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bertrand russell

  • Totalitarisme et jansénisme

    Trait caractéristique d'un régime totalitaire et par quoi on peut le cerner : le refus de ses clercs de justifier la morale en vigueur. L. Wittgenstein, sinistre fonctionnaire, emploie ainsi une formule du genre : "Il est impossible de trouver un fondement à la morale" - signifiant par là une volonté non pas de creuser, mais d'enterrer.

    L'occultisme dans le domaine moral, c'est aussi l'existentialisme en général, proche de la philologie, qu'on peut définir comme une idolâtrie du langage, caractéristique du régime totalitaire. Le total ne s'opère jamais qu'avec des signes et la peinture stalinienne de Kandinsky forme bien un total, un "nombre d'or" comme dit l'architecte.

    L'occultisme de Wittgenstein est à rapprocher de l'hostilité qu'il manifesta vis-à-vis du Prix Nobel Bertrand Russell lorsque celui-ci prétendit sur le tard revenir en arrière sur le néo-pythagorisme qui avait été le sien. L'attitude de Wittgenstein en cette occasion prouve qu'il savait ou devinait le rôle des mathématiques de la secte pythagoricienne dans le nivellement moral (non pas actif, mais un rôle de "couverture"). A contrario l'attitude de "maître" Albert Einstein paraît celle du pur béotien qui énonce une théorie morale (théorie de la relativité) en croyant qu'elle a une signification physique, faisant ainsi imploser la doctrine de la loi naturelle par l'absurde... sans même s'en rendre compte ! Zénon d'Elée, lui, au contraire d'Einstein, maîtrise parfaitement le mode opératoire algébrique et le "schuss" sémantique. Tous les philologues boches d'aujourd'hui auraient été recalés au concours d'entrée de l'école de Parménide.

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    On note que, bien que trop pusillanime, Voltaire s'attaque dès le XVIIIe siècle à la thèse "judéo-chrétienne" de Leibnitz, dont la théodicée revêt déjà toutes les caractéristiques du totalitarisme, en particulier le fait d'être guidé par un ténébreux destin. La critique de Voltaire anticipe bien sûr celle, beaucoup plus radicale, de Marx à l'encontre du national-socialisme de Hegel au siècle suivant. L'erreur de tous les mathématiciens du XIXe siècle, leur infériorité par rapport aux Grecs tient à ce qu'ils croient que le cercle est engendré par la droite, et la droite par un point ; les Grecs savent eux que le signe primitif n'est pas le point mais le cercle, qui contient tout l'attirail anthropologique/mathématique.

    Grâce à la formule de Pangloss-Leibnitz que le capitalisme a recyclée : "Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles", on comprend aisément l'intérêt qu'un régime totalitaire peut trouver dans l'occultation des origines de la morale derrière des théories dérivées du principe de la "loi naturelle". C'est le meilleur moyen de protéger la politique de la critique et de la sacraliser, de noyer le poisson - politique encore une fois conçue dans le totalitarisme comme une sphère (Il faut reconnaître que la scène du "Dictateur" de Chaplin, dictateur qui joue avec une mappemonde, est bien "vue".)

    Sondons la morale "ad infinitum" pour mieux protéger le tabernacle de la politique. L'existentialisme de Sartre, qui a pu paraître "voltairien" à certains, découle bien plutôt en réalité de la morale nullibiste janséniste et du cartésianisme. Le moins qu'on puisse dire c'est que l'existentialisme n'a pas inventé le néant ni le hasard - ni même le culte des mots.

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    Il importe aussi de comprendre, non seulement que le totalitarisme est une version plus sournoise de la théocratie, mais qu'il n'est ni d'inspiration juive, ni d'inspiration chrétienne, mais un produit typiquement "judéo-chrétien". Sous couvert d'honorer l'Ancien Testament et le Nouveau, le "judéo-christianisme" quel qu'il soit : musulman, chrétien ou laïc, bafoue le judaïsme comme le christianisme. Le judéo-christianisme n'a certes pas inventé la théocratie "apollinienne", mais on ne peut concevoir sans lui la formule totalitaire "dionysiaque" qui de "l'attentat contre le réel" (Marx) - cinématique, juridique, musical, religieux - a fait litière.

