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léopardi

  • Léopardi ou la solitude

    Le propre de l'homme est le goût de la solitude, pourrait-on dire, tandis que les espèces inconscientes la craignent.

    Improprement ou injustement qualifié de penseur "pessimiste" ou "misanthrope", Léopardi s'en défend dans son "Zibaldone":

    - Ma philosophie ne mène pas à la misanthropie, comme on pourrait le croire en la considérant de manière superficielle, ce dont beaucoup l'accusent. Elle exclut au contraire toute misanthropie et tend naturellement à guérir, à faire disparaître cette humeur néfaste, cette haine (qui, si elle n'est pas systématique, n'en est pas moins réelle) que tant de gens, qui ne sont pas philosophes et qui ne voudraient passer pour misanthropes, éprouvent continuellement ou occasionnellement envers leurs semblables en raison du mal que leur font, avec ou sans raison, les autres hommes.

    Ma philosophie rend la nature coupable de tout, et en disculpant les hommes, elle déplace la haine et les plaintes vers un principe plus élevé, vers la véritable origine des maux des êtres vivants.

    Ici Léopardi éclaire le sens véritable du péché chrétien, qui n'accuse pas l'homme, ou n'accroît pas la haine de soi mais accuse la nature et souligne l'impasse du "droit naturel" des païens ou des élites politiques (qui en tous temps et sous tous les régimes sans exception tirent leur légitimité et leurs moyens du droit naturel).

    Au passage, Léopardi élucide pourquoi il y a tant de haine dans le socialisme qui s'avance au nom de l'amour de l'Humanité et a pourtant fait couler le sang des hommes comme aucune autre religion auparavant, attisant des querelles violentes dont l'humanité ne se remettra peut-être jamais. Les socialistes sont en effet ces gens "qui ne voudraient pas passer pour misanthropes", tantôt par ruse, tantôt par esprit moutonnier.

     

  • Léopardi contre Darwin

    Lisant Léopardi, je suis frappé par le fait que la description qu'il fait de l'être humain ne peut s'accommoder avec le transformisme darwinien, l'idée qu'il y aurait entre l'homme et l'animal seulement un degré d'évolution.

    Voici pourquoi : le darwinisme tend à nier l'individualisme, ou du moins à le déprécier; c'est sans doute ce qui explique que toutes les idéologies totalitaires s'appuient, au moins en partie, sur une forme de darwinisme social (libéralisme, communisme et nazisme).

    A contrario, Léopardi, tout en indiquant la limite de l'autonomie de la volonté humaine, son conditionnement biologique et social, illustre la capacité de l'homme à s'émanciper des lois de la nature, comme aucun autre animal ne peut. Le lecteur attentif de Léopardi sera le moins convaincu, en définitive, que l'on peut réduire la personne humaine à un "être social".

    La profondeur de l'analyse psychologique de Léopardi, en comparaison de celle de Freud qui demeure superficielle ou médicale, vient de ce qu'il ne résume pas la conscience humaine à la volonté.

    L'individualisme de Léopardi est "expérimental", en même temps qu'il résulte de sa méditation des évangiles.

    Expérimental, en effet, car les circonstances de sa naissance dans un milieu aristocratique et de son grave handicap physique dû à la maladie (deux signes contradictoires de la fortune) furent causes de l'isolement exceptionnel de Léopardi qui, pour ne pas être complètement cloîtré dans son château, un entourage restreint et la maladie, s'échappa dans la lecture des auteurs, classiques et modernes, apprenant les langues étrangères pour pouvoir lire ces auteurs dans le texte.

    S'il a pu souffrir parfois de cette réclusion, Léopardi n'en estime pas moins le bénéfice de la solitude à sa juste valeur. La poésie a probablement procuré à Léopardi une jouissance comparable à celle que tirent des relations sociales des esprits plus bourgeois. La poésie de Léopardi est émouvante car c'est celle d'un homme qui triomphe par ce moyen d'une maladie atroce.

    A cet égard, il est globalement faux ou trompeur de considérer Léopardi comme un auteur pessimiste. En effet celui-ci a compris et explique que l'optimisme dissimule souvent la peine à jouir, en particulier sous la forme de l'optimisme religieux.

    D'autre part Léopardi, méditant les saintes écritures, relève que personne n'a autant méprisé la société que Jésus-Christ, ce que sa condamnation du monde systématique implique ; a contrario il n'y a pas de témoignage plus individualiste que le témoignage de Jésus-Christ, dans la mesure où ce témoignage dévalue toutes les dimensions sociales dans lesquelles l'être humain croit ordinairement s'accomplir (civique, sociale, artistique, familiale, etc.).

    On peut traduire ainsi l'individualisme évangélique : l'amour de la vérité scinde l'individu du reste de l'humanité, tandis que son goût naturel pour le mensonge (l'art) le fait membre du troupeau. Le péché peut en effet se traduire du point de vue chrétien comme "la loi sociale commune".

