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  • L'essence de la laïcité

    « Rien qui ne devienne vénal, qui ne se fasse vendre ou acheter ! La circulation devient la grande cornue sociale où tout se précipite pour en sortir transformé en cristal monnaie. Rien ne résiste à cet alchimie, pas même les os des saints, et encore moins des choses sacro-saintes, plus délicates, res sacro-sanctae extra commercia hominum. De même que toute différence de qualité entre les marchandises s’efface dans l’argent, de même lui, niveleur radical, efface toutes les distinctions. Mais l’argent est lui-même marchandise, une chose qui peut tomber sous les mains de qui que ce soit. La puissance sociale devient ainsi puissance privée des particuliers. Aussi, la société antique le dénonce-t-elle comme l’agent subversif, comme le dissolvant le plus actif de son organisation économique et de ses mœurs populaires.* La société moderne qui, à peine née encore, “tire déjà par les cheveux le dieu Pluton des entrailles de la terre”, salue dans l’or son Saint-Graal, l’incarnation éblouissante du principe même de sa vie. » Karl Marx, Le Capital, livre I. *« Rien n’a, comme l’argent, suscité parmi les hommes de mauvaises lois et de mauvaises mœurs ; c’est lui qui met la discussion dans les villes et chasse les habitants de leurs demeures ; c’est lui qui détourne les âmes les plus belles vers tout ce qu’il y a de honteux et de funeste à l’homme, et leur apprend à extraire de chaque chose le mal et l’impiété. » (Sophocle : Antigone. Note de Karl Marx)

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    Accuser Marx de manquer de spiritualité, c’est exactement comme accuser Balzac de manquer de poésie - un reproche qu’on entend parfois ici où là. C’est la haine du romantisme vis-à-vis du classicisme, la haine d’Alexandre Dumas vis-à-vis de Racine. Dans la même veine sournoise, il y a les efforts de la critique contemporaine pour réduire les peintres de la Renaissance, puissants, beaucoup trop puissants et populaires, beaucoup trop populaires, pour les réduire à des géomètres-experts ou à des magiciens et les ramener ainsi à la mesure du bourgeois amateur de gadgets conceptuels. Le fétichisme des mots contre l’art. L’orthographe contre la syntaxe. Le haïku contre la Bible.
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    Non seulement ceux qui accusent Marx d’être dépourvu de spiritualité sont des ignares, mais ce sont des ignares qui entendent le demeurer. C’est parce que la question de la foi est un question bourgeoise que Marx ne l’aborde pas. Le pilier ne doute pas de la voûte. Marx est bien placé pour connaître cette hypocrisie, lui qui a démontré que la laïcité était une fiction ; par conséquent la foi démocrate-chrétienne, chrétienne-démocrate, la foi athée qui en découlent, sont des fictions elles-aussi. À moins de nier la liberté individuelle, ce que Marx ne fait pas, ces fictions qui se présentent comme des angélismes, sont librement consenties. Étant donné que l’essence de la religion laïque, c’est la négation, en théorie aucune autre religion ne devrait accorder plus de place au doute. Or dans les faits, il n’est que de voir ses représentants les plus médiatiques, perpétuellement à la chasse aux sorcières, pour constater qu’on est en présence de fanatiques. La laïcité, c’est le fanatisme du doute.

  • Pornographie laïque

    « Rien qui ne devienne vénal, qui ne se fasse vendre ou acheter ! »

    Parce que Marx a prévu la braderie des choses les plus sacrées par le régime bourgeois ; parce que Marx a mis a nu le double langage laïc qui procède en désincarnant le Verbe et permet de condamner l’esclavage tout en le pratiquant avec un cynisme accru ; parce que l’industrie cinématographique, que la bourgeoisie élève au rang d’art, est au cœur de ce business - pour toutes ces raisons la pornographie est exemplaire du mode de fonctionnement hypocrite des régimes laïcs.

    Les documentaires sur l’industrie du cinéma porno sont rares à la télévision. Il n’est pas aisé en effet d’en dissimuler le contexte politique.
    L’internet a eu au cours des quinze dernières années un effet dopant sur la croissance des Etats-Unis ; et l’industrie du cinéma X a eu elle-même un effet dopant sur l’internet. Dans les grandes écoles françaises qui se dotèrent rapidement de l’internet par esprit de conformisme, les connexions à des sites pornographiques représentaient 75 % à 90 % des "études" au démarrage, lorsque le haut débit n’était pas encore accessible aux particuliers.

