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moderne

  • Résurrection

    Avant de pouvoir ressusciter, encore faut-il vivre, ce que la culture moderne ne permet pas selon une ruse de Satan (ruse dont le nom de code est 666). La culture moderne contraint l'homme à la fuite, et c'est dans cette mesure qu'il ne vit pas, mais que le néant l'aspire petit à petit. L'existence moderne ressemble à celle du soldat, concentré sur des détails, mais à qui le sens général des choses échappe, et que l'on caricature justement comme "la chair à canon".

    - Il existe deux voies pour échapper à la condition absurde de l'homme moderne ; la première voie est la voie de Satan ; elle permet à l'homme de se décharger d'un poids de souffrance inutile pour jouir raisonnablement.

    - La seconde voie est la voie de Dieu ; elle permet à l'homme de trouver l'amour véritable en le débarrassant de toutes les illusions amoureuses engendrées par Satan à travers l'Eglise romaine et son clergé fornicateur.

    L'inertie du monde et de la culture modernes tiennent à ce que peu d'hommes font un choix véritable, préférant se laisser conduire bêtement par le hasard.

  • Science et modernité

    L'adjectif "moderne" est inapplicable à la science. L'expression de "science moderne" désigne en effet quelque chose d'assez indéfinissable. Untel citera volontiers Einstein ou Darwin comme des exemples de "savants modernes", mais il aura sans doute du mal à dire en quoi la science naturelle de Darwin est "moderne", en comparaison de la science naturelle créationniste d'Aristote.

    En parlant de "science moderne", on se situe plutôt dans le registre de la propagande, le plus méprisable du point de vue scientifique, puisqu'il s'agit en matière de propagande, à l'instar des religions les plus méprisables, d'emporter l'adhésion du plus grand nombre, en dépit de la vérité - la propagande a un caractère "musical", ainsi que l'ont relevé certains mythes ou fables.

    Beaucoup mieux applicable l'adjectif "moderne" à ce qui est enseigné aujourd'hui sous le nom de "mathématiques". On peut plus précisément dater les "mathématiques modernes", et en attribuer la paternité à R. Descartes. Bien sûr ce n'est pas aussi simple, et cela ne suffit pas à caractériser la science moderne ; Descartes n'a pas lui-même vraiment conscience de contredire les leçons d'Aristote sur l'algèbre et la géométrie. En revanche, Descartes, ingénieur militaire, a conscience du lien étroit entre les nouvelles techniques et instruments, et la géométrie qu'il développe. Il y a une correspondance facile à comprendre, par exemple, entre l'accroissement de la puissance et de la précision des outils et machines et les mathématiques dites modernes.

    Quand certains parlent de "filières scientifiques" pour parler de classes où l'enseignement des mathématiques modernes est particulièrement important, c'est donc un abus de langage. De la même façon, la "révolution industrielle", datée le plus souvent de la fin du XVIIe siècle, est un pur motif de propagande. L'essor industriel a certes entraîné des bouleversements sociaux considérables, mais il n'y a dans cet essor rien de "scientifique".

    La science et le registre des "mathématiques modernes" sont donc deux choses bien distinctes. Les mathématiques modernes ne peuvent pas se passer de prendre en compte le temps. Du point de vue scientifique, le temps est un prisme déformant ; le savant est soumis au temps, comme il est soumis à l'inconvénient de sens limités pour appréhender la réalité. Mais l'objet de la science est "intemporel". Il y a de fortes chances qu'une conception "biologique" de l'univers ne soit que la projection d'un rêve humain, car spéculer un univers soumis au temps, c'est spéculer un univers réduit aux dimensions de l'homme.

    Conclusion : science et modernité sont deux notions ou choses divergentes. Sur le plan de la "discipline mathématique", il est plus facile de cerner la notion de "modernité", dont l'usage est le plus souvent indéfini. Par conséquent, le raisonnement des mathématiques dites "modernes" permet de caractériser la notion de modernité. Cependant l'idée que les mathématiques modernes sont une matière ou une discipline scientifique, voire une "science dure", ne repose sur aucune science expérimentale véritable. Les mathématiques modernes ne sont pas plus proches de la réalité, extérieure à l'homme, qu'elles ne sont du rêve. L'intellectualisme, en science, est probablement un signe de déclin.

      

  • Science ou culture ?