    A ce propos, Léopardi commet une erreur d'interprétation de la Genèse (dans le "Zibaldone"), caractéristique de la culture latine (on la trouve chez Cicéron, quand ce dernier interprète la fable similaire des sirènes). Le péché n'est pas lié dans le récit de la Genèse à la connaissance en général, mais à une forme de connaissance particulière, symbolisée par l'arbre et son fruit : la connaissance du bien et du mal, c'est-à-dire à l'éthique.

    Force et de constater que la science ou la connaissance n'a aucune justification ni utilité sociale, tandis que l'éthique est, elle, indispensable sur le plan social. Le paradoxe de l'anthropologie darwinienne ou transformiste, c'est qu'elle ne laisse aucune place à l'activité scientifique.

  • De l'Athéisme

    L'étude de la philosophie du XIXe siècle m'a conduit à la même conclusion que Léopardi en ce qui concerne l'athéisme. Léopardi a développé son point de vue dans le "Zibaldone" (notes rédigées entre 1817 et 1832) :

    "N'est-il pas paradoxal de voir dans la religion chrétienne la principale source de l'athéisme, ou plus généralement, de l'incroyance en matière de religion ? Je la tiens néanmoins pour telle. L'homme est naturellement croyant, car il raisonne peu, et ne fait pas très grand cas des raisons des choses. (...) L'homme peut naturellement tout au plus imaginer, concevoir une religion et y croire, comme l'expérience nous le montre, tout comme il peut imaginer, concevoir et croire tant d'illusions dont certaines sont communes à tous, alors que les religions imaginées par les hommes naturels étaient toutes différentes.

    La métaphysique, qui plonge jusqu'aux raisons cachées des choses, qui examine la nature, nos imaginations, et nos idées, etc., et l'esprit profond, philosophique et raisonneur sont les véritables sources de l'incroyance. Tout ceci fut en grande partie répandu par les religions judaïque et chrétienne, qui enseignèrent aux hommes et les habituèrent à regarder au-delà de leur clocher, à contempler plus bas que le sol, à réfléchir en somme, à rechercher les causes cachées, à examiner et, souvent aussi, à condamner et à abandonner leurs croyances naturelles, leurs imaginations spontanées et sans fondements, etc. (...) Aussi toutes les religions constituent-elles une espèce de métaphysique, et toutes les religions un tant soit peu constituées peuvent être tenues pour des causes d'irréligion, ou inversement (admirable agencement du système de l'homme, qui ne serait pas irréligieux s'il n'avait été religieux) ; toutefois, comme chacun le voit, cette particularité appartient principalement aux religions judaïque et chrétienne."

    Quelques lignes de commentaire :

    - D'abord on voit dans ce passage combien Léopardi diffère de Nietzsche, en même temps qu'il permet de comprendre la doctrine antichrétienne et antijuive de Nietzsche. En effet ce dernier combat la métaphysique (au nom du bonheur) comme une invention judéo-chrétienne funeste et délirante.

    - L'analyse de Léopardi a pour effet de dissoudre la propagande, sans doute plus répandue en France que dans d'autres nations, qui tend à faire croire que le christianisme est une religion dissidente.

    L'idéologie démocrate-chrétienne est, au contraire, une idéologie dominante, distincte de la foi dans la parole de dieu. A la foi chrétienne, la rhétorique démocrate-chrétienne substitue un calcul, la probabilité que dieu existe; il s'agit là d'un athéisme qui n'ose pas dire son nom.

     

  • Décadence

    La décadence n'est pas une source d'inquiétude pour le chrétien, car le Royaume de Dieu n'est pas de ce monde.

    La décadence est une source d'inquiétude pour les élites, qui sont actionnaires du monde, tandis que le chrétien s'efforce de remonter le courant de la vanité et du péché.

    Le moraliste Léopardi dit de l'homme ""qu'il tire toutes ses forces de la nature ou bien de ses illusions". Il exclut ici la Vérité, qui procura à Jésus-Christ un surcroît de force pour affronter ses assassins, ses juges et ses bourreaux.

    Des sociétés ou des civilisations, qui ne tirent aucun profit de la Vérité, on peut mieux affirmer qu'elles prennent leurs forces dans la nature ou bien dans des perspectives illusoires ; ces dernières ont le plus souvent la forme d'utopies politiques.

    Qu'est-ce que l'illusion, si ce n'est un mirage, par conséquent une force naturelle dérivée, exactement comme la puissance technologique n'est qu'un emprunt à la nature.

    Il est probable que l'illusion joue un rôle plus grand chez les femmes (généralement plus perméables à l'amour, cet apitoiement sur soi), ou dans les sociétés proches de leur naissance ou de leur agonie. Au contraire les hommes dans la force de l'âge tirent plus directement leur force dans la nature. Les civilisations, à leur apogée, se nourrissent moins d'illusions.

    L'étude de l'art permet de mesurer la part de la nature et la part de l'illusion dans telle ou telle culture, comme le nombre des anneaux permet de dater l'arbre tronçonné. La musique ne procure-t-elle pas l'illusion de l'âme et de la vie après la mort ?

  • Léopardi contre Nietzsche

    Les docteurs en littérature opèrent parfois d'étonnants rapprochements, comme celui de Léopardi avec Nietzsche.

