoivent aussi bien sur le mode politique de l'au-delà, que sur le plan intime du rêve et de la perte de conscience volontaire.
Mieux vaut pas de métaphysique du tout plutôt qu'un "soupçon", comme dit Claudel, qui confond sans doute la métaphysique avec l'alchimie ou la cuisine italienne.
Le globe ou la sphère est pris souvent à la Renaissance comme le symbole de la métaphysique par excellence, précisément parce que c'est une forme qui n'est pas physique ; elle ne fonde donc pas de morale. Au contraire de la métaphysique païenne égyptienne ou pythagoricienne, déduite dans le prolongement de la morale ou de la politique, la métaphysique chrétienne renverse l'ordre moral, ce qui est indiqué dès la Genèse par les deux voies opposées de la chute, naturelle ou physique, et du salut, métaphysique ou spirituel.