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montaigne

  • Pourquoi Montaigne ?

    Montaigne accouche d'une souris, c'est pourquoi il a beaucoup de succès dans le monde moderne, qui peut s'identifier facilement.

    L'homme moderne apprécie particulièrement les oeuvres du passé qui paraissent le justifier. La mauvaise peinture, par exemple, la peinture virtuose, qui lui semble annoncer le cinéma, et l'annonce effectivement. De tous les philosophes des Lumières, Diderot est le plus apprécié, car c'est le plus moderne ; c'est en effet celui qui s'est le moins émancipé de son éducation catholique. C'est un jésuite qui a senti le vent tourner ; on ne peut pas le lui reprocher, mais la manière dont Diderot raisonne est celle du clergé qui l'a formé.

    J'aime bien ce passage de Montaigne qui affirme que, se connaissant parfaitement lui-même, il connaît ainsi tous les hommes ; en principe cela met un terme au genre du drame psychologique.

  • Exit la culture

    La culture, c'est de posséder une vaste bibliothèque, remplie d'ouvrages en latin si possible, comme Montaigne. La science, c'est de savoir faire le tri dans une vaste bibliothèque pour se séparer de tous les ouvrages culturels. D'où le mépris de l'homme de science pour la religion ou la culture.

    La culture accouche, comme Montaigne, d'une souris. Je me demande si la Gironde n'est pas le bas-ventre de la France, tant la veulerie de ses "grands hommes" paraît systématique. Même le vin de Bordeaux me paraît plus macabre que les autres, et destiné à plaire surtout aux femmes et aux curés.

    De tous les suppôts de Satan girondins, Montesquieu est le plus respectable, celui qui feint le moins d'être chrétien. Montesquieu est un homme de loi droite, purement satanique, reconnaissant la primauté du Sphinx dans l'ordre juridique satanique. Pratiquement Montesquieu est comme les Egyptiens, il n'entend rien à l'histoire.

    L'homme de culture possèdera Montaigne et Shakespeare dans sa bibliothèque, tandis que l'homme de science lira que Shakespeare est un cavalier qui traverse l'Italie, réduisant en cendres toute la culture latine.

    Shakespeare n'est pas tendre avec nombre de sornettes françaises non plus, comme Jeanne d'Arc, où le culte républicain opère comme par hasard sa jonction avec le culte romain, mais pour ce qui est de l'Italie et de la connivence de Satan avec cette vieille sorcière, Shakespeare se montre plus radical encore. Les Italiens sont les moins capables de comprendre pourquoi le Messie des chrétiens fait fi des "valeurs familiales". Un Italien, sans sa mère, n'est rien. Le plus athée des Italiens n'osera pas dire du mal de l'Eglise, de peur que sa mère ne lui donne une fessée. Il faut pour qu'un Italien commence d'exister, pratiquement que sa mère l'ait abandonné à la naissance.

    L'attrait de la culture italienne s'exerce le plus souvent en France sur les pédérastes, en raison de cet aspect "maternel". C'est encore une raison de choisir la culture plutôt que la science : la culture comporte le moins de risque.

    Une chose que l'homme conçoit mal, "l'honnêteté", à laquelle il parvient très difficilement, si tant est qu'il y parvienne, la culture en dispense largement, comme d'une chose inhumaine - en particulier la culture élitiste, car il semble que "l'honnêteté" a été inventée, comme la démocratie, dans la seule fin de berner le peuple. C'est pourquoi il y a autant d'escrocs à se faire les avocats de la culture, cette espèce d'écoulement fluvial aussi malodorant que le Gange, sacré en dépit de sa puanteur, mélangeant dans son cours toutes les vieilles carcasses des religions mortes, et qui sert à empoisonner les gosses avec la caution de l'Etat.