    Léopardi rejoint le christianisme quand il s'emploie à démontrer la bêtise incorrigible du monde, prévenant ainsi son lecteur contre toute forme de doctrine sociale. A contrario Nietzsche veut sauver ou préserver le monde du christianisme et de son dédain pour les choses terrestres.

    On ne peut guère rapprocher Nietzsche et Léopardi que sur le plan du style, et c'est un angle mort.

  • Claudel, pseudo-Shakespeare

    L'imitation de Shakespeare par Paul Claudel ("Tête d'Or") fait penser à l'imitation des Grecs par les Romains, qui s'approprièrent l'art grec mais ne le comprirent pas. Il n'y a rien d'homérique, en effet, chez les Romains, surtout pas Virgile.

    Conception fantasmatique d'une culture occidentale issue de la culture "gréco-latine" et biblique, dénoncée justement par Léopardi : "La civilisation moderne nous a menés à l'opposé de la civilisation antique et l'on ne peut comprendre comment deux choses opposées pourraient n'en faire qu'une seule, et se prétendre toutes deux civilisations. Il ne s'agit pas là de minces différences, mais de contradictions essentielles : ou les Anciens n'étaient pas civilisés, ou c'est nous qui ne le sommes pas."

    De ce fantasme ou de ce négationnisme de l'Histoire, Shakespeare est parfaitement conscient, tandis que Claudel au contraire l'entretient. Shakespeare répond à la question de Léopardi dans "Le Marchand de Venise", qui met à jour les tenant et aboutissant de la culture occidentale, sous le masque "humaniste".

    Il y a certainement un peu de Claudius dans Claudel, comme dans les crétins qui prétendent que ce félon serait le héros de la pièce ; mais il y a surtout du Polonius, car Polonius écoute Hamlet sans le comprendre, comme Claudel écoute Shakespeare en restant sourd. De surcroît Claudel est diplomate, comme Polonius. Et il n'y a apparemment d'espèce parmi les hommes que Hamlet, "fils du tonnerre", exècre plus que les diplomates.

    Quand Dante condamne illégitimement tel ou tel, Shakespeare condamne justement la fonction.

     

     

  • Grandeur et décadence

    "(...) la civilisation moderne nous a menés à l'opposé de la civilisation antique et l'on ne peut comprendre comment deux choses opposées pourraient n'en faire qu'une seule, et se prétendre toutes deux civilisations. Il ne s'agit pas là de minces différences, mais de contradictions essentielles : ou les Anciens n'étaient pas civilisés, ou c'est nous qui ne le sommes pas."

    Léopardi ("Zibaldone", 1820)

    Pour être plus précis, la manière des modernes d'être civilisés est de répéter en boucle qu'ils le sont, d'avoir inventé des moyens de propagande et de censure extraordinaires au service de ce discours. Aux efforts qualitatifs de l'antiquité pour s'élever au niveau de la civilisation, c'est-à-dire d'une certaine mesure et équilibre, s'opposent les efforts quantitatifs de la civilisation moderne.

    Une autre différence qu'il faut remarquer, c'est l'appui sur la matière des civilisations antiques, tandis que la modernité s'appuie sur le temps. Une théorie scientifique moderne, pour s'accorder au restant du train de la culture moderne, devra nécessairement postuler le primat du temps sur la matière, aussi difficile à rapporter soit cette preuve. La métaphysique moderne est une pataphysique, car ce qui est postulé au-delà de la matière par le métaphysicien moderne n'est en réalité qu'un effet relatif à la matière, comme le mouvement. La civilisation antique peut se concevoir assez bien en dépit de la civilisation moderne, tandis que le contraire est beaucoup moins vrai.

    Si Léopardi ne tranche pas nettement en faveur de l'antiquité comme Nitche, c'est peut-être parce qu'il est chrétien et sait que le monde et ses actionnaires sont, par avance, condamnés ? Les utopies politiques qui encombrent la culture occidentale depuis le moyen-âge sont certainement le meilleur moyen pour les élites occidentales d'occulter l'apocalypse de Jean, où l'anarchisme chrétien s'avère le plus explicite. Ces utopies politiques forment, avec la propagande, le substrat de la culture et de la civilisation modernes. La culture moderne est une nef peuplée de militants qui s'encouragent mutuellement par leurs cris d'espoir à croire que l'infini est pour bientôt.

     

     

     

  • Théorie du plaisir

    S'il n'y a pas chez Léopardi, contrairement à Nitche, d'accusation contre le christianisme en général d'être la source du malheur moderne, c'est parce que le poète italien est conscient qu'il est absurde pour l'homme de s'assigner le bonheur comme but dans l'existence. C'est tout au plus le fruit d'une saine éducation. La détermination au bonheur comme fin ultime est tout aussi absurde que celle, plus contemporaine, qui découle de la foi dans le progrès social, dans laquelle on décèle sans peine un avatar de la morale chrétienne, mais non du christianisme en général.

    Autrement dit, il ne peut y avoir de véritable spiritualité liée à la quête du bonheur, tout comme il ne peut y avoir de civilisation véritable qui ne vise à la conservation du bonheur, autant qu'il est possible, c'est-à-dire à condition d'exclure le principe égalitaire.

