La décadence n'est pas une source d'inquiétude pour le chrétien, car le Royaume de Dieu n'est pas de ce monde.
La décadence est une source d'inquiétude pour les élites, qui sont actionnaires du monde, tandis que le chrétien s'efforce de remonter le courant de la vanité et du péché.
Le moraliste Léopardi dit de l'homme ""qu'il tire toutes ses forces de la nature ou bien de ses illusions". Il exclut ici la Vérité, qui procura à Jésus-Christ un surcroît de force pour affronter ses assassins, ses juges et ses bourreaux.
Des sociétés ou des civilisations, qui ne tirent aucun profit de la Vérité, on peut mieux affirmer qu'elles prennent leurs forces dans la nature ou bien dans des perspectives illusoires ; ces dernières ont le plus souvent la forme d'utopies politiques.
Qu'est-ce que l'illusion, si ce n'est un mirage, par conséquent une force naturelle dérivée, exactement comme la puissance technologique n'est qu'un emprunt à la nature.
Il est probable que l'illusion joue un rôle plus grand chez les femmes (généralement plus perméables à l'amour, cet apitoiement sur soi), ou dans les sociétés proches de leur naissance ou de leur agonie. Au contraire les hommes dans la force de l'âge tirent plus directement leur force dans la nature. Les civilisations, à leur apogée, se nourrissent moins d'illusions.
L'étude de l'art permet de mesurer la part de la nature et la part de l'illusion dans telle ou telle culture, comme le nombre des anneaux permet de dater l'arbre tronçonné. La musique ne procure-t-elle pas l'illusion de l'âme et de la vie après la mort ?
Commentaires
Pour ma part, je vois dans la décadence actuelle à la fois une épreuve quelque peu pénible à supporter (ce n'est jamais agréable de voir l'humanité en général se vautrer dans la boue la plus infâme et aimer ça) et un espoir pour un monde nouveau.
L'espoir fait partie des illusions qui donnent des forces ; mais l'espérance chrétienne n'est pas dans un "monde nouveau".
La musique permet de calmer la peur de l'avenir, ainsi des piafs qui chantent sans s'inquiéter de leur pitance à venir et que le Christ nous invite à imiter. Le problème est que dès qu'elle s'arrête ou qu'un bruit plus fort l'évince, on retourne à notre peur naturel de l'avenir. C'est l'enseignement de la fable d'Orphée qui nous est parvenu grâce à la littérature et au théâtre et non la musique.
S'il n'y a donc pas d'art chrétien, n'y a t-il pas certains arts qui peuvent contribuer à la révélation chrétienne?
En tant que baconien, je note la manière discrète (euphémisme!) de Bacon de se servir du théâtre à travers Shakespeare, manière véritablement inspirée de la charité chrétienne puisqu'il n'est pas certain que sa main droite qui écrivait Le nouvel Organum n'ignorât pas ce que sa main gauche écrivait pour le théâtre de Shakespeare et qui expliquerait l'absence quasi totale de preuves dans un sens ou dans l'autre.
- Nietzsche critique la musique moderne, disons "romantique", pour la raison qu'elle ne joue plus le rôle "entraînant" qui devrait être sa seule raison. Je note aussi que les corbeaux, au-dessus de nos plaines et de nos villes, font entendre une musique qui n'a rien d'entraînant.
- Shakespeare élucide son propre usage du théâtre dans "Hamlet". Il est intéressant de noter ce que Bacon dit à propos des récits de fiction (catégorie à laquelle Hamlet appartient), qui contrairement aux récits historiques ne s'inspirent pas de faits réels.
La preuve éclatante qu'il n'y a pas d'art chrétien, c'est la décadence de l'art. Nietzsche l'a parfaitement compris et sa doctrine satanique vise précisément la restauration de l'art. Ce qui nuit à l'art, indique Nietzsche, c'est le fait de placer la Vérité au-dessus de l'art comme fait Jésus-Christ.
Les thèses de Freud et Nietzsche, qui tous les deux furent persuadés que Bacon et Shakespeare étaient un, se heurtent à "Hamlet". Freud a essayé en vain de l'intégrer dans sa grille de lecture systématique, et Nietzsche a fait machine arrière, admettant qu'il y avait dans Shakespeare quelque chose qu'il ne parvenait pas à saisir.
Tu fais allusion à la pièce dans la pièce qui permet à Hamlet de débusquer le mensonge?