  • Kulture de mort

    La Kulture n'est rien d'autre que le masque bourgeois de l'ignorance. Proust, madame Bovary, le bourgeois gentilhomme ou Adolf Hitler sont "cultivés". On ne saurait insinuer poison plus mortel dans l'oreille d'un gosse d'immigré que cette idée saugrenue de "culture française". La Kulture n'est utile que dans les dîners mondains, sur les plateaux de télé ou pour meubler un appartement avec goût ; la culture, c'est la binette du parvenu.

    Même le plus romain et discipliné des humanistes français -mettons Montaigne- ne manquerait pas assez d'esprit critique pour cautionner ce costard cartésien cousu de fil blanc, pour ne pas piger que la culture est nécessairement "à géométrie variable" comme les sophismes de l'atomiste Einstein, c'est-à-dire entièrement soumise au principe de la mode. Ainsi le moderne devient "antimoderne" lorsque le train de la modernité est passé, et retournera ainsi de suite sa veste en temps utile.

    N'est véritablement "cultivé" aujourd'hui qu'untel qui connaît les derniers avatars du cinéma hollywoodien et les dix plus gros tubes du Top 50. Ce que le bourgeois ne supporte pas dans la contre-culture, c'est qu'elle lui succède. Laissons les académiciens atteints de gâtisme, confits dans leur mémoire de collectionneurs, pleurer devant le vide-grenier de la culture française.

    *

    Un conseil simple qu'on peut donner à un gosse d'immigré, puisque c'est la seule voie de l'intelligence qui lui permettra de s'affranchir du football et des corvées que les libéraux cyniques et fainéants lui infligent : se cantonner aux oeuvres de la Renaissance française et européenne (disponibles gratuitement sur Google). Gain de temps assuré lorsqu'on a autre chose à foutre que convertir le temps en argent ou lire des romans de Flaubert après Flaubert, ce qui revient pour une demoiselle à continuer de porter des robes à cerceaux.

    Louis-Ferdinand Céline lui-même, mis au ban par la bourgeoisie pour n'avoir pas assez passé de temps à lui lécher la sainte fente, aurait donné tout son ouvrage de moine cistercien défroqué contre deux vers de Shakespeare. Voilà l'esprit critique français, on ne peut plus empreint d'abnégation.

    Proust l'a dit, pourquoi le bourgeois bouffe de tout et n'importe quoi, et montre plus de vigilance sur le point de la gastronomie ou la façon de se faire enculer que dans les questions spirituelles : il croit ainsi obtenir naïvement un délai. Ce faisant il ne fait que vivre à crédit, et cette vie-là est comme une mort. La seule puissance que le diable accorde à ses sujets, c'est d'anticiper leur mort.

  • Tranchant double

    "Mon oeil joue le peintre et place la substance de Votre beauté dans le tableau de mon coeur ;

    Mon corps est comme un cadre qui l'englobe.

    Que la perspective soit l'art du meilleur peintre,

    A travers laquelle on pourra reconnaître le talent du peintre

    A trouver où Votre véritable dessein gît,

    Latent dans mon théâtre,

    Dont les croisées sont pourvues du vitrail de Vos yeux.

    Maintenant voyons quelles bonnes révolutions "yeux pour yeux" a donné :

    Mes yeux ont peint Votre forme et Vos yeux sont pour moi les fenêtres

    De mon for, par lesquelles, réjouissant dès l'aube, le soleil mène à Vous contempler jusqu'au milieu ;

    Jusqu'à présent les yeux habiles, avides de gloire,

    Peignent -mais les seules apparences-, ignorant le coeur."

    W. Shakespeare, Sonnet 24 (trad. Lapinos)

    La difficulté à traduire Shakespeare tient à ce que son art participe de la vision et d'une science exacte des corps animés et inanimés. La langue anglaise de Shakespeare, souple et peu conventionnelle à l'instar de la langue grecque d'Aristote, se prête mieux à la peinture qu'aux litanies funèbres ; à l'érotisme de la science plutôt qu'au sado-masochisme sentimental (Que le thème du poème "Le Phénix et la Colombe" soit romantique est peu probable étant donné la requalification des sentiments amoureux par Shakespeare en prurit de la politique - et vu que le phénix est dans l'esprit de Shakespeare un oiseau démoniaque. François Hugo a fait une effort louable pour ne pas donner dans la guimauve et la traduction hystérique qui conduit à voir des pédérastes partout dans l'oeuvre de S. Mais l'oeuvre de Shakespeare recèle une métaphysique encore plus cohérente que celle que François Hugo dévoile partiellement.)