    L'utopie politique est un vecteur de destruction de la politique, sans pour autant posséder la moindre valeur spirituelle, ni même scientifique. Léopardi accorde au christianisme une consistance spirituelle que Nitche ne lui concède pas, et l'Italien ne relègue pas la métaphysique au rang des illusions.

    Après tout c'est le minimum pour un chrétien de savoir qu'il y a un décalage radical entre les exigences de la civilisation, nécessairement sataniques, et celles de la foi chrétienne. De même c'est le minimum pour un homme civilisé de concevoir que la civilisation est essentiellement conservatrice.

    Les nations où la drogue se répand comme une épidémie, tels les Etats-Unis, sont nécessairement des nations puritaines, car la jouissance que procure la drogue correspond à la promesse de jouissance macabre contenue dans les religions puritaines. On peut dire des drogues comme des religions puritaines qu'elles promettent beaucoup mais tiennent peu. A l'opposé la jouissance physique, fondant la culture de vie satanique (nitchéenne), est beaucoup plus immédiate et moins intellectuelle. Drogués et puritains ont en commun d'être rongés par la culpabilité, et rendus impuissants par elle.

    A quoi bon mener campagne contre la drogue ou l'alcoolisme si une institution aussi perverse que l'Education nationale persiste, son idéologie de caserne la plus propice afin de diriger les gosses vers l'autel de la consommation et en faire des victimes masochistes de la modernité ?

    - Léopardi considère comme Nitche la morale et l'art bourgeois existentialistes comme un mouvement de décadence, mais la fin du monde n'est pas pour Léopardi une fin qu'il faut exclure, au contraire de Nitche qui voudrait retrouver, grâce à l'extinction du christianisme qu'il espère proche (le christianisme libéral ou social n'est déjà plus aux yeux de Nitche qu'une vague pétition de principe sans plus de rapport avec le Christ et ses apôtres qu'une kermesse n'en a avec l'évangile) le chemin de la civilisation et de la vertu païenne. L'éternel retour de Nitche est à la fois un principe cosmologique assez simple, moins abstrait que la théorie de la relativité qui a pour effet "surréaliste" de transformer l'homme en démiurge de l'univers, un principe qui ne heurte pas la raison commune par son excessive originalité. Cependant il est la marque d'un intérêt pour le cosmos limité lui aussi au rapport que l'homme entretient avec lui, une philosophie naturelle plutôt qu'une science désintéressée. Léopardi envisage beaucoup plus sérieusement la "programmation" de la destruction du monde humain et il n'exclut pas que la décadence de l'Occident résulte d'une force bien supérieure à celles que l'homme puise hors de lui, mais dont il a décidé, parvenu à un état de gâtisme avancé, de s'attribuer la propriété intellectuelle.

     

  • Preuve de dieu (3)

    "Le suicide prouve dieu" : cet élément de preuve avancé par Jacques Léopardi a le mérite, contrairement au pari et aux pensées confuses de Pascal, de mettre à jour le véritable sens antisocial du message évangélique.

    L'idée que le suicide prouve dieu est propre à choquer un païen, n'importe quel tenant d'une quelconque "culture de vie" ; elle a de quoi scandaliser la plupart des Italiens, qui de par leurs mères ont une bite à la place du cerveau. L'honnêteté particulière de Mussolini fut de ramener l'élan commun italien sous les emblèmes de la Rome antique démoniaque. Son imbécillité particulière fut de n'avoir aucun sens de l'histoire, et d'ignorer que le paganisme est condamné dans les temps modernes à revêtir l'apparence chrétienne. Il est condamné à une telle apparence par Satan lui-même. Ceux qui ont quelques notions de la stratégie militaire comprendront comment Satan agit, et qu'il n'est pas utile que ses militants aient une conscience claire du plan d'ensemble. Satan s'oppose à la pleine conscience par l'homme de ses actes par le biais de la science morale (retenez cette phrase, et méditez-la, car elle permet de reconnaître la milice de Satan, y compris la plus dangereuse qui porte un masque chrétien). Les païens qui ne comprennent pas pourquoi Satan les a abandonnés, et la culture de vie n'est plus ce qu'elle était, du temps du culte de Déméter, et pourquoi la puissance de feu est entre les mains d'Occidentaux veules et efféminés, ces païens doivent comprendre que la tactique de Satan est celle de la terre brûlée, et qu'ils font tout simplement les frais de cette tactique.