    Retirez un élément du château de cartes de l’économie capitaliste, en déséquilibre permanent, et le château de cartes s’écroule. Au cours des premières années de développement de l’internet, comme ce fut le cas avec le minitel auparavant en France, les seuls sites marchands rentables étaient les sites vendant des services pornographiques.
    La pornographie a joué le rôle de l’huile dans un engrenage.

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    “Arte”, la chaîne de BHL, a diffusé récemment un reportage édifiant sur le thème de la pornographie. Les bobos sont en effet de plus en plus inquiets de voir leurs enfants, dès cinq ou six ans, visionner des images crues sur leurs propres bécanes, les outils de filtrage étant inefficaces ; bientôt sur leurs téléphones portables.
    La chaîne ”Arte” omet de dire qu’elle programme elle-même des films pornos yankis ou japonais régulièrement, qui reflètent sans doute le penchant de BHL lui-même pour un morne sado-masochisme à base de philosophie et de silicone. Arielle Dombasle, qu'on peut voir à peu près normale encore dans le film de Rohmer, Pauline à la plage, tentative avortée de sortir le cinéma de la logique industrielle, Arielle Dombasle s'est transmutée peu à peu sous le désir sadique de BHL en une sorte de poupée gonflable inexpressive. Non pas l'essence de la femme ou de la féminité, mais un produit de consommation capitaliste, une femme-objet qui répète en boucle des odes à son partenaire de jeux sado-masochistes.

    - La première manipulation d’”Arte” dans ce reportage consiste à faire porter le chapeau au régime communiste, sous prétexte que la majorité des prostituées virtuelles viennent des pays de l’Est, de République tchèque et de Hongrie notamment. Non seulement les Etats-Unis ont inventé cette industrie, mais ils continuent de la promouvoir et de la financer. Mais, selon “Arte”, ce sont les esclaves elles-mêmes qui sont coupables, ou la pauvreté engendrée par le communisme (la Hongrie et la République tchèque sont parmi les pays les moins "pauvres" et les moins communistes de l’ex-empire soviétique).
    Bientôt le communisme rivalisera avec le nazisme dans la propagande capitaliste. On peut compter sur des abrutis comme BHL et la clique des renégats démocrates-chrétiens pour tailler à Staline les mêmes moustaches caricaturales qu'à Hitler. La repentance pour tous hormis les suprêmes salauds !
    Souligner l’esclavagisme dans les colonies, sans rentrer dans les détails de l’histoire, c’est encore une façon de mieux faire oublier l’esclavage ici et maintenant.

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    - La seconde manipulation est plus subtile. Elle a un rapport direct avec les caractéristiques profondes du totalitarisme, avec le paradoxe apparent du mélange homogène de pornographie et de puritanisme laïc.

    Les reporters d’”Arte” constatent le phénomène d’accoutumance provoqué par le visionnage répété de films pornographiques. Certains adolescents ne peuvent plus s’en passer.
    Il ne s’agit pas ici, contrairement à ce qu’”Arte” insinue, d’une accoutumance au sexe, mais bien aux images pornographiques ou au “sexe virtuel”. Il serait aussi stupide de croire qu’on ne peut de passer de sport sous prétexte qu’on ne rate un match de l'équipe de France de foot sous aucun prétexte.
    Cette dissociation entre le sexe réel et le sexe virtuel opéré par la propagande puritaine laïque est double. Le sexe, coupé de ses effets procréatifs, est lui aussi assimilé au sexe réel ; comme si le comportement alimentaire anorexique-boulimique était un mode d’alimentation normal, par exemple. Ce que l’industrie pornographique montre en général, plutôt qu'un rapport "sexuel", c’est un rapport de pouvoirs sado-masochiste distinct de l’érotisme.
    On est bien obligé de voir là la marque de la dissection kantienne. Les laïcs puritains, dans un autre domaine, assimilent l’épistémologie à la science par le même tour de passe-passe ontologique.

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    “Arte” a largement recours dans ce reportage à des sexologues, des psychanalystes freudiens et autres charlatans en tous genres, qui répandent une image désastreuse de la science dans le grand public. Le langage mystique freudien est le moyen idéal d’assimilation de la pornographie-sexe virtuel à l’érotisme-sexe réel.
    L’individu qui ne peut se passer de cinéma porno, dans la mesure où il n’a pas une sexualité réelle épanouie, et le membre d’une ligue de vertu yankie qui s’offusque à la vue du moindre bout de chair, ils sont de la même engeance des batards capitalistes.
    D’ailleurs il existe un cinéma “porno-chic”, celui de David Cronenberg ou de David Lynch, grand public, encore plus hypocrite que l’industrie des images pornos “explicites”, qui vise à satisfaire les besoins d’individus “moyens” et fait la transition entre les ligues de vertu et les accros aux images sado-masos.

