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L'Etoile de Hamlet

Bernardo : La toute dernière nuit,

Quand cette étoile tout là-haut à l'ouest du pôle

Eut parcouru son trajet pour éclairer cette partie du ciel

Où elle flamboie en ce moment, Marcellus et moi-même,

Alors que la cloche frappait une heure... (Acte I, scène 1)

L'arrière-plan cosmologique de "Hamlet" est manifeste dès la première scène du premier acte. Shakespeare (i.e. Francis Bacon) situe son épiphanie sur le chemin de vigie du château d'Elseneur au Danemark, symbole de l'Occident pourrissant (comme tous les personnages honnêtes de la pièce s'accordent à le reconnaître).

Plusieurs fois de suite, Bernardo, Marcellus et Horatio vont voir apparaître un guerrier, revêtu des attributs de l'ancien Danemark, père du jeune héros (et mage) Hamlet assassiné par Claudius traîtreusement ; puis Hamlet rencontrera lui-même ce père qu'il croyait défunt, et dont on comprend qu'il figure désormais au ciel comme une étoile, "à l'ouest du pôle".

De quelle étoile s'agit-il ? Plusieurs astronomes ont essayé de fournir une réponse, mais la plupart du temps sans tenir compte de la signification apocalyptique de la pièce. L'étoile de l'épiphanie de Hamlet est la nouvelle étoile très brillante aperçue à l'ouest de l'étoile polaire en novembre 1572 par l'astronome danois Tycho Brahé (dont le père possédait le château d'Elseneur).

Cet événement est l'événement astronomique le plus important de l'histoire de l'Occident moderne. Il a part aux bouleversements ultérieurs de science en Occident. Non seulement Tycho (1546-1601), qui commenta l'apparition de l'étoile en détail, mais quelques autres savants en firent l'observation, dont John Dee (1527-1609), alchimiste, théologien, astrologue et conseiller de la puissante reine Elisabeth Ire. Rien d'étonnant à ce que les savants de la Renaissance, pour qui la vérité était d'ordre cosmologique, et non anthropologique comme aujourd'hui, aient accordé toute leur attention à ce phénomène astronomique extraordinaire.

Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd'hui, l'astrologue John Dee, au cours de séances de spiritisme, tenta de dialoguer les anges afin de leur réclamer assistance (cf. "Liber Mysteriorum Primus", 1582-83). En effet, Dee était parvenu au stade où ses expériences chimiques, faute de résultats probants, le décevaient. Mais ces pratiques sont-elles si étonnantes, compte tenu de la foi persistante dans la psychanalyse ou la statistique comme dans des sciences véritables, plusieurs siècles plus tard ? De même certains rituels de loges maçonniques, encore en activité, peuvent sembler aussi ridicules que les séances de spiritisme de John Dee. Mais surtout, le changement de représentation du cosmos joue bien un rôle de charnière entre la fin du XVIe siècle et notre époque "ultime".

Comme tout récit mythologique, qu'il s'agisse du conte de la Genèse ou bien des travaux d'Hercule, "Hamlet" a un sens caché. L'auteur a semé des indices à l'attention des personnes instruites, afin de les mener, par-delà l'apparence du drame, au sens tragique plus profond de la pièce.

On reconnaît les grandes caractéristiques du projet apocalyptique de rénovation de la science de Francis Bacon (1561-1626) dans la trame de "Hamlet", ainsi que son mépris chrétien de la société. F. Bacon a placé son entreprise de rénovation de la science sous l'égide du prophète Daniel ("Novum Organum"). D'ailleurs le point de vue scientifique discrédite le point de vue social, selon Bacon comme selon Hamlet. La société peut s'accommoder de vérités relatives, mais non d'une vérité supérieure, explique en substance Bacon, plaçant ainsi le savant authentique dans une situation délicate, semblable à celle des prophètes qui sont une pierre d'achoppement pour les affaires des hommes (Hamlet revendique comme Bacon une "âme de prophète").

Mais poursuivons sur le terrain de l'astronomie et de la cosmologie, en évoquant la cosmologie chrétienne mentionnée dans l'apocalypse de Jean, à laquelle on peut relier l'épiphanie prise par Shakespeare pour thème principal de sa pièce.

"Un autre signe parut encore dans le ciel : tout à coup on vit un grand dragon rouge, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes, sept diadèmes ; de sa queue, il entraînait le tiers des étoiles du ciel, et il les jeta sur la terre." (Apocalypse, XII,3)

La grande constellation "circumpolaire" du dragon, qui se dresse contre l'épouse de Jésus-Christ (l'Eglise des saints), et l'affrontera jusqu'à perdre sa place dans les cieux, est le serpent ancien appelé diable et Satan. Cette constellation observable de l'hémisphère nord est proche de Cassiopée, autre constellation où l'étoile très brillante observée en 1572 apparut. La vision divine précise : "Michel et ses anges combattaient contre le dragon". Ange ou démon, Hamlet tranche en faveur de l'ange, dont l'apparence de guerrier s'explique ainsi.