    Pour actualiser le propos de Léopardi, et mieux le comprendre, on pourrait dire que "La théorie du genre prouve dieu". En effet il ne s'agit pas pour Léopardi de recommander le suicide comme la voie du salut, mais d'indiquer que la vie, dont la volonté humaine découle, étant dépourvue de logique, n'a pas une origine divine mais porte bien la marque du péché originel. L'homme est doué de la capacité de s'opposer au droit naturel, autant qu'il est capable de s'y plier, et cela suffit à justifier les métaphysiciens de dénier à la science physique la capacité de rendre compte à elle seule de l'univers, puisque la biologie n'est même pas capable d'expliquer la raison humaine ou sa détermination propre. Il n'est pas plus fou de se suicider que de vivre pour mourir et s'exposer ainsi en vain à la souffrance. L'homme est moins doué pour le bonheur que le cochon, en dépit des efforts de la bourgeoisie pour l'imiter - mais malgré cette infériorité sociale, l'homme n'en conduit pas moins les porcs à l'abattoir, et non l'inverse. Si l'homme est un loup pour l'homme, pourquoi Darwin expédie-t-il les lettres les plus niaises et sentimentales à sa régulière ? Pour prouver qu'il a le tempérament d'un petit veau, qui aime comme on tète ? Pour prouver que la faiblesse est le propre de l'homme ?

    Bien sûr Léopardi parle ici du suicide comme une solution contre la souffrance et la condition humaine, et non comme un dernier recours ou une impasse. Contrairement à Pascal qui oppose un dieu abstrait aux dieux païens physiques, Léopardi a conscience que le christianisme ne se nourrit pas de preuves ou de paris, puisque le christianisme est une religion révélée.

    Contrairement à Léopardi, Bacon, voire Aristote ou Homère, la théologie de Pascal, qui en réalité n'est qu'une propagande, s'expose à la preuve contraire que le dieu dont le christ Jésus révèle la présence n'est qu'une vue de l'esprit humain, selon la formule mathématique ou juridique. Si d'ailleurs l'antichrist Nitche apprécie Pascal, c'est parce que ce dernier conforte sa théorie selon laquelle il n'y a pas d'autre loi que la loi naturelle de l'éternel retour, et que l'art abstrait est pure négation de la réalité physique, qui ne crée rien d'autre qu'une bulle spéculative. Le dieu des chrétiens n'est rien d'autre pour Nitche qu'une perspective truquée, un millénarisme dangereux maquillé en promesse d'avenir radieux ou de progrès social - l'espoir des faibles, puisque les forts vivent au présent, qui est le temps de la jouissance et du meilleur rapport avec la nature vivante. Léopardi, lui, s'abstient d'une démonstration de dieu à l'aide du moyen rhétorique le plus humain ; il se contente de remarquer que la volonté contraire à la vie et à l'instinct prouve que la psyché humaine n'est pas seulement régie par des lois physiques, et le prouve d'autant plus chez un homme de bonne volonté.

    La métaphysique et la mythologie antiques rendent d'ailleurs compte d'une conscience de la métaphysique des anciens bien plus proche de la pensée de Léopardi que de l'antiquité postfabriquée par Nitche. La théologie antique a d'ailleurs aussi récusé par avance le perspectivisme pascalien, qui part de l'homme et finit nécessairement par revenir à l'homme, de sorte que l'athéisme moderne a frappé la tête des élites occidentales comme un boomerang lancé par les médiocres théologiens du XVIIe siècle, inventeurs du providentialisme chrétien le plus insane, car un paganisme qui ne dit pas son nom.

     

     

     

     

  • Civilisation

    "Jésus-Christ, le premier, a désigné clairement aux hommes le laudateur et le maître de toutes les fausses vertus, le détracteur et le persécuteur de toutes les vraies, l'adversaire de toute grandeur réelle et proprement humaine, le contempteur de tout sentiment élevé, du moment qu'il ne paraît pas feint, de toute affection tendre, sitôt qu'elle semble profonde.

    Cet esclave des forts, ce tyran des faibles, cet ennemi des malheureux, il l'a nommé le monde, et c'est le nom qui lui est resté jusqu'ici dans toutes les langues modernes. Avant l'ère chrétienne, cette idée générale, qui est si vraie, qui a été et qui sera si profitable, n'est venue, me semble-t-il, à personne, et je ne connais aucun philosophe païen qui l'exprime par un terme unique ou sous une forme précise. Peut-être auparavant l'imposture et la lâcheté n'avaient-elles pas pris l'ampleur que nous leur connaissons et la civilisation n'en serait-elle pas arrivée à ce point où elle se confond pour l'essentiel avec la corruption.

    En somme, l'homme que je viens d'évoquer et que nous a montré Jésus-Christ, est l'homme que nous appelons civilisé : il est ce que la raison et l'intuition ne nous révèlent pas, ce que les livres et les éducateurs nous annoncent, ce que l'exemple de la nature nous présente comme chimérique et que seule l'expérience de la vie nous fait connaître, et admettre. Il me reste à ajouter que cette idée, bien que générale, s'applique, en tout point, à d'innombrables individus."

    Leopardi

    (la démocratie chrétienne est l'idée de "Jésus-Christ, sauveur du monde")

  • Léopardi contre Nitche

    Sans doute parce qu'il est Italien, Giacomo Leopardi est parfois indûment rapproché de Nitche. Cette seule citation de Leopardi, "Le suicide prouve Dieu", où dieu n'est pas une divinité païenne quelconque, suffit à les séparer nettement. Pas plus qu'il n'est satanique, Leopardi n'est adepte de la culture de mort imputée par Nitche au christianisme et à Jésus-Christ lui-même.

