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jérusalem

  • Déchristianisation, t'as qu'à croire...

    Le leitmotiv de la déchristianisation est dans la bouche de ceux qui confondent le christianisme avec le folklore ; même certains athées s'y mettent, à regretter la déchristianisation, ce qui est assez désopilant (ces athées-là n'ont pas lu Nietzsche).

    Les Français sont peut-être plus attachés au folklore que d'autres peuples ? On a pu le constater lorsque la cathédrale Notre-Dame de Paris a brûlé : ç'a été un drame national, naturellement amplifié par les journalistes pour qui ce genre de spectacle est vendeur. Le Français est souvent identitaire, limite ésotérique : attention aux oeillères ! Le Christ est entré dans Jérusalem sur un âne, mais rien ne dit que c'était un âne français.

    J'ai eu la chance de faire un voyage initiatique aux Etats-Unis il y a près de deux décennies maintenant, et de constater de mes yeux l'extrême christianisation de cette nation dominante : on s'y encule même de façon chrétienne, c'est pour dire. Les chefs politiques, qui sont en même temps des chefs religieux, encouragent leurs soldats en citant les Apôtres ; Israël est leur krak des chevaliers en terre arabe ; l'adversaire mahométan ou russe est appelé "Satan".

    Quant à la France, qu'ils la détestent ou qu'ils l'adorent, les Américains doutent qu'elle a jamais été chrétienne : ils la prennent pour le pays de la galanterie et du vin, s'imaginant que les filles y sont faciles, au contraire des vierges farouches féministes américaines. Je ne me suis jamais senti aussi sulfureux qu'aux Etats-Unis.

    Il y a bien quelques suppôts de Satan francophiles, mais ils sont loin d'occuper des positions culturelles dominantes. Voyez un peu : Donald Trump se la joue Jésus-Christ devant le Sanhédrin, et ça marche ! Pourquoi ça ne marcherait pas, à l'heure du cinéma et des cinéphiles disposés à tout avaler ?

    Et l'Argent, est-ce que l'Argent n'est pas un dieu chrétien ? La Bible nous incite à le penser, car le Veau d'or est le dieu du peuple hébreu effrayé, qui a le sentiment d'avoir été abandonné par Moïse. Un païen, un authentique païen comme il n'en existe presque plus dans le monde (les nazis ne font pas illusion avec leurs gadgets technologiques), un vrai païen méprisera l'Argent, ce dieu dont la puissance est évidemment beaucoup trop humaine. L'Argent est, si ce n'est "un Dieu invisible", comme le Dieu des Juifs et des chrétiens, un dieu abstrait comme la musique, un ersatz de Dieu. La science économique est la théologie du XXe siècle.

    La réalité est donc bien plus d'une christianisation générale du monde, tandis que les Français boudent dans leur coin et portent des oeillères, ou font semblant. Et l'Union soviétique ? Vous avez vu à quelle vitesse ces athées-là se sont reconvertis à Dieu après leur débandade économique de 1990, comment ils se sont remis Dieu dans la poche ? V. Poutine est au moins aussi chrétien que Napoléon III, grand bâtisseur d'églises.

    Je serais le dernier étonné d'apprendre que les Chinois se convertissent tout d'un coup en masse au catholicisme : ils ne semblent pas des athées très profondément ancrés dans le culte de la Nature. Pour ainsi dire, la Chine est déjà chrétienne sans le savoir. En éradiquant les vieilles traditions ésotériques ancestrales, le communisme a préparé le terrain.

    Notez que mon propos ne diffère pas tant de celui de George Orwell, disant qu'il n'y a aucun chrétien pour s'émouvoir du totalitarisme ; ou alors c'est pour dire : - Le totalitarisme, c'est la Corée du Nord !