    - Le peuple hébreu tient en effet sa loi directement de Dieu, via Moïse. Dieu et ses lévites en sont garants. Même s'il existe sans doute un "naturalisme juif", une sorte d'assimilation de Moïse au dieu Pan (cf. "La Sagesse des Anciens" de F. Bacon), et que l'on peut trouver la légitimation juive de la loi archaïque ou limitée, du moins les Juifs n'éprouvent-ils pas le besoin de passer par le trucage de la "loi naturelle" pour fonder leur morale ;

    - Le christianisme, quant à lui, est en quelque sorte "par-delà bien et mal" (rien à voir avec Nitche "au-dessous de la ceinture", cherchant l'entrée du con de sa mère comme Proust, victime de l'inceste) : par-delà bien et mal en tant qu'antithèse du judaïsme et de par son potentiel trinitaire. Même le plus moralisateur des théologiens, saint Augustin, est obligé de l'admettre : "La Loi ne justifie pas" ; et le figuier qui ne donne plus de fruits, il faut le couper, comme le Messie lui-même l'indique (figuier qui est le symbole de la science naturelle aussi bien que de la morale qui en découle, comme le lait du tronc du figuier incisé).

    La dynamique trinitaire chrétienne, quant à elle, est historique, apocalyptique, et donc étrangère à un processus de justification marqué par le raisonnement anthropologique païen ("Ce qui est bon pour Dieu est bon pour la Cité, et réciproquement." Un paganisme romain plutôt que grec.), et par l'avertissement solennel du Messie contre la tentation d'établir un Royaume de Dieu sur la terre.

    Quand j'entends l'expression d'"anthropologie chrétienne", je sors mon épée, et chaque chrétien devrait en faire autant car ce terme évoque immédiatement la putain de l'Apocalypse. Il n'y a jamais de mariage heureux entre le christianisme et la science païenne que dans la mesure où celle-ci n'a pas l'anthropologie pour gouvernail ; non seulement la théorie de la partition freudienne de l'âme n'est pas très sérieuse sur le plan scientifique, mais elle est antichrétienne.

    Si les docteurs catholiques du moyen âge, précédant Marx ou Bacon, ont pris appui sur Aristote jusqu'à la Contre-Réforme, c'est indubitablement parce qu'ils ont rencontré pour les meilleurs chez le Stagirite cette opposition à la "loi naturelle", en dehors même de la question de savoir jusqu'à quel point la religion grecque et ses mythes incorporent des éléments de l'Ancien Testament. Impossible en effet pour Aristote de faire coïncider des lois morales discontinues, relatives, biologiques, avec la physique continue et dépourvue de "juste milieu" (A noter que l'analyse d'Aristote des mathématiques, la notion d'incommensurabilité de la diagonale au côté entre autres, contient plus de deux mille ans avant A. Einstein ou H. Poincaré une théorie "éclairée" de la relativité.)

  • La Peau de Chagrin

    "Quand j'étais jeune, je pensais que deux attractions divergentes aboutissent à un compromis libéral, alors que depuis, nous avons pu constater que très souvent l'une d'elle prévaut complètement. Ce qui justifie le Dr Johnson d'avoir pensé que le Diable, non le Tout-Puissant, a été le premier libéral." Bertrand Russell

    Cette observation, de la part d'un représentant officiel du Système capitaliste, est assez exceptionnelle pour être relevée. On imagine mal aujourd'hui un journaliste démocrate-chrétien du "Figaro" ou même un évêque, avouer que le capitalisme ou le libéralisme fait le lit de Satan. J'ajoute que cette citation de Russell est extraite d'un chapitre intitulé "La renonciation à Pythagore". Ce n'est pas la première fois que je constate que les doctrines pythagoriciennes, ionniennes ou éléates servent de caution à des crétins capitalistes : "signe rétrograde du temps", comme dit Engels.