    Donc la langue de Shakespeare ne se lit pas de gauche à droite, elle est faite pour provoquer l'imagination et l'intelligence comme le dessin, non la rêverie. C'est la raison pour laquelle, faute d'un outil adéquat, le théâtre français ne parvient jamais à retrouver comme Shakespeare la formule apocalyptique des tragédiens grecs, même si Molière exploite dans son "Festin de pierre" le thème de la double face du diable (Don Juan-le séducteur/Sganarelle-le dévôt) cher à Shakespeare. Sans oublier que, question d'anticléricalisme, Shakespeare n'est pas en reste sur Dante Alighieri.

    *

    Plus moderne que l'allemand, le français l'est moins que l'anglais. Peut-on ainsi vraiment aimer Montaigne ET Shakespeare ? A moins de préférer les momies aux êtres de chair comme Proust, cela paraît difficile. Il faut choisir.

    Etant donné la profession de foi géocentrique d'Hamlet, l'importance de la forme sphérique en peinture à la Renaissance, les pièces de Shakespeare étant représentées en outre au théâtre du "Globe", je discerne un clin d'oeil au coeur du sonnet 24. Où j'ai mis "théâtre", un autre traduit par "échoppe", faisant référence à l'atelier du peintre. Je ne crois pas tant personnellement que Shakespeare file la métaphore du peintre de bout en bout mais qu'il révèle plutôt le secret de son théâtre et qu'il est, d'une manière différente de Christophe Colomb, lui aussi un "révélateur du globe".

    Et Miranda dans "La Tempête" :

    - O, wonder!

    How many goodly creatures are there here!

    How beauteous mankind is!

    O brave new world

    Thas has such people in't! Et Prospéro son mage de père de répondre :

    - Tis new to thee.

    "Brave new world" : cette expression reprise par A. Huxley comme titre de son (médiocre) "best-seller" a été justement interprétée comme une allusion au "Nouveau Monde" découvert par Christophe Colomb. Précisément ce monde n'était pas neuf pour François Bacon, auteur de la "Nouvelle Atlantide" et plein d'éloge pour la "sagesse des anciens". Bacon tient que l'Atlantide a réellement existé, et croit dans la valeur historique du témoignage de Solon dans le "Timée" de Platon ; Bacon passe même par le mythe des Atlantes pour expliquer le peuplement de l'Amérique (à noter que les vestiges d'une cité engloutie ont été découverts au large de Cuba où Bacon situe le territoire des Atlantes.

    *

    Il ne faut pas entendre "perspective" ici au sens que lui donnent parfois les muséographes et les archéologues allemands, qui correspond plutôt à la peinture académique et plate de Vermeer, non pas à la peinture de la Renaissance dans laquelle la "perspective" -au sens contemporain- joue un rôle secondaire d'effet spécial dans les grandes compositions ; perspective si secondaire que dans son architecture même, Michel-Ange s'en soucie peu, et lorsqu'il s'en préoccupe, c'est en tant qu'illusion d'optique, pour en jouer ou bien atténuer ses effets. L'idée de la perspective aujourd'hui est inspirée du BTP et des cabinets d'architecture et ne correspond en rien à la mentalité du peintre de la Renaissance.

    Sonnet 24 à rapprocher du "Novum Organum" de François Bacon (aphorisme 9, Livre II) :

    "(...) Ainsi la recherche des formes qui (par leur nature assurément et conformément à leur loi propre) sont éternelles et immobiles, constituera la métaphysique ; la recherche de la cause efficiente, de la matière, du progrès latent, du schématisme latent (toutes choses qui concernent le cours commun et ordinaire de la nature et non les lois fondamentales et éternelles), constituera la physique. Et on leur subordonnera respectivement une science pratique : à la physique, la mécanique ; à la métaphysique la magie (le mot étant épuré), que je nomme ainsi en considération de la largeur de ses voies et de son plus grand empire sur la nature."