    Complexe, sophistiquée, voire "énigmatique", la culture moderne est comparable à la prestidigitation ou la magie. La démonstration du "progrès moderne" est presque un tour, qui consiste à attirer l'attention du public sur un détail frappant, faisant échapper l'ensemble à une étude ou un examen moins superficiel.

    Un examen moins superficiel permet par exemple de discerner que le dit "progrès technologique" dont se prévaut l'homme moderne n'en est pas un ; le progrès technologique n'est pas une question d'imagination, ni de "progrès de la conscience humaine" - il est surtout une question de temps. Le temps est le principal artisan d'un progrès technologique qui ne répond pas aux aspirations essentielles de l'individu, mais tout au plus au besoin d'organisation sociale.

    Sous l'angle social, on comprend que la notion de "progrès moderne", aussi vague soit-elle, puisse être érigée en religion moderne, avec tout ce que cela comporte de censure de l'esprit critique scientifique.

    Il y a, comme vis-à-vis de la prestidigitation, trois attitudes possibles vis-à-vis du progrès ou de la culture modernes. D'abord il y a l'attitude de l'initié, en charge de la "démonstration du progrès", plus ou moins rusé ou habile, escroc intellectuel ou s'abusant lui-même. Cette démonstration est largement rhétorique : on constate en visitant un musée d'art dit "moderne" que cet art se dispense rarement d'un discours destiné à démontrer sa supériorité.

    Ensuite il y a l'attitude des foules, nombreuses, fascinées par la culture moderne comme on peut l'être par un tour de magie, parce que celui-ci opère un divertissement de l'esprit. Dans une large mesure, le divertissement est un plaisir d'esclave, car son besoin naît du désir d'échapper à une contrainte subie par ailleurs. L'oisiveté, au sens donné par la philosophie grecque à ce terme, est la plus éloignée du divertissement, dans la mesure où elle ne suscite pas, chez un individu en bonne santé, le besoin de divertissement. Ici il faut dire que la "culture de masse" est la trahison évidente de l'objectif démocratique officiel ; cette "culture de masse" n'est d'ailleurs pas assumée par les élites politiques et culturelles, bien qu'elles en dépendent et en assurent la promotion, directement ou indirectement.

    La dernière attitude est l'attitude contestataire, minoritaire, dite de la "contre-culture". Elle prend plusieurs directions différentes ; tout d'abord on peut dire qu'une certaine "maturité" en est le facteur psychologique déclenchant. Un individu immature ne résiste pas, en effet, à la fascination, pour ne pas dire qu'il s'y expose volontairement. De même l'esprit scientifique méprise le spectacle de la magie ou de la prestidigitation. Il en tire la leçon une fois pour toute que l'esprit humain se laisse duper facilement, voire qu'il peut en tirer un certain plaisir.

    Nietzsche, "au nom de Satan", c'est-à-dire de la culture antique païenne, s'oppose frontalement à la culture moderne, à qui il fait le grief d'être une source de bonheur et de poésie très limitée, d'avoir perdu "la recette du bonheur" contenue dans l'art antique. Il est vrai que le divertissement est une forme de jouissance particulièrement passive ; dans la société occidentale bourgeoise, la sexualité est pratiquement devenue "un divertissement obligatoire", c'est-à-dire un motif obsessionnel bien plus qu'une véritable source de contentement ou de satisfaction. La philosophie ultra-réactionnaire de Nietzsche parle beaucoup de jouissance et de bonheur, tout en abordant très peu le sujet de la sexualité. Il faut dire que Nietzsche, méprisant la faiblesse, était lui-même très malade, c'est-à-dire très faible. Sa philosophie est une manière d'antidote pour lui-même. Nietzsche n'est pas le seul réactionnaire, réfractaire à la culture moderne : l'intérêt ou l'essentiel de son propos tient dans l'accusation lancée au christianisme (plus ou moins étayée), d'avoir détourné la culture de son but véritable - à savoir le plus grand bonheur.

    Incontestablement le "christianisme", au sens le plus large, n'est pas sans conséquence ou sans influence sur la culture occidentale moderne. Même l'athéisme aujourd'hui a, bien souvent, une "racine chrétienne", dans la mesure où l'athéisme résulte de l'émancipation d'une force naturelle supérieure.