    Y a-t-il quelque chose de nouveau sous le soleil ? Etait-ce mieux au Moyen-âge ? L'habit ne fait pas le moine, ni les volutes d'encens le chrétien spirituel, encore moins les concessions sur l'au-delà ; de mon point de vue, le Moyen-âge n'a pas connu Shakespeare, le chrétien le plus profond, qui démasque toutes les postures humaines. Le Moyen-âge a quand même connu, vers la fin, Jérôme Bosch, qui a peint la société chrétienne de façon réaliste ; la peinture de Jérôme Bosch ne fascine pas par hasard les Américains : ils s'y retrouvent, avec leurs clercs pédophiles, leurs toubibs avorteurs-à-tout-prix, leurs repentances de faux-jetons philosémites, etc. 

    Pourquoi le christianisme est-il une religion aussi superficielle ? Peut-être parce qu'elle part de très bas ; c'est une religion qui s'abaisse au niveau de l'humanité, et l'humanité progresse très très lentement, comme le peuple Juif dans le désert. Beaucoup rêvent de retourner en Egypte, goûter à l'éternel retour des saisons.

    Les martyrs chrétiens qui agitent au-dessus de leur tête le drapeau de la Vérité, cette chose qui a toujours fait trembler les rois et les puissances terrestres, sont des chrétiens très pressés de voir Dieu face à face. Songez un peu à Anne Askew, ulcérée par les sacrements catholiques, l'atteinte à la Foi qu'ils représentent : elle affronta la torture et le bûcher sans ciller. Une folle ? Ne pariez pas là-dessus, seuls les fous jouent leur existence aux dés. Les martyrs forment l'avant-garde ; chacun se bat selon son talent contre la bête humaine. L'Apôtre, celui dont les sermons ne sont pas trempés dans les illusions humaines, compare la Foi à une course d'endurance plutôt qu'à un sprint.

  • Du Sionisme

    Avant de parler plus en détail du sionisme, il convient de préciser que ni le judaïsme, ni le christianisme ne sont des points de vue "modernes" ; si les facteurs d'espace et de temps sont essentiels au calcul du progrès moderne, ils n'ont aucune importance spirituelle ou historique. Les prophètes juifs, chrétiens, les apôtres, pensent à contre-courant du monde et non selon sa détermination : c'est un leitmotiv biblique constant.

    Un juif ou un chrétien, en raison de son caractère "moderne", tiendra donc non seulement le propos sioniste, mais tout propos moderne comme un propos idéologique, c'est-à-dire subjectif. Le socialisme, le sionisme, le nationalisme, le communisme, etc. proposent de se soumettre à un idéal, contrairement au christianisme.

    Secundo, Jérusalem a dans l'apocalypse de Jean un double sens, un peu comme Israël précédemment dans l'ancien testament, tantôt chérie de dieu, tantôt blâmée et sanctionnée durement. Jérusalem symbolise dans le nouveau testament l'accomplissement spirituel, en même temps que son nom est associé à Sodome et à l'Egypte, ou encore à Babylone. L'une sera sauvée, l'autre sera détruite ; à chacun de choisir la bonne... ou pas. Pourquoi ce double sens ? L'apocalypse chrétienne contient la révélation du dévoiement (dit "fornication") de la voie spirituelle indiquée par le Christ Jésus sur le plan politique. Cette subversion est systématique tout au long de l'histoire de l'Occident, et contrairement au propos de l'essayiste luthérien Jacques Ellul, bien loin d'y renoncer, l'art politique occidental le plus récent, loin de renoncer à cette subversion, n'a fait que le perfectionner. Bien que l'exemple de la "monarchie chrétienne de droit divin" soit l'exemple le plus frappant de fornication, cet exemple est très loin d'être isolé. Plus subtile, et en même temps plus utile à déceler, la substitution de la "providence" à la parole divine et à son esprit. En effet la parole divine est "libre de droits", tandis que la providence, elle, ne l'est pas, et permet de détruire le catholicisme à l'intérieur du catholicisme. De plus le providentialisme demeure lié à l'invention et à la justification de l'Etat moderne totalitaire dans l'Occident "judéo-chrétien". 

    - Entrons maintenant dans le vif du sujet : le sionisme moderne, en tant qu'idéologie laïque. Avocat zélé et fameux de l'expression du sionisme en France, Bernard-Henry Lévy reconnaît cette définition d'idéologie laïque, quoi qu'il soit plus habile de présenter les idées politiques comme des "idéaux".