    Le mot de Leopardi fait référence à la science naturelle antique, celle d'Aristote notamment, qui voit dans l'homme l'animal le plus complexe, au milieu des autres espèces possédant le souffle vital - un microcosme. De sorte que la sagesse des anciens se préoccupe non seulement de l'aspiration physique, vitale, de l'homme, mais aussi de son aspiration métaphysique contradictoire. Homère a ainsi raconté les aventures de deux super-héros opposés. Achille, courant au-devant de son destin, illustrant l'élan physique ou la culture de vie, nécessairement macabre, et Ulysse d'autre part, plus prudent et illustrant l'aspiration métaphysique et les obstacles tragiques auxquels la sagesse se heurte, mais dont Ulysse finit par triompher. Louant la tragédie grecque, on voit que Nitche en élude les données fondamentales, pour la rapprocher du dieu aryen Dionysos, sans doute afin de l'amputer de la partie métaphysique et conforter sa thèse d'une antiquité grecque baignant dans la culture de vie jusqu'au "décadent" Platon.

    On remarque d'ailleurs dans le récit mythologique de la Genèse attribué à Moïse, la même dialectique que chez Homère - d'une part un arbre de vie, où niche le serpent, symbolique de la science physique, et d'autre part l'arbre du salut, symbolique de la sagesse divine ou de ce qu'Aristote nomme "métaphysique".

    Bien que Leopardi soit l'auteur d'une pensée plus forte et plus cohérente que celle de Nitche, il est moins célébré publiquement que celui-ci. L'explication en est sans doute que Leopardi est moins moderne que Nitche. Bien que la morale aristocratique de Nitche ne s'accorde pas avec le darwinisme, comme le nazisme s'accorda avec lui pour cause de populisme ou de socialisme, la culture de vie nitchéenne ne remet pas en cause le conditionnement physique de l'homme postulé par la science moderne.

    Nitche n'est sans doute pas nihiliste, comme les vils curés modernes qu'il blâme pour s'être acoquinés avec la plèbe et l'empoisonner avec de vains idéaux, mais il est misanthrope, ce qui revient à peu près au même.

  • Exit Darwin

    "Pourquoi la conception néo-darwinienne de la nature est presque certainement fausse." Thomas Nagel

    Le sous-titre de ce bouquin récemment paru aux Etats-Unis donne lieu dans la presse française à des commentaires consternants de... bêtise. Ainsi le webzine Actualitté ; l'antagonisme n'est pas entre "athées", comme T. Nagel, et "croyants". L'antagonisme est entre les tenants d'un déterminisme biologique absolu, et ceux qui estiment que celui-ci n'est que relatif. J'ai beau partager le point de vue anti-évolutionniste de Nagel, je suis le dernier à nier que le coït (nature) obéit à une impulsion biologique, ainsi que les sentiments superficiels (culture), dont l'espèce humaine recouvre la mécanique sexuelle, afin d'en atténuer la cruauté. Non seulement le christianisme ne nie pas le déterminisme social, mais il affirme qu'il ne peut y avoir de progrès sur ce terrain. Un reste de christianisme fait sans doute dire à Nitche (qui n'est pas athée mais païen), que le mouvement culturel accompagne la décadence ou la régression. La culture libérale ou démocratique lui donne raison, tant le constat de l'infantilisme des sociétés libérales est facile à faire (quoi que Nitche soit sans solution pour enrayer le phénomène culturel qui fait de lui un déclassé, ou un spécimen en voie de disparition).

    Pour autant la société n'est pas tout. Elle ne l'est que dans les esprits totalitaires ou, selon Rabelais, grégaires, pour qui il n'est pas de salut en dehors de la famille, de l'Etat, de la nation, de la race, du couple, ou du langage, qui est en quelque sorte le "racialisme épuré" des élites intellectuelles.

    Des tas de croyants sont d'ailleurs "évolutionnistes", par conviction ou parce qu'ils se tiennent dans l'ignorance des questions scientifiques. Au plus haut niveau de l'Eglise romaine, c'est-à-dire de la curie ou de l'évêque de Rome, la mode fait loi, puisque l'incroyable préjugé y est répandu que la science et la foi sont deux choses distinctes. Peu importe que la plupart des savants modernes du XVIIe siècle soient des hommes d'Eglise, ou des philosophes préoccupés de questions théologiques. Prenons Descartes, par exemple, dont se gobergent la plupart des élites républicaines aujourd'hui. Descartes est sans doute moins préoccupé par la théologie que Galilée, Mersenne, Newton, Leibnitz, etc., mais cependant parfaitement conscient des implications de la religion sur la science, et de la science sur la religion. "Je ne veux pas examiner la question du temps dans le phénomène mécanique de gravitation, écrit Descartes, parce qu'elle est trop liée à celle de dieu." Descartes ouvre droit à la partition technocratique de la science, d'une manière beaucoup plus hasardeuse que F. Bacon, mais pas sur le mode totalitaire de la censure des questions métaphysiques.

