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Art et Peuple

Aucune élite n'a jamais eu besoin de la science ou de l'histoire. Ce que l'élite requiert, c'est la religion, pour faire obstacle l'histoire, qui présente le grave défaut aux yeux de l'élite de faire perdre aux institutions leur caractère sacré. Tout ce qui relève du mysticisme ou de l'abstraction pure, ce que les autorités éthiques baptisent aujourd'hui "culture", sent nécessairement la merde pour l'historien. 

Le républicanisme peut se résumer à un élitisme: par conséquent, le républicanisme comporte un volet religieux. L'usage de la vieille ruine catholique romaine est pour détourner l'attention du fanatisme religieux républicain actif, camouflé derrière l'argument culturel. Pas plus qu'il n'y a d'historien catholique romain, il n'y a d'historien républicain.

L'historien authentique se doit donc de révéler la double face de la science moderne. Les mathématiques et la mécanique jouent dans la civilisation occidentale en phase terminale, depuis le XVIIe siècle, un rôle décisif. Or on retrouve dans les mathématiques une dimension religieuse. Pratiquement, si l'humanisme ne s'était pas opposé à la polytechnique, on pourrait dire que l'inconscient collectif occidental n'a pas évolué depuis le moyen âge. Il s'est seulement métamorphosé. Shakespeare nous montre des monarques médiévaux sans prise sur les événements, au sommet de la pyramide mais écrasés par le destin lorsque celui-ci s'inverse ; aujourd'hui ce sont des systèmes politiques entiers qui sont dans la même situation de s'agiter ou de tenter de se réformer en vain. Quand on ne progresse pas sur le chemin de la liberté, on régresse.

La culture élitiste comporte donc un aspect de dénigrement de la science, ou de subversion encore plus dangereuse à laquelle Rabelais fait allusion. Cette subversion consiste à faire passer l'outil scientifique pour l'objet de la science elle-même. De cette confusion, qui est la marque du totalitarisme, plus encore que des régimes tyranniques antiques, découle le propos marqué par le fanatisme religieux d'un Karl Popper, selon lequel la science doit se préoccuper de chercher, et non de trouver (on comprend qu'une formule aussi débile ait du succès dans l'université).

On observe le même phénomène dans l'art, dont la barbarie technocratique a provoqué la scission de la science. Pour épouser la culture républicaine, il faut abhorrer la science. Pour fabriquer l'utopie démocratique totalitaire, il faut en effet purger la culture de l'histoire. L'attachement de la pensée française à l'histoire, fait d'ailleurs qu'il n'y a pratiquement aucun penseur français à gober l'utopie démocratique, c'est-à-dire à ne pas faire le constat qu'elle est une démagogie extrêmement dangereuse. Les chefs religieux actuels qui tentent d'astreindre les jeunes générations à ce culte, ont bien de la peine à citer des références sérieuses et à occulter que la mystique de la souveraineté populaire est un emprunt à l'élitisme d'Ancien régime.

L'art dit "abstrait", c'est-à-dire musical ou mathématique est indissociable de la technique. Il ne traduit pas autre chose que la substitution de l'artiste à l'objet de l'étude scientifique. Et cette substitution traduit l'envahissement de l'art par des considérations religieuses. Un artiste qui ne voit pas que Cervantès est un artiste beaucoup plus important que Picasso ou Dali, ne connaît rien à l'art : c'est probablement un conservateur de musée, investi d'une mission religieuse. 

A l'opposé, la science véritable comporte une incitation à se méfier de l'élite et de son aspiration religieuse. Une religion truquée, reposant sur un "deus ex machina", c'est-à-dire l'homme lui-même, et, selon l'organisation pyramidale, l'élite.

Le principal et dernier appui de la culture aujourd'hui, malgré l'imposture assez évidente de ses ministres ou acteurs, est dans le confort intellectuel procuré par l'ingéniérie et la technologie. La culture française est désormais sous tutelle de la Chine. C'est-à-dire qu'un bouleversement politique en Chine pourrait contribuer à la débâcle culturelle occidentale, c'est-à-dire à la crise religieuse à laquelle on assiste. C'est un cas typique de dépendance du maître vis-à-vis de son esclave.

Il ne faut pas chercher ailleurs que dans l'université la responsabilité de l'abaissement de l'art au niveau de la foire aux fétiches ou du cinéma. Non pas l'imputer aux commerçants, aux collectionneurs, ou encore à des vandales imaginaires. Grosso modo, l'université a inventé un "cartésianisme français", qui ne correspond même pas à Descartes, et qui consiste à démontrer, sans jamais le prouver, que tout ce qui n'est pas fonctionnel n'existe pas, et donc à assigner à l'art ou à la science humaine, les limites de l'intelligence artificielle.