Le "Christ de la fin des temps" revêt lui aussi, comme l'archange Michel, l'apparence d'un guerrier, assumant le combat spirituel contre les rois et les nations alliées avec la bête : "Puis je vis le ciel ouvert, et il parut un cheval blanc ; celui qui le montait s'appelle Fidèle et Véritable ; il juge et combat avec justice. (...) De sa bouche sortait un glaive à deux tranchants, pour en frapper les nations (...)" (Ap. XIX, 11-16)

Fait non négligeable quand on sait que F. Bacon avait pris pour emblème de son combat le casque d'Athéna, l'affrontement décrit dans la mythologie chrétienne réitère celui qui opposa la déesse vierge de la sagesse Athéna au dragon dans la tragédie grecque (Ladon, gardien du Jardin des Hespérides, situé en Occident).

Rien de moins anodin pour un astronome, par conséquent, que la position dans le ciel de la nouvelle étoile de Tycho. Le discrédit de la mythologie dans la culture moderne est lui aussi sans aucun doute lié à la conception héliocentrique copernicienne. De sorte que la philosophie, la spiritualité si particulière incarnée par Hamlet, Shakespeare la sait condamnée pour un laps de temps - cela explique la mort du héros à la fin de la pièce.

Par un autre indice, Shakespeare nous ramène à la région du ciel où se joue le dernier acte de l'histoire. A l'acte III, scène 2, un dialogue entre Polonius et Hamlet interpelle le connaisseur de symboles mythologiques :

- Hamlet : Voyez-vous ce nuage [cloud] là-haut, qui a presque la forme d'un chameau ?

- Polonius : Par la messe, c'est vrai, tout à fait pareil à un chameau.

- Hamlet : Je crois bien qu'il ressemble à une belette [weasel].

- Polonius : Il a le dos d'une belette.

- Hamlet : Ou à une baleine [whale].

- Polonius : Beaucoup à une baleine.

En effet, Cassiopée est une constellation de la voie lactée (qui ressemble à une masse nuageuse), englobant la constellation dite du "chameau" dans la mythologie arabe (Al Sanam al Nakah/Beta Cassiopeia). En outre, Cassiopée, est reconnaissable à sa forme de M, ou bien de W si on la regarde dans l'autre sens. Baleine et belette commencent en anglais par un W, et un sens péjoratif est attaché à ces deux animaux. La baleine a le sens de léviathan ou de nation ; quant à la belette, elle est symbole de ruse ; la prostituée de l'apocalypse n'est pas loin (ni la "Dark Lady" des "Sonnets").

On relève en outre trois détails à propos de Polonius. Outre la loi de son intérêt, ce conseiller très spécial ne suit aucune doctrine constante. Il ne saisit pas l'allusion à la voie lactée. Il croit dans la messe, sur laquelle il jure, en cela représentant typique du monachisme médiéval (sur lequel Shakespeare jette le discrédit tout au long de son oeuvre). Toute l'alchimie de l'art moderne "post-apocalyptique" se retrouve d'ailleurs concentré dans la mystagogie de la messe romaine, au pouvoir hallucinogène. 

(A SUIVRE)

Commentaires

  • "L'étoile de l'épiphanie de Hamlet est la nouvelle étoile très brillante aperçue à l'ouest de l'étoile polaire en novembre 1572 (année de naissance de F. Bacon)". 1561, naissance de François Bacon, entrée au collège de la Trinité de Cambridge en 1573.
    L'année 1572 ne manque pas d'évènements importants: mort de la duchesse d'Albret, reine de Navarre, nièce de François Ier, et avènement d'Henri III, son fils qui deviendra Henri IV en 1589 (que Bacon n'a pas du manquer de rencontrer lors de son séjour à sa cour).
    C'est l'année de la Saint Barthélémy !
    Première Bible polyglotte (araméen, hébreu, grec et latin).
    Les troupes de théâtre itinérant sont autorisées à se constituer en compagnies au service des dignitaires du royaume d'Angleterre.
    Naissance de Ben Johnson, ami et rival de Shakespeare.
    Naissance aussi de John Donne, poète chrétien devenu chef de file posthume ( école de Donne des poètes métaphysiques anglais selon Samuel Johnson) qui finit doyen de la cathédrale Saint Paul. Grand défenseur du "suicide" chrétien et auteur de nombreux sermons, genre dont Bacon vante le mérite à cette époque.
    Mort de Pie V (Michel Ghislieri) de calculs(!)... idiopathiques... du genre scrupule fatal!?) élection de Grégoire XIII (Ugo Boncompagny), auteur de notre calendrier éponyme.