    Les bouddhistes sont aussi généralement "évolutionnistes". Mais le bouddhisme est, pratiquement, comme la philosophie morale allemande, une religion de la résignation au déterminisme biologique. Autrement dit, à l'opposé du christianisme, le bouddhisme est une religion anthropologique, de l'homme, par l'homme, pour l'homme.

    La "culture de vie" bouddhiste ou évolutionniste ne nie pas positivement la liberté, l'amour ou la vérité, ce à quoi le raisonnement biologique déterministe devrait l'entraîner, mais elle les pose comme de simples hypothèses, d'ordre juridique ou génétique. Techniquement, ou bien la liberté est repoussée dans un au-delà fictif, ou bien elle n'a d'existence que relative, entre les hommes, en fonction de leur situation les uns par rapport aux autres. Les personnes les mieux adaptées à la société -"les escrocs", dit un philosophe français athée anti-évolutionniste- sont donc les plus libres. Raisonnement bestial, puisqu'il se mord la queue. Il place certains hommes dans la condition abominable de concevoir l'animal comme un être plus libre de ses mouvements qu'il ne le sont.

    Que l'on soit croyant ou pas, il y a de très bonnes raisons de soupçonner le raisonnement évolutionniste d'être adapté au totalitarisme. A cause de son usage par les élites capitalistes et nazies, il n'est pas rare que des athées soient hostiles au "darwinisme social", c'est-à-dire à des solutions morales inspirées de l'évolutionnisme. Il est vrai que leur hostilité va rarement jusqu'à soupçonner la mécanique transformiste d'être défaillante à expliquer comment l'individu peut parfois aller à contre-courant de la culture de vie, des statistiques ou de la vie domestique - ou l'art de l'érotisme. Si l'homme descend du singe ou de l'amibe, il ne devrait pas pouvoir produire autre chose que des objets d'art érotiques. Il ne devrait pas pouvoir prononcer, comme Léopardi, que "le suicide prouve dieu", c'est-à-dire la capacité de se soustraire volontairement au déterminisme naturel, ou au fol espoir que la vie sociale a un autre sens que d'échapper le plus longtemps possible à la mort, en se couvrant les yeux des écailles de la culture ou de la religion. En dehors de servir à se rassurer, on ne voit pas bien l'usage de la culture ou de l'éthique pour un athée ?

    Quelle est la place de l'oeuvre de Shakespeare, celle de Karl Marx, entièrement soutenues par l'énergie du désespoir, c'est-à-dire le contraire de la fureur de vivre des imbéciles et des lâches, qui ne se connaissent pas et ne veulent pas se connaître en dehors des images sociales flatteuses ?



  • Les Mots

    Reconnaître le mensonge dans les mots, comme Léopardi, est assez rare de la part d'un homme élite. En effet le piège dans lequel tombent les faibles est toujours d'abord rhétorique. Le style moderne est "sémantique", c'est-à-dire qu'il tente de faire croire que le langage a un sens propre.

    Le combat de Marx est contre la sémantique, sachant que les peuples sont systématiquement entraînés sur ce terrain par ceux qui les dominent et les exploitent. On dispose en France avec le jansénisme de l'exemple d'une pensée chrétienne pratiquement aussi idiote que le libéralisme dans le domaine économique, c'est-à-dire une pensée où la fonction religieuse devient le but religieux.

    En tant que Français, je renie la langue française et je vomis l'Académie française et l'académisme : pratiquement, ce sont les auteurs les moins français. Il faut être Québécois pour cultiver la langue française. La culture américaine découle plus de l'académie française que moi, car, pratiquement, l'académisme en art revient au culte de satan (n'importe quel artiste, ayant vu le faciès de Richelieu par Champaigne comprendra ce que je veux dire : c'est un portrait de l'iniquité).

  • Léopardi et l'évolution

    En même temps qu'il "prouve dieu", selon Léopardi, le suicide infirme la théorie pseudo-scientifique de l'évolution, qui contribue à la barbarie capitaliste moderne, après le nazisme, sous la forme du darwinisme social.

    Notamment le darwinisme contribue à accréditer une idée qui heurte la conscience française, celle du progrès collectif ou social. C'est probablement une idée qui fera sourire pas mal de Français, encore aujourd'hui, l'idée qui consiste à voir dans la littérature de Houellebecq, Philippe Sollers ou Marc Lévy, un progrès par rapport à Molière ou Voltaire.

    Il n'est pas difficile de comprendre que c'est la mode et le commerce qui incitent à lire Houellebecq plutôt que Voltaire, y compris dans ses ouvrages les plus médiocres, ou à perdre son temps dans les salles de cinéma.

    Et, si l'on prouve que le singe n'est pas insensible à la mode, à l'instar des Boches, on n'aura encore rien prouvé scientifiquement de l'évolution. En matière de progrès, le temps ne fait rien à l'affaire, bien au contraire ; ceux qui le croient confondent le progrès avec la danse de salon ou la musique de chambre. De là vient la comparaison du plus sérieux promoteur de la science humaine, Francis Bacon, entre la faiblesse du génie humain et l'horlogerie, qui se contente de plagier quelques principes naturels de base, connus depuis des millénaires.