    Mais le propos de Nietzsche fait abstraction ou ignore qu'il n'y a rien de "culturel" dans le christianisme, ni par conséquent de "moderne". La "parole de Dieu" n'est d'aucune époque ; les évangiles sont essentiellement eschatologiques, c'est-à-dire qu'ils annoncent la fin prochaine des temps. On peut faire du message chrétien ce qu'on veut, le détourner complètement de son sens, comme on peut le faire avec n'importe quel texte, néanmoins on ne peut associer le christianisme aux "temps modernes", dans la mesure où la notion de "temps", qui joue dans la culture moderne un rôle déterminant, ne joue aucun rôle dans le christianisme, puisque l'amour chrétien est "hors du temps" - la discrimination chrétienne de l'amour charnel s'explique par exemple de cette façon. Autrement dit, il est très difficile de traiter le christianisme comme un "phénomène culturel", pour le condamner comme pour en faire l'éloge (cf. Chateaubriand et son "Génie du christianisme"), puisque celui-ci se présente essentiellement comme une vérité qui met un terme à la culture et à la célébration de tel ou tel "mode de vie".

    Le chrétien se trouve donc, comme l'homme de science, en position de "contre-culture", si l'on prend ce mot dans le sens de "l'irréligion".

     

  • L'Homme moderne

    L'homme moderne est l'homme qui a perdu le sens tragique de l'existence. L'homme moderne est celui pour qui Shakespeare est une énigme.

  • Barbarie moderne

    Il n'est de société qui ne repose sur la justification d'une certaine barbarie. Le nazisme est on ne peut plus banal de ce point de vue.

    C'est pourquoi il faut surtout se méfier des sociétés et des élites qui déclarent vouloir mettre fin à la barbarie ; l'oeuvre de Shakespeare est largement conçue pour prévenir contre la barbarie moderne.

    A qui Hitler est-il comparable ? Il est comparable à Fortinbras de Norvège, personnage secondaire ; mais les piliers de la barbarie occidentale moderne, ce sont Claudius, Gertrude et Polonius.

    Claudius est l'emblème de la politique qui s'insinue traîtreusement à la place des choses de l'esprit ; Gertrude est l'emblème de la religion stupide qui cautionne cette traîtrise (commettant ce que les chrétiens appellent le péché de fornication) ; et Polonius est l'emblème de la fausse science et de la fausse philosophie modernes, qui tendent au verbiage anthropologique.

    La culture moderne repose sur cette trinité. Et l'on peut dire Shakespeare suspendu au-dessus de la culture occidentale comme une épée de Damoclès.

  • Modernité

    Le monde moderne est aussi prévisible qu'une femme, c'est-à-dire qu'il est mû par le même déterminisme. Face aux idées modernes, l'homme a peur de s'ennuyer et de devenir mélancolique.

  • Vertu

    Si la lecture des évangiles déçoit ordinairement les femmes et les enfants, tandis qu'ils ont du sentiment pour l'office religieux ou la kermesse, c'est parce qu'il n'est nulle part question de vertu dans les évangiles, et que rien n'est plus désirable aux yeux des femmes et des enfants que la vertu, comme l'eau pour les assoiffés.

    Si les évangiles parlaient de vertu, alors le Messie ne serait pas un prophète.

    Aux femmes et aux enfants, l'apôtre Paul dit cette parole difficile à comprendre pour eux : - Vous ne ferez pas votre salut par vos oeuvres (sous-entendu : elles vous conduiront seulement à la vertu) ; et il dit aussi : "Femmes, soyez soumises à vos maris", répondant au besoin de vertu des femmes, sachant que les hommes sont ordinairement plus vertueux que les femmes selon les lois de la physique.

    Ainsi il n'y a pas de prêtre moins moderne que l'apôtre Paul, et plus éloigné du type du curé catholique.

  • Science

    La science ultime de l'homme moderne, c'est de savoir qu'il ne sait rien. Plus tôt on fait cette invention, mieux ça vaut, à moins de vouloir devenir cinéaste.

  • Pourquoi Montaigne ?

    Montaigne accouche d'une souris, c'est pourquoi il a beaucoup de succès dans le monde moderne, qui peut s'identifier facilement.

