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Science ou culture ?

Complexe, sophistiquée, voire "énigmatique", la culture moderne est comparable à la prestidigitation ou la magie. La démonstration du "progrès moderne" est presque un tour, qui consiste à attirer l'attention du public sur un détail frappant, faisant échapper l'ensemble à une étude ou un examen moins superficiel.

Un examen moins superficiel permet par exemple de discerner que le dit "progrès technologique" dont se prévaut l'homme moderne n'en est pas un ; le progrès technologique n'est pas une question d'imagination, ni de "progrès de la conscience humaine" - il est surtout une question de temps. Le temps est le principal artisan d'un progrès technologique qui ne répond pas aux aspirations essentielles de l'individu, mais tout au plus au besoin d'organisation sociale.

Sous l'angle social, on comprend que la notion de "progrès moderne", aussi vague soit-elle, puisse être érigée en religion moderne, avec tout ce que cela comporte de censure de l'esprit critique scientifique.

Il y a, comme vis-à-vis de la prestidigitation, trois attitudes possibles vis-à-vis du progrès ou de la culture modernes. D'abord il y a l'attitude de l'initié, en charge de la "démonstration du progrès", plus ou moins rusé ou habile, escroc intellectuel ou s'abusant lui-même. Cette démonstration est largement rhétorique : on constate en visitant un musée d'art dit "moderne" que cet art se dispense rarement d'un discours destiné à démontrer sa supériorité.

Ensuite il y a l'attitude des foules, nombreuses, fascinées par la culture moderne comme on peut l'être par un tour de magie, parce que celui-ci opère un divertissement de l'esprit. Dans une large mesure, le divertissement est un plaisir d'esclave, car son besoin naît du désir d'échapper à une contrainte subie par ailleurs. L'oisiveté, au sens donné par la philosophie grecque à ce terme, est la plus éloignée du divertissement, dans la mesure où elle ne suscite pas, chez un individu en bonne santé, le besoin de divertissement. Ici il faut dire que la "culture de masse" est la trahison évidente de l'objectif démocratique officiel ; cette "culture de masse" n'est d'ailleurs pas assumée par les élites politiques et culturelles, bien qu'elles en dépendent et en assurent la promotion, directement ou indirectement.

La dernière attitude est l'attitude contestataire, minoritaire, dite de la "contre-culture". Elle prend plusieurs directions différentes ; tout d'abord on peut dire qu'une certaine "maturité" en est le facteur psychologique déclenchant. Un individu immature ne résiste pas, en effet, à la fascination, pour ne pas dire qu'il s'y expose volontairement. De même l'esprit scientifique méprise le spectacle de la magie ou de la prestidigitation. Il en tire la leçon une fois pour toute que l'esprit humain se laisse duper facilement, voire qu'il peut en tirer un certain plaisir.

Nietzsche, "au nom de Satan", c'est-à-dire de la culture antique païenne, s'oppose frontalement à la culture moderne, à qui il fait le grief d'être une source de bonheur et de poésie très limitée, d'avoir perdu "la recette du bonheur" contenue dans l'art antique. Il est vrai que le divertissement est une forme de jouissance particulièrement passive ; dans la société occidentale bourgeoise, la sexualité est pratiquement devenue "un divertissement obligatoire", c'est-à-dire un motif obsessionnel bien plus qu'une véritable source de contentement ou de satisfaction. La philosophie ultra-réactionnaire de Nietzsche parle beaucoup de jouissance et de bonheur, tout en abordant très peu le sujet de la sexualité. Il faut dire que Nietzsche, méprisant la faiblesse, était lui-même très malade, c'est-à-dire très faible. Sa philosophie est une manière d'antidote pour lui-même. Nietzsche n'est pas le seul réactionnaire, réfractaire à la culture moderne : l'intérêt ou l'essentiel de son propos tient dans l'accusation lancée au christianisme (plus ou moins étayée), d'avoir détourné la culture de son but véritable - à savoir le plus grand bonheur.

Incontestablement le "christianisme", au sens le plus large, n'est pas sans conséquence ou sans influence sur la culture occidentale moderne. Même l'athéisme aujourd'hui a, bien souvent, une "racine chrétienne", dans la mesure où l'athéisme résulte de l'émancipation d'une force naturelle supérieure.

Mais le propos de Nietzsche fait abstraction ou ignore qu'il n'y a rien de "culturel" dans le christianisme, ni par conséquent de "moderne". La "parole de Dieu" n'est d'aucune époque ; les évangiles sont essentiellement eschatologiques, c'est-à-dire qu'ils annoncent la fin prochaine des temps. On peut faire du message chrétien ce qu'on veut, le détourner complètement de son sens, comme on peut le faire avec n'importe quel texte, néanmoins on ne peut associer le christianisme aux "temps modernes", dans la mesure où la notion de "temps", qui joue dans la culture moderne un rôle déterminant, ne joue aucun rôle dans le christianisme, puisque l'amour chrétien est "hors du temps" - la discrimination chrétienne de l'amour charnel s'explique par exemple de cette façon. Autrement dit, il est très difficile de traiter le christianisme comme un "phénomène culturel", pour le condamner comme pour en faire l'éloge (cf. Chateaubriand et son "Génie du christianisme"), puisque celui-ci se présente essentiellement comme une vérité qui met un terme à la culture et à la célébration de tel ou tel "mode de vie".

Le chrétien se trouve donc, comme l'homme de science, en position de "contre-culture", si l'on prend ce mot dans le sens de "l'irréligion".

 

Commentaires

  • "[...]d'un progrès technologique qui ne répond pas aux aspirations essentielles de l'individu, mais tout au plus au besoin d'organisation sociale."

    Si on se place du côté de ses instigateurs : oui.
    Si on se place du côté de ceux qui en ont l'usage, le progrès technologique amène le moindre mal.
    Soit, parce-qu'il s'agit d'un dérivatif culturel ; soit parce-qu'il s'agit d'un utilitarisme.
    D'un côté comme de l'autre, on serait paré à tuer pour qu'il perdure.

    Néanmoins, chez ses détracteurs comme chez ses zélateurs, il a cette particularité d'être une notion faite ex nihilo dans un but aussi flou que sont les motivations de ses créateurs. Prendre la "technique" et lui accoler "le progrès", signifie que l'on souhaite se rendre à un endroit donné ou atteindre un but précis. Si on parlait "d'amélioration technique", il y aurait, là, notion de cheminement spontané, mû par l'errance opportune. Le progrès technique consiste à vouloir aller quelque part, sans savoir ou vouloir dire où et ce qu'est ce lieu, tout en y étant freiné par d'autres, qui ne savent ou ne veulent dire, pourquoi il ne faudrait atteindre ce lieu.

  • On remarque qu'il y a même de prétendus "savants" épistémologues qui justifient l'absence de but dans le "progrès moderne". Le plus débile et ignare d'entre eux : Karl Popper. Trouver n'est pas essentiel, dit en substance Popper, ce qui compte c'est chercher (!). Marx aurait vu là-dedans une tentative d'assassinat de la science par la philosophie.

    - Sur le plan anthropologique ou social, la science est inutile voire dangereuse. Ce que fait un traître comme Popper consiste à substituer à la science un culte inepte de la science, plus propice aux élites politiques.

    - C'est comme si les mathématiques modernes (= "géométrie algébrique" cartésienne) avaient déteint sur l'épistémologie moderne ; en effet les mathématiques ne sont qu'un outil - ils ne peuvent définir un but, pas plus que le hasard ne peut servir d'explication rationnelle à un processus qui semble obéir à une logique (cf. place du hasard dans la théorie de l'évolution).

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