  • En avoir ou pas

    Avant que Me X. Serre-Pollet ne soit publiquement et unanimement reconnu du grand public grâce à l’affaire du “serial killer” Henri Bienfourny, les effractions de clôtures, conflits de garde d’enfant et autres attentats à la pudeur avaient été le pain quotidien du jeune avocat. Il avait ainsi rongé son frein au barreau de Nantes pendant dix longues années - le temps pour son physique de jeune premier de s’affermir et pour ses effets de manche de gagner en crédibilité.

    Grâce à un maton de la centrale de Nantes, ex-copain de promo, Serre-Pollet avait pu approcher Bienfourny dans sa cellule et le convaincre de le choisir, lui, plutôt qu’une célébrité comme Me Mollard. Puis il n’avait pas déçu son client, lui trouvant même des circonstances atténuantes inattendues en fouillant un peu dans son passé.
    En 2001 et 2002 en effet, Bienfourny avait été bénévole à la Banque alimentaire, avant d’en être chassé pour apologie de crime contre l’humanité. Un matin qu’il était seul présent pour la distribution des invendus du Centre Leclerc de la Beaujoire aux chômeurs du quartier, Marcel avait effectué toute la distribution avec un brassard frappé d’une croix gammée qu’il s’était procuré sur internet.
    L’habileté de Me Serre-Pollet fut de passer sous silence cet incident, ce geste aussi inexcusable qu’inexplicable, mais d’émouvoir cependant le jury avec l’engagement de son client dans cette cause humanitaire.
    Bienfourny évita d’écoper d’une incompressibilité aussi oiseuse qu’humiliante. Et vu qu’il avait quand même fait sept victimes, c’était une issue inespérée.

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    Selon le rapport de l’expert-psychiatre, le schéma criminel du “serial killer” Bienfourny le poussait à s’attaquer à de jeunes filles au pair danoises, qu’il séquestrait dans un vieux “blockhaus” de la côte Atlantique, théâtre de ses jeux de môme, puis de ses ébats amoureux d’ado ; ça durait quelques jours au cours desquels Bienfourny violait sa proie à plusieurs occasions avant de la noyer une nuit de pleine lune et de grande marée, et cela systématiquement, même si on comptait aussi une femme de ménage portuguaise de quarante-deux ans dans la série.

    L’extraordinaire perversité des crimes sexuels de Bienfourny auraient dû lui valoir le dégoût et la haine bien mérités des médias et des téléspectateurs, mais, curieusement, cette haine se focalisa sur son avocat.
    Etait-ce l’air insolent de Me Serre-Pollet ? Sa façon désinvolte de répondre aux questions des journalistes par-dessus la jambe et en mimant le geste de se dépoussiérer les ongles ? Toujours est-il que Serre-Pollet ne put bientôt plus poser les pieds sur un plateau de télévision sans être hué dans tout l’Hexagone, de Lille à Marseille et de Brest à Strasbourg. Hélas sans que cette désapprobation générale n’incite le moins du monde le cynique avocat à se remettre en question.

    Même lorsque Bienfourny fit paraître, après six mois d’emprisonnement seulement, un livre de confessions intimes intitulé - Morale du Tueur en série -, le scandale rejaillit sur son avocat, qu’on accusa d’avoir servi d’intermédiaire entre les éditions du “Gallinacée” et son ex-client. Me Serre-Pollet eut beau se défendre en jurant ses grands dieux qu’il n’avait jamais acheté un livre neuf de sa vie, et surtout pas un livre publié par le “Gallinacée”, il ne fut pas cru.

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    La mobilisation médiatique et l’indignation des Français autour de l’affaire Bienfourny étaient à peine retombées qu’éclatait à son tour le scandale de la chapelle Saint-Brandon. Un couple d’étudiants à la fac de Droit de Brest, Erwan Marcheznouar et Clémentine Legazoal, après avoir célébré une messe noire dans la chapelle Saint-Brandon, petit joyau d’art gothique des XIIIe-XIVe siècle, qui justifiait largement l’afflux de touristes venu chaque été pour la visiter, le jeune couple avait entièrement recouvert le monument classé d’inscriptions sataniques rose fluo, avant d’y mettre le feu en enflammant un bidon d’essence.