    L'homme moderne apprécie particulièrement les oeuvres du passé qui paraissent le justifier. La mauvaise peinture, par exemple, la peinture virtuose, qui lui semble annoncer le cinéma, et l'annonce effectivement. De tous les philosophes des Lumières, Diderot est le plus apprécié, car c'est le plus moderne ; c'est en effet celui qui s'est le moins émancipé de son éducation catholique. C'est un jésuite qui a senti le vent tourner ; on ne peut pas le lui reprocher, mais la manière dont Diderot raisonne est celle du clergé qui l'a formé.

    J'aime bien ce passage de Montaigne qui affirme que, se connaissant parfaitement lui-même, il connaît ainsi tous les hommes ; en principe cela met un terme au genre du drame psychologique.

  • Mort de l'Art

    Comparé au constat de la mort de dieu, celui de la mort de l'art est bien plus alarmant pour la société, car la plupart des représentations de dieu ne sont en réalité que des représentations artistiques où l'homme entre plus en compte que dieu lui-même.

    De toutes les théologies assorties d'une doctrine sociale, on peut dire qu'elles ne sont pas des théologies véritables mais des idolâtries. L'interdit juif ou chrétien de l'art peut se comprendre comme la prohibition d'une représentation artistique de dieu, dont l'utilité est exclusivement sur le plan social. De plus la politique s'organise nécessairement autour de l'idôlatrie, qu'il s'agisse de l'idolâtrie de dieu, ou celle plus moderne de l'Etat. Napoléon a déploré la mort de dieu et de son usage politique afin de méduser les foules, selon la vieille théorie mystique de la monarchie de droit divin ; mais, au stade du déploiement de l'Etat bourgeois, la foi en un dieu omnipotent s'avère superflue.

    Nitche a conscience que ce qui fait la fragilité de l'art moderne est lié à la confusion entre le mobile scientifique et le mobile artistique. On peut ajouter à cela que la technique et son essor sont sans liés à cette confusion, car d'un ouvrage technique on ne peut clairement dire s'il relève de l'art ou de la science. La confusion de l'artiste moderne s'explique par le fait qu'il ne peut pas dire dans quel sens il exerce son art, ni la signification du "progrès" dont la société le fait le représentant de commerce. Il n'y a sans doute pas seulement chez un artiste comme Dali de l'ironie à ironiser sur sa vénalité, mais aussi un doute profond quant à la nature de son activité de thanatopracteur de la civilisation, à laquelle Freud n'a lui-même rien compris. L'ironie, c'est-à-dire le doute, reste le meilleur dans l'art de Dali, nonobstant sa mission de thuriféraire de la modernité.

    Nitche a su reconnaître dans la culture moderne une culture macabre - en cela c'est une culture féminine (les cultures décadentes le sont toutes).

    Le décret que Nitche prononce, non seulement à l'encontre du dieu des juifs et des chrétiens, mais aussi à l'encontre de la science métaphysique, est tout ce qu'il y a de plus logique, car l'art consacre le lien de l'homme avec la nature (c'est en cela qu'il peut être dit "satanique"), tandis que le christianisme, d'une part, comme la science, introduisent la critique du lien de subordination de l'homme à la nature. Seul le savant chrétien Francis Bacon Verulam (déchristianisé avec soin en France par la censure républicaine) a véritablement pris la mesure de cet enjeu, et qu'il n'y a pas de science véritable qui ne se donne pour but de triompher de la nature. Comme elle se contente d'opposer à la nature l'architecture, la musique ou les modèles mathématiques, c'est-à-dire l'artifice, en une sorte de tour de prestidigitation qui consiste à poser le primat du temps sur la matière, la science technocratique expose l'humanité à la catastrophe du retour de la nature au galop, épisode que les siècles passés illustrent déjà tragiquement.

     

  • Du Progrès

    L'homme de progrès détestera les musées, qui indiquent la difficulté de l'homme à franchir le cap de la culture ou de l'imitation de la nature pour son profit. Tout au plus les musées nous renseignent sur l'évolution de l'art et du goût au cours des derniers siècles, puisque l'intérêt pour l'homme s'est peu à peu substitué à l'intérêt pour la nature.

    L'homme moderne, en revanche, ne peut pas se passer des musées ; il n'existe que par eux. Qu'est-ce que Picasso serait sans les musées ? Sans doute son oeil avisé lui permet de faire le tri entre les bonnes imitations et les mauvaises, ce que le grand public ne sait pas faire ; ça fait de lui une sorte de prêtre, d'"officiant d'art". Michel-Ange fait preuve d'une capacité d'abstraction supérieure, car elle est moins rhétorique. Quoi qu'il en soit, Picasso est plus moderne et plus dépendant des musées.