    Il y a peu, j'entendais Jean-Didier Vincent, spécialiste de la psychologie des chats et auteur de cours d'éducation sexuelle pour sa fille, réclamer "qu'on en finisse enfin avec Eschyle !". S'il y a un domaine ou l'homme moderne s'avère l'égal du singe, et il sera obligé de le prendre pour un compliment, c'est le domaine du comique involontaire. Les élites républicaines, comme les élites cléricales auparavant, ne pensent d'ailleurs qu'à censurer tout ce qui les désavoue, avec une efficacité renforcée par les moyens de la technocratie.

    - Si Léopardi est aussi peu considéré aujourd'hui, au profit de moralistes tout à fait creux dont les bouquins répétitifs remplissent les rayonnages des bibliothèques municipales, c'est parce que son point de vue philosophique individualiste est peu compatible avec l'évolutionnisme. Mieux que l'Ancien régime aristocratique, la bourgeoisie libérale est parvenue, avec l'aide du personnel républicain, à maintenir le peuple à distance de l'individualisme, aussi dangereux pour les élites que la culture ou la religion, au contraire, les conforte.

    - De Louis-Ferdinand Céline, Léopardi paraît très proche (le rapprochement de Léopardi et Nitche est absurde), c'est-à-dire caractéristique de l'humanisme occidental qui place l'individu au-dessus de la société et des lois absurdes qui la régissent, comme la quête du bonheur, chiffon rouge à l'aide duquel les élites libérales (officiellement démocratiques) toréent le peuple, d'une manière plus bestiale encore que l'oppression physique des anciens bouchers. Au contraire de Nitche, Léopardi et Céline sont irréligieux, c'est-à-dire peu enclins à envisager l'homme comme une espèce, non pas parce que celui-ci échappe au règne animal, mais parce que, s'il lui appartenait exclusivement et n'était que le produit raffiné de la culture de vie ou de la génétique, il serait logique de conclure que l'espèce humaine est, de toute, la plus vile, car la moins soudée. Ou encore il serait logique de conclure que les personnes humaines les plus bestiales sont les plus estimables, alors qu'elles le sont seulement sur le terrain social, temporairement, ne marquant guère l'histoire. Louis XIV n'est plus guère qu'une vague silhouette, comparé à Molière dans l'ordre artistique, qu'il est encore possible d'aimer.

    De tous les côtés où on examine l'espèce l'humaine, le fait de la considérer comme une espèce animale perfectionnée semble absurde, sauf du point de vue religieux. Sur le plan psychologique, l'animal s'ignore moins que l'homme et ne tombe pas dans l'artifice du dédoublement de l'âme et du corps. 

  • Demain la guerre

    C'est une assertion étrange de la part de Léopardi lorsqu'il postule que les poèmes d'Homère ont perduré pendant des millénaires par hasard. Léopardi est en effet plus sage d'habitude, et tranche heureusement avec la culture de vie incestueuse de ses compatriotes.

    La résistance de Homère au temps et au hasard est encore plus logique que celle d'Aristote.

    - Très tôt dans l'histoire, Homère renseigne sur la cause de toutes les guerres et les charniers ; il dit pourquoi aucune éthique ne peut les empêcher et comment, ne pouvant les empêcher, elle les prépare insidieusement. Tout professeur d'éthique moderne est nécessairement de l'espèce des logocrates égyptiens, dont le rôle plus ou moins conscient est d'entraîner les peuples vers l'abîme (en créant un inconscient collectif qui libère l'instinct criminel de l'homme). Le masque de la démocratie-chrétienne est transparent.

    - L'erreur de jugement de Léopardi est scientifique, voisine de celle de Lucrèce. Il croit dans la matière et sa vérité, non pas réfugié comme toutes les femelles et gens de robe dans l'abstraction, mais il hésite à croire que l'homme peut dépasser le stade de l'hypothèse, c'est-à-dire qu'il peut triompher de la providence ou du destin. De là son explication providentielle, à l'incroyable longévité d'Homère, le poète qui méprisait la gloire. Le défi à la mort de Homère heurte le sentiment religieux qui, au contraire, se nourrit de celle-ci.

    - La femme est l'objet du désir, et il y a une femme pour deux hommes imbéciles. Cela suffit à Homère pour illustrer la compétition entre les hommes. Cette vérité homérique n'a pas vacillé depuis des millénaires : derrière une bête à concours, on retrouve toujours une femme. Ceux qui parlent de "guerres de religion", occultent que le dieu poursuivi dans ces cas-là n'est qu'une puissance équivalente de l'Etat ou de l'avenir des publicitaires : le produit d'un fantasme ou cette figuration de dieu interdite dans le judaïsme pour parer au piège de la femme. L'hommage des publicitaires modernes rendu aux femmes n'est autre qu'un discret encouragement à la compétition. La compatibilité de cet hommage avec la prostitution est d'ailleurs parfaite. Et le petit chiffon rouge du terroriste musulman, qui va s'écraser contre les panneaux publicitaires, de quoi est-il encore fait ? Un cheptel de vierges.

    Loué sois-tu, Homère, à travers les millénaires, de nous préserver de l'éternel retour de la connerie cléricale !