    Dans "Les Aventures de la Liberté", dont le titre traduit une conception laïque de la liberté, si ce n'est personnelle, B.H. Lévy précise : le sionisme est un idéal antitotalitaire, né au coeur de l'Europe (Autriche-Hongrie/Mittel-Europa). Le sionisme représenterait, à l'égal de l'européisme, si ce n'est mieux que lui, l'idéal des Lumières et de la Révolution française de 1789, répandu dans toute l'Europe. L'Etat israélien et ses élites dirigeantes seraient donc porteurs du flambeau de la liberté, allumé au coeur de l'Europe, sous la forme du sionisme ; une liberté dénuée du caractère nationaliste ou racial. Je crois avoir à peu près résumé la définition de B.H. Lévy.

    Les actionnaires d'un tel idéal ne peuvent en vouloir à des esprits moins idéalistes de remarquer son côté romantique, et de faire valoir que si l'idéal laïc sioniste est assez neuf et vierge, d'autres idéaux laïcs ont précédemment entraîné au XXe siècle les plus formidables bains de sang que l'humanité avait jamais connus auparavant. C'est donc la philosophie et l'anthropologie qui sont mêlées aux crimes modernes "contre l'humanité" (expression dépourvue de sens chrétien ou juif), non la théologie. Précisons : il faut pour conférer à la théologie chrétienne ou juive un mobile guerrier, la ramener à une culture ou une philosophie.

    Du moins peut-on accorder à B.H. Lévy de ne pas tenter l'accord impossible entre le judaïsme ou le christianisme et l'idéal laïc sioniste, opération de manipulation scandaleuse des esprits menée par certains clercs chrétiens, et à peu près aussi grossièrement chrétienne que le sacre de Napoléon par le pape. En revanche il se moque des faits historiques en attribuant à l'Europe centrale la promotion des valeurs des Lumières. Une telle thèse ne peut que rencontrer l'adhésion d'ignorants. Le nationalisme n'est pas un produit des Lumières françaises ou européennes. C'est une religion mystique qui découle de l'ordre juridique républicain et son appui dans la propriété. Cette religion a été baptisée dans le sang et la guerre, et non par la philosophie des Lumières. Si ce n'était le cas, stalinisme et hitlérisme auraient aussi bien pu se prévaloir de l'héritage des Lumières que l'idéologie sioniste laïque.

    Comme les idéologies sont idéologiques, les idéaux sont idéalistes ; voilà pourquoi il n'y a pas grand-chose à en dire de plus. Un juif ou un chrétien ne sera pas antisioniste, il se contentera d'être juif ou chrétien.

    La difficulté de l'idéal sioniste est à servir de support à une morale s'imposant à tous ; le subterfuge catholique romain qui consistait pour son clergé à dire le droit commun "au nom de Jésus" est difficile à renouveler sous la forme d'une éthique commune "au nom des victimes juives de la choa", ou même des victimes du totalitarisme en général. Le statut de la victime se doit d'être éminent.

    Bien que les victimes juives ne s'opposent pas formellement, comme le nouveau testament, à la fondation d'un ordre royal, laïc, démocratique, ou encore un consortium industriel et bancaire sur leurs reliques, il semble difficile de fonder une morale planétaire sur cet argument, y compris avec des moyens de propagande décuplés par rapport à ceux de l'Eglise romaine jadis. Aucune morale ne s'est jamais imposée dans l'histoire sans l'appui de forces militaires conséquentes. Comme tout romantisme, le sionisme paraît être exposé à un brutal retour à la réalité ; plus que d'autres idéologies laïques, il paraît confus et marqué par l'abstraction.

    (En lien, non pas avec l'idéologie sioniste mais l'histoire du salut chrétien, je propose cette étude de Rodney Sankinka, chrétien congolais sur la grande prostituée de l'apocalypse, dans laquelle celui-ci se demande si elle est une figuration mythologique de Rome ou de Jérusalem ?)