    L'homme de progrès diverge donc nettement de l'homme moderne. Les efforts pour faire passer la modernité pour un progrès sont accomplis afin de dissimuler que les sociétés modernes sont indifférentes au progrès. Il est fort possible de bâtir une société sous le signe et le symbole de dieu, en réalité indifférente à dieu. Les sociétés sont comme les femmes qui, en général, se soucient d'abord d'elles-mêmes. De même on peut concevoir une société sous le signe de la science, dont la science soit le but affirmé, mais qui en réalité se complaise plutôt dans la culture.

  • L'Homme moderne

    Toute l'activité de l'homme moderne, je pense en particulier au pape, semble faite pour se prouver à lui-même qu'il n'est pas mort. Les hommes, avant d'être "modernes", se contentaient de vivre ; désormais, ils ont tendance à fournir la démonstration qu'ils existent bel et bien, à faire toutes sortes de dépenses qu'ils ne feraient pas s'ils vivaient vraiment. Si l'Occident gaspille autant, c'est bien parce qu'il est peuplé surtout de morts-vivants : les morts peuvent se permettre de flamber. 

    Est-ce que l'homme moderne ne se maudit pas lui-même dans son for intérieur, par exemple d'être aussi impuissant et de devoir toujours paraître et dire le contraire, pour répondre à l'attente féminine du monde ? Est-ce que l'homme moderne n'accomplit pas contre lui-même l'oeuvre du jugement dernier en se maudissant dans sa fuite ?

    Les rêves prouvent bien qu'il n'y a pas de frontière nette entre la vie et la mort, et que le point de vue technique médical est un peu limité.

  • Critique littéraire

    Le critique littéraire qui refuse ou s'abstient d'entrer dans le domaine de la science méconnaît la littérature. Il n'est pas un littérateur digne de ce nom ou digne d'intérêt qui fera volontairement de la littérature de genre, s'adressant plutôt aux enfants qu'aux adultes, aux hommes qu'aux femmes, aux esprits qui ont le goût de la science plutôt qu'à ceux qui préfèrent demeurer bêtes, etc.

    La critique littéraire de Sainte-Beuve fait à cet égard effectuer à la critique un net recul. Sainte-Beuve, même s'il ne l'est pas encore assez du point de vue crétin de Proust, mérite le qualificatif de moderne. La psychanalyse accompagne ce recul, en se focalisant sur le style de l'auteur. La tentative d'étude psychanalytique de l'oeuvre de Shakespeare illustre la légèreté de ce type d'étude. Si l'étude psychanalytique permet à Freud de soupçonner que Francis Bacon se cache derrière Shakespeare, en revanche elle ne permet pas d'avancer d'un iota dans la compréhension de l'oeuvre de Shakespeare.

    Ce qui fait la force de l'oeuvre de Shakespeare, c'est qu'on ne trouve pas ou presque la trace de Shakespeare dans l'oeuvre de Shakespeare, conformément à ce que l'on peut attendre d'un artiste chrétien. Sainte-Beuve ou Freud ne peut donc rien nous dire de valable sur Shakespeare. La culture bourgeoise romantique et moderne, comme l'indique déjà effectivement K. Marx, exclut la tragédie (mais nullement l'art dionysiaque, ainsi que le prétend Nitche), c'est-à-dire un art dont Marx indique utilement qu'il est conçu pour lutter contre la bêtise humaine.

    D'une certaine manière, Shakespeare a anticipé Freud ou la psychanalyse comme une composante du totalitarisme. Un lecteur intelligent comprendra que Hamlet n'est pas fou, mais qu'il se fait passer pour tel aux yeux du monde. C'est Ophélie qui est véritablement aliénée. Or le point de vue médico-social freudien, lui, se rétracte devant une lecture intelligente pour diagnostiquer la folie de Hamlet ; la culture néo-nazie, elle, organise le procès de Hamlet.

  • Le prophète Shakespeare

    Je suis issu d'un milieu catholique romain complètement sclérosé spirituellement, et Shakespeare avec sa belle logique chrétienne m'a aidé à m'échapper de cette prison.

