"L'Esprit du Judaïsme" est le titre du dernier ouvrage de Bernard-Henry Lévy, dont il assure la défense et la promotion actuellement dans les médias.
Cet essayiste est peu convaincant dans la mesure où c'est un juif mondain ; de même, qui accordera foi au clergé catholique, dont la religion consiste à inclure les mondanités dans la foi chrétienne ?
L'histoire est un combat sans merci entre le monde et le camp des saints, qui s'achèvera par la ruine des mondains et de leurs temples. A la mondanité, les prêtres retors et qui se piquent d'avoir fait de longues études donnent le nom "d'anthropologie chrétienne". Lire les épîtres de Paul guérit de croire dans le truc de l'anthropologie chrétienne, et bien sûr chaque parabole de Jésus. L'anthropologie chrétienne est l'anthropophagie moderne : on la retrouve à l'arrière-plan de tous les grands génocides modernes.
On croira plus volontiers quelqu'un comme Karl Marx, à propos de l'esprit du judaïsme, qui voua son existence à combattre le veau d'or capitaliste, ce qui revient bel et bien à affronter un dragon.
Qui s'efforce de définir, de résumer, de faire comprendre "l'esprit du judaïsme" se place, volontairement ou non, sur le même plan que Jésus-Christ, venu dire aux juifs qu'ils avaient égaré l'esprit du judaïsme, enfoui sous de vaines coutumes et réglementations sociales.
Jésus-Christ qui résume en un mot l'esprit de la loi de Moïse : amour ; mais un amour qui n'est pas l'amour que les petits d'hommes ont instinctivement pour leur mère, et les mères pour leur progéniture, mais un amour "extérieur" à l'homme. Tandis que Satan brille de l'éclat de la beauté, l'expression de "dieu invisible" est assez judicieuse pour décrire le dieu des prophètes juifs, aussi improbable que la présence de l'amour véritable dans le monde. Le chrétien sommé de prouver l'existence de l'amour sur terre ne sera-t-il pas relativement désemparé ? Et sans doute plus la fin des temps approche, plus le chrétien aura du mal à rapporter cette preuve. L'antéchrist est décrit dans les saintes écritures comme l'ultime résistance de Satan à ce qui le détruira : l'amour. Si chacun d'entre nous, athée ou croyant, suppôt de Satan ou chrétien, peut éprouver en son for l'affrontement de ces deux puissances, dès lors qu'il ne se place pas volontairement en état d'inconscience, à l'aide de telle ou telle drogue, chimique ou psychique, cela ne signifie pas pour autant que ces deux puissances sont contenues en lui.
L'esprit du judaïsme, et plus encore celui du christianisme, est donc parfaitement pur de tout raisonnement anthropologique. Ce raisonnement est fait pour trahir l'esprit évangélique ; par conséquent le sage qui veut élucider le nombre 666, QUI EST UN NOMBRE D'HOMME, n'aura qu'à creuser la piste anthropologique.
Pas d'anthropologie juive ou chrétienne, c'est-à-dire aucune solution sociale juive ou chrétienne. Comme la tâche ordinaire d'un clergé, quel qu'il soit, est de contribuer à l'organisation sociale, cela permet de comprendre la logique de l'affrontement entre le Christ et le clergé.
Une petite parenthèse sur l'islam et Mahomet, décrit et défendu par les mahométans comme l'ultime prophète : le Coran n'illustre pas la démarche, caractéristique du Christ et des apôtres guidés par l'Esprit, qui consiste à éradiquer le raisonnement anthropologique du coeur ou du sein de l'homme. Autrement dit, si Paul explique pourquoi le message évangélique parachève la loi de Moïse, Mahomet ou le Coran ne donnent pas d'explication, et font pour ainsi dire aux juifs le reproche opposé du reproche qui leur est fait par le Christ. Les mahométans reprochent aux juifs de n'être pas assez scrupuleux de la Loi, tandis que le Christ reproche aux pharisiens d'avoir étouffé l'esprit de la loi sous leurs scrupules.
Quant à celui qui définit l'esprit ou le "génie" du christianisme, selon l'expression malheureuse de Chateaubriand, traduisant l'athéisme de son auteur, il se place directement en concurrence avec Paul de Tarse, l'apôtre des gentils. Or Chateaubriand trouve une fonction et un but au christianisme, que Paul de Tarse lui refuse absolument, à cause de l'interdiction absolue formulée par Jésus-Christ à ses apôtres de chercher à bâtir le royaume de Dieu sur la terre, c'est-à-dire à planter sur le génie humain un quelconque signe religieux chrétien. Un autre que Chateaubriand a trouvé du "génie" au christianisme, ou pour être plus précis au catholicisme, c'est F. Nietzsche ; et ce dernier est plus "éclairant" que Chateaubriand, car il salue la contribution de l'Eglise catholique à la restauration du paganisme "au nom de Satan".
N'est-il pas fascinant, mystérieux, intriguant, de voir un juif mondain, c'est-à-dire un non-juif, prendre le relais du catholique Chateaubriand, et proférer à propos du message apocalyptique juif les mêmes contre-vérités ou inexactitudes que Chateaubriand ? C'est d'autant plus fascinant que BHL parvient à imposer son autorité intellectuelle à une France qui se réclame de la laïcité, et qui prétend ainsi avoir rompu avec son passé clérical. D'une certaine façon, la nation israélienne a la même influence politique extérieure que Rome au temps de sa puissance politique. Beaucoup de catholiques romains ne se reconnaissent sans doute pas dans BHL : ils ont tort, car celui-ci est typique de l'esprit de la propagande catholique, falsification de la vérité sous le prétexte anthropologique.
Une contradiction majeure fait voler la rhétorique de "l'esprit du judaïsme" selon BHL en éclats, et cette contradiction est également au coeur du catholicisme romain. A juste titre, BHL récuse l'adjectif "identitaire", et s'oppose à ce qu'il soit appliqué au judaïsme. Un théologien catholique ne pourra pas, de même, faire autrement que récuser cet adjectif, car ce serait avouer publiquement que le catholicisme est un culte païen. La bestialité et Satan sont explicitement associés dans les évangiles aux éléments naturels, et la terre, royaume des morts, au péché. L'expression de "France chrétienne" ou de "France catholique" ne peut par conséquent avoir de sens spirituel profond ; elle relève de la pure idéologie, ou bien d'une commodité de langage.
Or la nation israélienne, par ailleurs, que BHL défend comme un "refuge pour les Juifs", répond nécessairement à un besoin et un but politique ; le sionisme n'est autre qu'un culte identitaire. Israël, dans la bouche des prophètes juifs, est la représentation mythologique du salut, comme l'Egypte est la représentation mythologique du satanisme. On ne peut servir deux maîtres à la fois : d'une part le dieu des juifs, et de l'autre une des nombreuses idoles que l'homme fabrique pour se rassurer, dont la nation israélienne fait partie. Pas plus les serments que les présidents des Etats-Unis font sur la bible ne doivent faire croire que les Etats-Unis sont une "nation chrétienne".