L'argument de la modernité est entièrement soutenu par la technique. Le mot "technocratie" dissimule moins bien le caractère totalitaire de la démocratie libérale, aussi les thuriféraires du totalitarisme ont-ils inventé le gadget de la "modernité", qui permet mieux de berner les foules.
Etre "moderne" est pour le bourgeois en 2013 comme d'être assuré du purgatoire pour son ancêtre de 1213.
Le fondement technique de la "modernité" explique sans doute que les Français gobent assez peu cette religion inventée par l'élite pour son seul profit.
Si l'on comprend la démonstration de Molière que la subversion de la charité chrétienne consiste surtout dans le détournement par l'élite d'un message spirituel qu'elle ne peut entendre, et que la hyène Joseph de Maistre prêche Satan sous l'apparence de prêcher Jésus-Christ, alors on comprendra que la religion moderne dérive de ce dérapage incontrôlé des élites.
Il n'est pas inutile de comprendre, puisque c'est un rouage essentiel de la mécanique totalitaire dont les élites sont actionnaires, que la philosophie d'une élite, son art, reflète toujours le système d'exploitation en vigueur, en tous temps. La pensée de l'élite est gadget. Elle en possède le charme et l'inutilité, se déprécie rapidement. Plus les systèmes d'exploitation sont puissants, plus la pensée de l'élite est nullissime.
C'est d'ailleurs ce qui explique le retentissement mondial de la littérature de Céline. D'autres l'ont fait, mais de façon moins manifeste et retentissante - tout d'un coup Céline décide, non seulement qu'il n'est pas né pour lécher des bottes, comme un intellectuel normal, mais il s'affranchit complètement des codes du langage, et accomplit ainsi ce qu'un intellectuel ne peut pas faire, en raison de la dévotion de l'élite vis-à-vis de ses propres dogmes. De même c'est la dévotion religieuse qui protège les sophismes d'Einstein d'être dénoncés comme des sophismes.
L'intellectuel est comme l'ordinateur ou le joueur d'échecs, ignorant qu'il est un imbécile.
Il convient de comprendre les meilleurs penseurs humanistes occidentaux comme des anti-intellectuels. Le rôle de l'intellectuel à l'intérieur du christianisme est d'ailleurs le plus ténébreux. Shakespeare exécute dans ses pièces des intellectuels chrétiens à bon escient.
L'humanisme explique que la recherche technologique est le meilleur moyen de faire triompher le point de vue conservateur. Il n'y a aucun paradoxe dans le goût des Japonais, profondément conservateurs et efféminés, pour les gadgets technologiques modernes. Ceux-ci ne traduisent que l'imitation servile et dépourvue d'imagination de la nature. Si l'irresponsabilité des modernes est encore plus grande que celle des conservateurs ou des réactionnaires, c'est en raison de l'imbécillité et de l'arrogance de l'argument moderne, destiné à faire croire au progrès de l'humanité.