    On ne sera pas étonné que Me Serre-Pollet saute dans le premier train en partance pour Brest afin de proposer ses services à Clémentine et à Erwan. Compte tenu du succès de Serre-Pollet dans la délicate affaire Bienfourny et de la maigreur de leurs comptes en banques à l’un et à l’autre, les prévenus acceptèrent sans hésiter ses services.
    Me Serre-Pollet n’était pas de ces avocats qui conseillent à leurs clients de plaider coupable, comme en témoignent les larges extraits de sa plaidoirie reproduits dans un numéro spécial illustré de Ouest-France consacré à l’affaire des “Diaboliques de Tréguenon” :

    « Mesdames et Messieurs, Mesdemoiselles les Jurés, cher public… Sommes-nous, oui ou non, dans un régime authentiquement laïc et républicain ? Oui, en vérité, je vous le demande, la laïcité est-elle toujours le meilleur rempart contre la superstition et les croyances ésotériques de religions qui remontent jusqu’au Moyen-âge ?
    Au nom des seuls intérêts touristiques d’un canton, d’un département ou même d’une région, qui disposent par ailleurs d’une vue unique sur le large, faut-il reléguer les principes les plus sacrés à un rôle de figuration ? Les Droits de l’Homme à bénéficier d’une éducation entièrement dépourvue de préjugés religieux… ces droits inaliénables, en vertu de quoi devraient-ils demeurer virtuel pour celui qui vit dans l’ombre d’une chapelle et dans l’écho de son carillon dominical ? Comment opposer demain ce droit aux jeunes barbus fanatiques de l’Islam, qui réclameront de vos filles qu’elles soient vierges, si on ne le fait pas respecter hic et nunc !? Comment ??

    « (…) Ce que l’Etat n’ose pas faire, afin de ménager une certaine frange de la population qui vit encore dans les mythes du passé, Clémentine et Erwan n’ont-ils pas eu, eux, au contraire le courage de l’accomplir, malgré le vent, malgré les flammes, et malgré le vent qui soufflait sur les flammes, nous renvoyant ainsi à nos petites lâchetés quotidiennes ?

    A titre personnel, permettez-moi d’exprimer une opinion : il y a toujours eu une petite frange d’esprits réactionnaires tournés vers le passé obscurantiste de notre pays, freinant des quatre fers comme des brutes. Les mutations nécessaires au progrès, s’il avait fallu attendre l’assentiment de cette minorité de fanatiques, n’auraient jamais eu lieu. Ce n’est que mon sentiment, bien sûr, mais je voulais vous le faire partager.

    « (…) Permettez-moi donc, Mesdames et Messieurs, et Mesdemoiselles les Juré(e)s, de rendre hommage à la foi sincère de Clémentine et Erwan dans l’avenir de la laïcité. Au moins on peut dire qu’ils n’ont pas renié les principes qui leur furent enseignés il y a quinze ans à l’école communale Yves Coppens de Kerguenon où ils effectuèrent leur maternelle, côte-à-côte, déjà.

    D’ici dix, quinze, vingt ans, il n’est pas dit que le conseil municipal de Kerguenon - gardons-nous d’insulter l’avenir ! -, que ce conseil ne décide de baptiser une rue du nom composé de ce jeune couple de pionniers laïcs ici présent, sous vos yeux, dans le boxe des accusés. Souvenez-vous de l’affaire Dreyfus : il en a fallu du temps !
    En attentant, Mesdames et Messieurs, Mesdemoiselles les Jurés, je réclame pour mes clients Clémentine et Erwan l’acquittement pur et simple ! »


    Un tonnerre d’applaudissement suivit cette plaidoirie où Me Serre-Pollet avait mis, outre ses arguments, tout son cœur et tout son allant. Comme leur avocat le leur avait recommandé, Erwan et Clémentine n’ajoutèrent pas un mot, se contentant de regarder le Président du Tribunal droit dans les yeux sans ciller.

    Un arrêt de non-lieu fut d'abord rendu. Mais le syndicat d’initiative, ainsi que la municipalité, ayant demandé et obtenu un procès en révision, firent venir un avocat de Paris. Celui-ci argua du distinguo entre une saine “laïcité” qui ne nuit à personne, pas même au patrimoine immobilier, et le “laïcisme”, dérive dangereuse du droit qui entraîne les individus à se croire détenteurs d’un principe supérieur ; pire : à ne pas dissocier la forme du fond et à se priver par conséquent de la principale ressource du droit civil laïc !
    Le premier jugement fut cassé, Erwan et Clémentine finalement condamnés à un euro de dommages-intérêts et à ne plus s’approcher des édifices religieux du département à moins de cinquante mètres.