Commentaires

  • Bonsoir,

    J’ai, plus d’une fois, remarqué votre « Baconisme ». Peut-on aujourd’hui avec certitude attribuer l’œuvre de Shakespeare à Bacon ? Quels éléments militent en ce sens ?

  • - D'abord il faut dire que les "baconiens" fournissent le plus souvent des preuves matérielles sans intérêt. L'intérêt selon moi est de mieux comprendre l'oeuvre de Shakespeare, que l'université déclare largement incompréhensible (après quatre siècles !) ("problem plays"), et l'oeuvre de Bacon, que les historiens de la science n'arrivent pas à situer, certains faisant de Bacon un précurseur de la science moderne, et d'autres au contraire, moins farfelus, affirmant qu'il ne peut pas l'être. Moins farfelus, car un savant qui entend maintenir la mécanique et les mathématiques au rang de science technique ou pratique ne peut effectivement être qualifié de "moderne". C'est déjà un point commun non négligeable que Bacon, comme Shakespeare, quatre siècles après, résistent à l'étude critique universitaire, en dépit de l'oisiveté et du financement immenses dont elle dispose.
    - Le "baconien" le plus intéressant selon moi est Erwin Reed. Ayant remarqué le caractère profondément original de la science baconienne, il s'est attaché à en retrouver la trace dans le théâtre de Shakespeare, en particulier dans "Hamlet". On peut trouver des extraits sur mon blog du long article d'Erwin Reed que j'ai traduit. Brièvement, disons que Bacon est attaché au géocentrisme en astronomie, et opposé à l'héliocentrisme de Copernic. Hamlet est situé au Danemark, dans le chateau d'Helsinborg où le fameux astronome Tycho Brahé, tenant du géocentrisme, demeura. Et le conseiller du roi Claudius, ennemi d'Hamlet, est nommé... Polonius. Y a-t-il un Polonais plus glorieux que Copernic dans l'histoire ? En outre, Bacon témoigne d'une conscience aiguë de l'enjeu spirituel et religieux de la science et de ses répercussions différentes selon l'héliocentrisme ou le géocentrisme. Je dirais d'une conscience salutaire, puisqu'elle à peu près perdue aujourd'hui, alors que le lien entre la science et la religion est valable en tous lieux et à toutes les époques, aujourd'hui encore.
    - Il y a en outre un point qui saute aux yeux d'un chrétien, et qui explique en partie les propos à peine croyables parfois qui peuvent être tenus par des universitaires censés être sérieux. Ce point, c'est qu'il est impossible de comprendre un tragédien et un savant chrétiens sans être informé du christianisme et de son histoire. Or bon nombre de soi-disant spécialistes de Shakespeare ou de Bacon semblent à peine avoir ouvert une Bible. Un exemple concret, "Roméo et Juliette". Cette pièce et son sens peuvent-ils être compris sans s'être demandé si, comme l'affirme Luther, le sacrement de mariage catholique n'a aucun fondement évangélique ? Ni sans observer que Shakespeare se montre dans de nombreuses pièces un adversaire résolu de la culture médiévale en général, et de "l'amour courtois" en particulier ? Notez que je ne dis pas que Shakespeare est "luthérien", mais il est certainement un auteur beaucoup trop apocalyptique pour être catholique romain. De même Bacon est trop savant pour ignorer que le droit romain est la discipline la plus étrangère à l'esprit chrétien. La solution finale bestiale de "Roméo et Juliette" : un meurtre suivi d'un double suicide peuvent difficilement être pris pour un éloge de la passion, à moins d'être soi-même bestial. Et il y a fort à parier que ce n'est pas le dessein de Shakespeare d'encourager la bestialité, mais au contraire de provoquer le lecteur (les pièces de Shakespeare sont surtout faites pour être lues) à comprendre l'origine et la nature de la bestialité occidentale.
    - Pour conclure, si j'étais antibaconien, je soulignerais la contradiction entre la critique radicale de Shakespeare de la science juridique, et la fonction de garde des sceaux de Francis Bacon Verulam, auteur de traités de droit. Mais, outre qu'elle fournit un mobile à l'anonymat de Bacon en tant que tragédien, on relève que la science juridique de Bacon est elle aussi très particulière, puisque Bacon incite à se méfier de tout ce qui, en matière juridique, outrepasse le meilleur règlement des questions pratiques. Toutes les formules modernes qui témoignent d'un mysticisme juridique sont ainsi étrangères à Bacon, à qui on ne peut pas plus attribuer dans le domaine de la science juridique le rôle de "père fondateur". Le culte identitaire, la nation, les droits de l'homme, la démocratie, toutes ces idéologies modernes sont synonymes du point de vue baconien de la plus basse religion, le mysticisme juridique un moyen déjà en usage dans l'Egypte antique pour méduser le peuple et le maintenir en état d'inconscience maximale.

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