    L'empirisme n'est pas ici, on le voit, l'empirisme néo-pythagoricien Galilée ou Descartes, Newton, dont beaucoup d'expériences sont entièrement théoriques, comme les prétendues expériences de Galilée sur la tour de Pise, complètement fantaisistes, ou sa balistique ridicule fondée sur des boulets lancés dans des gouttières ; l'expérience prônée par Bacon est ancestrale et n'a rien à voir avec le gadget technique ou balistique, les conventions algébriques ésotériques de Huygens ou Descartes. L'orgueil laïc est tel qu'au lieu d'écarter carrément Bacon, ce que la place qu'il accorde à la magie par rapport à la physique ou la mécanique oblige n'importe quel commentateur honnête à faire, ou de réserver un traitement à part à Bacon dans l'histoire des sciences, il est NECESSAIRE dans la religion laïque que Bacon soit le père de la science moderne, contre la lettre même de sa démarche scientifique.

  • Théorie de la relativité

    Peut-on lire Blaise Pascal ou Montaigne après avoir lu François Bacon ? Je m'y suis efforcé la semaine dernière, mais rien à faire ; même si l'on s'en tient au style, je trouve que Pascal ne vaut pas la Rochefoucault, dont les pensées de jurisconsulte romain mélancolique ne me font déjà pas beaucoup bander. Probable que c'est parce que La Rochefoucault est un athée plus sincère que Pascal qu'il a plus de style. Pascal balance trop.

    Quant à Montaigne, comme le titre l'indique, ce ne sont que des "essais". Il faut pour trouver une perle ouvrir beaucoup trop d'huîtres vides. L'idée qu'il puisse y avoir des "moralistes chrétiens" n'est acceptable que pour un janséniste et elle est aussi farfelue que l'idée qu'il puisse y avoir des romanciers catholiques. Evelyn Waugh tenait à cette étiquette d'"écrivain catholique", mais il ne l'est pas plus que L.-F. Céline, ce qui n'est déjà pas si mal. Waugh comme Céline valent d'ailleurs pour n'avoir pas ou peu versé dans l'"existentialisme", c'est-à-dire pour s'être tenus à l'écart d'une morale officielle qui doit autant, si ce n'est plus, à Pascal qu'à Voltaire ou Rousseau.

    Quand François Bacon ressuscite le théâtre grec "in extremis" sous le nom de Shakespeare, Montaigne fait, lui, l'apologie des systèmes métriques romains. Les meilleurs d'entre les Boches sont français. Montaigne a deux siècles d'avance sur ses cousins germains et il ne s'exprime pas de façon entièrement conventionnelle. Sans le côté "autodidacte" qui fait son charme buissonnier, Montaigne serait aussi scolaire que Nitche.

  • Angel face

    Philippe Manière, c'est "Tintin à Wall-Street". Qui incarne mieux que lui le "discours économique libéral", c'est-à-dire la grande truanderie capitaliste, avec sa tête de sainte Nitouche ?

    ("Tintin en Amérique" : le pamphlet anti-yanki d'Hergé a au contraire sa place dans la bibliothèque du réactionnaire Ben Laden.)

    D'après Manière, il faut surtout éviter de condamner moralement les chacals de la haute finance internationale.

    Nul besoin d'être grand lecteur de Montaigne pour voir qu'il ne mérite pas de servir de prête-nom à un Institut qui regroupe une bande d'escrocs de la science économique de la trempe de Philippe Manière ou Claude Bébéar.

    Ces gars-là, que l'effondrement du château de cartes financier devrait plutôt inciter à s'enfoncer six cent seize pieds sous terre d'où ils viennent, ces gars-là sont entièrement dépourvus de pudeur.