Oui, d'autant plus que le théâtre est une métaphore de la société : elle est un simulacre à l'instar du théâtre ; nous jouons tous un rôle ; l'Etat judéo-chrétien (construction sociale) est un faux dieu, etc.
Par conséquent l'emploi du théâtre par "Hamlet" est exactement opposé à l'usage social du théâtre. Hamlet dévoile au lieu de voiler, ce que le théâtre et l'art font en général ; et l'auteur de "Hamlet" fait la même chose à un autre niveau.
Très souvent Shakespeare a repris des thèmes ou des pièces écrites par d'autres et en a inversé la signification. "Roméo et Juliette" dévoile toutes les ficelles de "l'amour chrétien", thème de fictions romantiques souvent écrites par des ecclésiastiques italiens.
Mais, contrairement à Luther ("Le mariage chrétien n'a aucun fondement évangélique."), Shakespeare se refuse à la polémique et la controverse.
Bacon ne pouvait se permettre de publicité; ce que F. et N. ne pouvaient pas vraiment comprendre, qui en avaient tellement besoin! Et puis entre un mauvais juif et un fils de pasteur... tu faisais allusion à la mort de hamlet?
On pourrait dire que Nietzsche et Freud sont monothéistes tous les deux : ils ne reconnaissent qu'une seule puissance supérieure à l'homme - la Nature. Par conséquent tout ce qui n'entre pas dans cette grille de lecture relève de l'aliénation mentale (Jésus-Christ selon Nietzsche) ou de la faiblesse.
- D'où l'effort de Freud pour démontrer que Hamlet est faible, contre l'esprit et le texte de la pièce (il est pourtant clair et net que la folie de Hamlet n'est qu'un simulacre) ; à noter chez Freud cette caractéristique typiquement bourgeoise : - ne pas se venger ou hésiter à se venger est pris par Freud et les freudiens pour une marque de faiblesse.
En réalité, Hamlet n'est pas pusillanime mais prudent : il ne se hâte pas de conclure, sur la foi d'un seul témoin - il réclame des preuves de l'assassinat. A contrario, Laërte est avide de vengeance et tuerait sur un simple soupçon.
Il faudrait vraiment que je lise cette pièce de théâtre du coup.
Et à propos de Freud, on peut se demander si sa représentation de la psyché n'a pas quelques accents judaïques, étant donné l'importance de la loi (ou surmoi) dans le judaïsme.
Freud a écrit que le peuple hébreu n'est qu'un ramassis de voyous, et que le peuple juif est l'invention de Moïse et de lui seul ; sous-entendu : il ne se considérait pas juif mais Allemand. C'est l'évolution politique de l'Allemagne qui l'a conduit à retourner sa veste.
- La théorie de l'âme survivant au corps est une théorie typiquement égyptienne (cf. "Livre des Morts") ; elle est liée à la croyance dans la prédestination (dissimulée chez certains chrétiens sous le terme de "providence") ; l'importance qu'accordent certains théologiens catholiques à la "psyché" ne vient pas de la bible mais de Platon.
- Dans "Hamlet", le spectre est une représentation de l'Esprit saint guerrier ; la mère de Hamlet (l'Eglise) a trahi cet Esprit au profit d'un monarque temporel. La pièce porte sur le mariage impossible (sans trahir l'Esprit divin) de l'Eglise et de la politique - impossible car condamné par avance par Jésus-Christ.
Dans "Hamlet", il y a aussi une folie, doublée de passion. Elle se manifeste en premier chez le prince Hamlet, mais sa folie en plus d'être un simulacre, reflète la folie des autres personnages qu'ils dissimulent du mieux qu'ils peuvent. Et, au fur et à mesure de la pièce, cette folie/passion qui devient incontrôlable, atteint de telles proportions qu'elle tue la majorité des personnages de la pièce et, seul la fin permet de remettre le raisonnable au pouvoir (le prince norvégien).
Plusieurs sortes de folie sont en effet illustrées dans "Hamlet" ; mais la folie de Hamlet est très clairement une ruse, qui lui permet d'échapper au premier piège tendu par son oncle.
Je suis d'accord avec vous pour dire que le prince norvégien Fortinbras incarne la raison politique banale.
- "Hamlet" est une pièce incontournable car elle met à jour les ressorts de la folie destructrice de l'Occident : l'élément essentiel de cette folie est la trahison de l'esprit évangélique par les élites politiques occidentales, c'est-à-dire le mariage de l'Eglise avec la puissance publique, au mépris de la parole de Dieu qui proscrit une telle alliance.