    D'après Horatio le fantôme (l'esprit) d'Hamlet père fronce les sourcils comme le jour où "in an angry parley (!) He smote the sledded polacks on the ice" et ceci présage selon lui "some strange eruption in our state". Certains n'hésitent pas à voir une image médicale dans le terme d'éruption (éruption infectieuse mais ne vont guère plus loin, on peut y voir la métaphore d'un bubon éclatant (d'odeur et de lumière, étrange!) sur le corps pourrissant de l'occident (à l'ouest de la polaire) la cloche sonnait alors la première heure ou plus exactement was "then beating one".

  • - Horatio représente un point de vue médiéval : il ne sait pas distinguer un fantôme ou un esprit mauvais d'un esprit angélique, contrairement à Hamlet. De même il est intéressant de noter dans la bouche de quels personnages Shakespeare place la croyance dans le purgatoire, pure fabrication catholique romaine anti-eschatologique.
    - C'est vrai que John Dee fait un bon candidat pour Polonius, vu ses amitiés polonaises. D'une manière générale, "pollack" est une insulte chez Shakespeare. L'alchimie n'est pas une discipline sérieuse au regard de Bacon ("Novum Organum") : il lui accorde quelques trouvailles, mais faites au hasard, sans méthode ; sur le plan spirituel, les alchimistes sont également très confus.

  • Spirituellement confus et même confinés les alchis, dans tous les sens du terme, prisonniers de l'infini pouvoir dont ils rêvent. Le départ de J. Dee pour la Pologne outre la peur d'être persécuté tient autant à l'attrait du gain puisqu'il espère transformer le plomb en or pour le compte du roi de Pologne. Le pouvoir qui les attire est donc plus satanique que divin et Bacon est loin de l'ignorer.
    Suis tombé sur un monologue d'Hamlet de la scène 2 acte I où il se compare à Hercule, pas eu le temps de consulter la Sagesse des Anciens sur ce coup mais je tique sur la remarque du professeur (N)imbus de Bourgogne qui précise que c'est par modestie que H. se compare à Hercule, qu'il ne prétend pas se comparer au demi dieu fils de Jupiter, etc.; l'inverse se pourrait-il ? Hercule ressemble pas mal à Achille.

  • "Mécaniciens, mathématiciens, médecins, alchimistes et magiciens se mêlent de pénétrer la nature (au niveau des oeuvres) ; mais tous (en l'état actuel) sans grand effort et pour un succès médiocre." NO, LI, aphorisme 5. Bacon ne mentionne pas John Dee, ni aucun alchimiste ; un ou deux mathématiciens comme Copernic ou Galilée (pour réfuter la thèse héliocentrique).
    - On peut voir dans le triomphe de Hercule sur Prométhée ou la condition humaine, le triomphe de la métaphysique, dans la mesure où le démiurge Prométhée incarne la physique, le feu créateur. Hercule et Ulysse sont deux héros proches, tandis que Homère nous montre les limites de Prométhée (physiques).

  • Pour l'anecdote un type (français mais j'ai oublié son blaze) qui vient de pondre un bouquin sur Bacon trouve rien de mieux à faire que de le lier avec Galilée, une sorte d'alliance psychopathologique si j'ai bien compris. Cela dit le zig conclut avec la fourmi, l'abeille et l'araignée, comme quoi pour l'abeille Bacon il y aura toujours des jardins et des fleurs, un optimiste en somme... ou un orphéoniste.
    Prométhée/Satan, pourvoyeur de talent?

  • ha ça quand tu fais des rajouts sonne les cloches old chap! Bon la nuit est douce comme une peau de lapin blanc (je viens juste de caresser le jeune albinos que la gamine a ramenée de chez le député du coin, de nuit on voit moins ses yeux rouges) mais tellement j'étais absorbé dans mon ouvrage (pas le caressage du lapin, je faisais que passer à côté) que j'ai cru que la lune avait disparu; en fait elle s'était pas encore levée la faignasse (ce que c'est que le temps!). Joli travail, lumineux! j'ai appris un mot (mystagogie) mais surtout l'élucidation du cheval blanc, comment j'ai pu passer à côté! je fréquente pourtant pas la messe morbleu! et pas que ça, Athena je connaissais un peu mais Ladon le jardin des Hespérides, la mort d'Hamlet que je venais à peine de me poser la question, et le sens des constellations, quel chameau tu fais.
    "Les plaisirs des sens conduisent à la satiété. Du savoir au contraire on est jamais rassasié; satisfaction et appétit s'échangent en permanence. Le savoir apparait comme le bien simple en soi, dénué de tromperie ou d'accident."
    F. Bacon

  • pige pas trop ta rectif, surmenage? en revanche tu as écrit : 1572 année de naissance de Bacon, puis plus loin tu donnes la bonne année 1561.

  • Je vais re-rectifier.

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