    Ce milieu catholique romain est comparable au milieu juif, partagé entre la fidélité à une religion juive archaïque, et l'adaptation au monde moderne, dont la direction est assez floue pour que le moindre scepticisme incite à soupçonner derrière l'étiquette "moderne" un fanatisme religieux débordant, dont témoigne aussi le masochisme du consommateur capitaliste, sous-homme disposé à sacrifier sa vie pour les derniers gadgets "high-tech".

    Il faut envisager les génocides modernes comme des dommages collatéraux de la modernité, dans la mesure où les tenants du futurisme sont des propagandistes et des censeurs, oeuvrant activement pour dissimuler cet aspect. Depuis la Libération, l'intelligentsia française est presque parvenue à faire passer la scolastique allemande pour une forme de pensée supérieure, et les jongleries d'Einstein pour l'effet du génie scientifique.

    Le plus mondain, le culte moderne l'emporte chez les ambitieux, et les foules soumises à ces ambitieux. Dans les milieux catholiques romains, la tendance moderne résulte d'un emprunt, non pas directement au luthéranisme, mais aux doctrines protestantes mieux adaptées au principe laïc et à l'extinction du monde paysan. Marx a raison de dire que ce n'est pas le protestantisme qui est la cause du capitalisme, mais le capitalisme qui est la cause du protestantisme ou de la "laïcité". Autrement dit c'est la formule institutionnelle protestante que le haut clergé catholique romain a adoptée, non l'esprit de la réforme de Luther, peu compatible avec les visées mondaines de la démocratie-chrétienne.

    Ce que les milieux catholiques romains nostalgiques ou "nitchéens", plus attachés à des valeurs paysannes qu'à la vérité chrétienne ne comprennent pas, c'est que l'Eglise romaine dont ils se réclament est, ainsi que l'histoire le montre, l'institution moderne par excellence. Sa nature "d'institution chrétienne", qui la contraint à trahir doublement les principes institutionnels et la vérité chrétienne qui proscrit le jugement de l'homme par l'homme, exige en effet d'elle une métamorphose permanente, et de faire passer cette métamorphose pour un progrès. On voit bien que l'Eglise catholique romaine a une détermination absurde du point de vue institutionnel, puisqu'elle procède du rejet des formes institutionnelles qu'elle a revêtues dans le passé, comme si le droit n'était pas un principe conservateur, le droit excluant l'histoire, et l'histoire excluant le droit.

    L'histoire de l'Eglise romaine est impossible, car cette institution est fondée sur la justification incessante d'une autorité morale institutionnelle qui ne peut se fonder sur le message évangélique, qui est, lui, historique, c'est-à-dire le plus dissuasif de la foi et de la raison institutionnelle, en particulier de la foi dans l'avenir.

    La consécration par le pape Jean-Paul II du temps comme un facteur de salut, est non seulement antichrétienne, mais elle trahit un plan institutionnel d'unité dans le temps.

    Shakespeare n'est pas moderne : la preuve en est que les personnages auxquels les modernes s'identifient, pêle-mêle Ophélie, Roméo et Juliette, Richard II, voire Claudius, sont tous marqués par Shakespeare du sceau de la folie ou de la mort. Si Shakespeare est aussi dissuasif du plan moderne, et annonciateur de la bestialité humaine moderne, c'est parce qu'il est pleinement conscient que le plan moderne se confond avec la religion chrétienne institutionnelle... jusqu'à la fin des temps.

    Shakespeare n'est pas païen ou athée, conservateur pour autant, comme l'a prétendu Nitche. La preuve c'est qu'il envisage la fin du monde, en lieu et place de la mort qui, comme le souligne Hamlet, est la perspective paradoxale du païen, ne fuyant la mort que pour finalement la rejoindre, et mener ainsi une existence moins rationnelle que celui qui prend la décision de mettre un terme à sa vie.

  • Homère et les modernes

    "(...) à l'école, on avait affublé Goebbels du sobriquet d'Ulysse, allusion à ce personnage de la mythologie qui symbolise, comme vous le savez, la ruse et la servilité. (...)"

    Franck Ferrand, historien de service sur la station de radio "Europe 1".

    N'est-ce pas un peu délicat, de la part d'un historien, de consacrer une émission à la propagande sur une station de radio dont les employés sont rétribués par la propagande ? On sait par avance ce qu'il va suggérer : que la propagande capitaliste est moins dangereuse que la propagande nazie ou soviétique.

    Alors même que, historiquement, le contraire est probable, à savoir que la séduction du discours libéral est plus grande que celle du discours nazi ou soviétique, et par conséquent susceptible d'entraîner l'homme à des comportements d'une ampleur barbare inédite.

    Le nom de la station de radio qui emploie F. Ferrand est d'ailleurs emblématique, puisque l'Europe n'a pratiquement jamais existé en dehors des discours de propagande. On pourrait même définir l'Europe comme un rêve nationaliste allemand, auquel l'esprit concret et moins religieux des Français a tendance à s'opposer. Un rêve dont les élites libérales et les élites nazies sont co-actionnaires.

    - L'hostilité à Homère est un trait caractéristique de l'élitisme républicain. Il illustre la continuité de ce dernier avec l'élitisme catholique romain : la franc-maçonnerie n'est jamais qu'un phénomène de sécularisation du pouvoir ecclésiastique romain. Bien que cette hostilité s'exprime rarement d'une manière aussi grossière, elle est constante depuis Homère. Son mobile s'explique facilement ainsi : la mythologie et l'histoire ne sont d'aucun profit aux élites ; non seulement ils ne sont d'aucun profit, mais ils constituent un encouragement à l'individualisme et à l'amour, sur lesquels nulle société humaine ne peut se fonder, et par conséquent aucune élite.

    De façon caractéristique, le clergé catholique romain afin de s'arroger le monopole sur l'explication et l'interprétation de la parole divine, s'est efforcé d'en effacer petit à petit la dimension historique et mythologique pour la transformer en discours "anthropologique". C'est précisément pour cette raison, qui demeure largement obscure aux yeux de Nitche, que Shakespeare, historien majeur de l'Occident moderne, décrit la chute de l'Occident, acharné à nier la vérité, sous la forme d'un récit mythologique où le mensonge de l'Eglise romaine joue un rôle primordial. 


  • Science et expérience

    L'expérience rend plus tolérant avec les vices des autres (on l'est toujours avec les siens), en même temps que l'expérience rend plus intolérant avec le mensonge et son institution sociale.

    On constate que l'homme moderne n'est pas expérimenté : il est cuit. En dehors des médiocres, nul ne veut être moderne, c'est-à-dire être justifié seulement par des gadgets.

  • L'Esprit Moderne

    "L'esprit moderne est indécis, il ne sait s'il est chrétien ou païen. Il regarde le monde de deux yeux différents, celui de la foi et celui de la raison. C'est pourquoi sa vision est nécessairement floue, comparée à la pensée grecque ou chrétienne."

    Karl Löwith

  • Israël ou le Golem

    Les Juifs modernes, débarrassés de la tutelle de Iahvé, le moins providentiel des dieux, conçoivent l'Etat d'Israël comme une sorte de Golem censé les protéger. Ainsi la religion de Moïse se retrouve à peu près réduite au culte yankee des super-héros.

    Il y a dû avoir la même tentation chez les premiers chrétiens de se rapprocher des élites romaines impies afin de bénéficier de leur protection. Le sionisme ne fait que perpétuer la morale catholique romaine, à l'aide d'un nouveau martyrologe - allemand, cette fois.

    Il n'est pas exact, comme le dit Nitche, que le judaïsme et le christianisme soient prédestinés à rencontrer l'adhésion du peuple des faibles et des ratés. La nation chrétienne ou la nation juive constituent d'abord une protection pour ceux qui les dirigent. Nitche confond les martyrs et les apôtres avec ceux qui font usage du martyre et des apôtres.

  • No Future

    Comme les troupes de Pharaon furent englouties par la Mer Rouge, les chars et les missiles de la modernité sont happés par l'avenir, comme par un étang de feu.

    Nitche, au nom de Satan, ordonne le repli en vain. 

  • L'Art moderne

    La rhétorique est une manière de compenser la beauté quand on ne l'a pas ou qu'on l'a perdue.

    Les belles femmes sont mutiques car elles n'ont rien à démontrer. Telles quelles, elles sont parfaites aux yeux du monde, et Kant ne leur est d'aucun usage.

    Voilà pourquoi une beauté qui ne s'intéresse pas aux choses surnaturelles, mais seulement aux usages et aux discours du monde, court à sa perte.

    Et tout ce qui est valable pour la femme, l'est aussi pour la civilisation.