Le succès d'Eric-Emmanuel Schmitt, tant au cinéma qu'au rayon "livres", ne faiblit pas. Comme j'ai pu moi-même constater, c'est surtout auprès de la gent féminine qu'il se vend comme des petits pains. Comme quoi le magnétisme du curé sur les gonzesses n'est pas qu'un truc d'ancien régime. Succès de Schmitt en Allemagne aussi, nation où la féminité est plus exacerbée encore chez les hommes que chez les femmes, comme dans toutes les populations où le goût pour le droit et les mathématiques, marqueurs de l'animisme, est débordant. Il y a tout lieu de penser que le premier langage humain écrit fut un langage mathématique, et que l'écrit a progressé ensuite contre l'arithmétique et les mathématiques.
J'avoue ne connaître moi-même la teneur des sermons de Schmitt que par des échos. Pas question de regarder un film d'après Schmitt, même pour me faire une idée. Et au bout de quelques paragraphes, j'ai des troubles de la vision, toutes les lignes se superposent pour n'en former plus qu'une seule.
Cependant E.-E. Schmitt est l'auteur d'une définition parfaite de la démocratie-chrétienne, c'est : "L'Evangile selon Pilate". Dont on pourrait imaginer une suite encore plus audacieuse : "L'Evangile selon Caïphe".
Un type étiqueté "catholique" mais qui n'a jamais sans doute entendu parler de la "synagogue de Satan" (Ap. II et III), n'a pas hésité il y a quelque temps à me vanter sur un blogue les vertus de cette secte juive. D'après le "Dictionnaire du Nouveau Testament" du Chanoine Crampon (base de connaissance assez solide comparée à ce qu'un curé moyen est capable de proférer comme conneries aujourd'hui), la secte pharisienne se serait en partie constituée en réaction à l'hellénisme menaçant d'envahir la religion de Moïse.
Si Crampon dit vrai, nul besoin de pharisaïsme aujourd'hui puisque le jansénisme et la théocratie ont éradiqué peu à peu à partir du XVIIe siècle tout "hellénisme" du catholicisme. Autrement dit, Schmitt et les sermons béni-oui-oui ont remplacé Dante et Shakespeare.
Eradication complète de la mythologie grecque, comme on peut s'en rendre compte en lisant Dante ou Shakespeare. Mais éradication complète aussi d'Aristote, dont la science ne souffre pas d'être amalgamée avec les théories médiatiques et primaires de Pythagore, les mathématiques milésiennes - Pythagore que jansénistes et puritains ont lui aussi largement contribué à ressusciter ; éradication si complète que Joseph Ratzinger passe par la théorie des ensembles pour expliquer la charité à ses ouailles. Tel spécialiste de Pythagore estime d'ailleurs que sa secte rencontra beaucoup de succès auprès des femmes et des mères de famille ; c'est exactement ce qu'est devenue la secte démocrate-chrétienne en France : une religion de mères de famille où les hommes ne sont pas les bienvenus. Surtout s'ils conchient la guimauve chrétienne d'Emmanuel Schmitt.
Commentaires
Le pythagorisme (donc les mathématiques si je vous suis, ce qui est peut-être un peu réducteur), un animisme, je comprends. Mais le droit ?
Le droit naturel, d'accord. Mais le droit est aussi un formalisme, un décisionnisme, que sais-je encore ? Je ne suis donc pas sûr de vous suivre, même si votre réflexion semble intéressante. S'il vous plaît de m'éclairer un peu…
- On pourrait nuancer en effet, placer Thalès au-dessus de Pythagore, etc. Parmi les tenants de la théorie primitive dite des "éléments", considérer Anaximandre comme le plus animiste, etc. Mais il me semble qu'il vaut mieux tout simplement retenir que déclarer une science physique fondée sur Pythagore comme une science "dure" ou "matérialiste" relève de la supercherie.
La physique d'Aristote est beaucoup plus matérialiste que celle de Pythagore, qu'il méprise (à juste titre) comme un primitif jongleur de concepts. Le trépied d'Aristote est croyez-moi beaucoup plus solide que toutes les tables bancales milésiennes (obligées pour être crédibles de se caler sur le branlement).
- Le droit naturel à proprement parler, j'y reviendrai bientôt, est un véritable serpent de mer. Il va bien du fondement juridique de la loi sur la nature (Montesquieu, par ex.), jusqu'à légiférer au moyen de l'algèbre sur la Nature elle-même (I. Newton, Leibniz...) ; les deux procédés ne sont pas dissociables. Sans le préalable de la justification de la loi par la nature, la légitimation du langage mathématique en tant que description des phénomènes ou d'une réalité physique donnée n'aurait pas pu se faire.
L'extrême religiosité des principes laïcs décelée par Marx se fait jour ici, vu qu'on peut même parler en ce qui concerne Pythagore de "bigoterie scientifique", une bigoterie scientifique dont Leibniz ou Pascal constituent en quelque sorte le rappel au XVIIe siècle.
- Le raisonnement marxiste, si vous voulez, à propos de cette forgerie du "droit naturel", serait de voir la régression mathématique comme une conséquence de la régression juridique qui la précède, communément qualifiée de "théocratie". Bossuet ne se rendait pas compte qu'il n'était lui-même que l'avant-garde du retour en force de l'islam qu'il redoutait. Le jansénisme, de fait, partage beaucoup de points communs avec l'islam, disons "turc".
Merci de votre réponse, qui en appelle une autre de ma part.
I. La physique en tant que telle ne saurait se fonder en effet sur une métaphysique mathématique ; mais elle peut fort bien s'en trouver complétée, selon une disjonction de type kantien (domaine de l'entendement—domaine de la raison). Une même théorie physique peut donner lieu à une interprétation positiviste, réaliste, simplement pragmatique, etc. Ce que je veux soulever, c'est que la science elle-même ne saurait de façon irréductible fonder ou réfuter ces hypothèses : ce n'est simplement pas son problème.
II. Concernant le point central de votre raisonnement, cela reste assez obscur, si c'est sur cela que vous voulez revenir, cela m'intéressera de voir comment vous articulez ces deux concepts :
1. nature comme source de légitimation juridique
2. mathématique comme source de légitimation du discours sur la nature
L'idée de Marx, si je la comprends, est que dans les deux cas, on surchage la matière d'une chose immatérielle (et qui resterait irréductible à la matière), qui est soit mathématique, soit juridique, et que cela constitue une forme d'«animisme». Cependant, même en accordant au matérialisme que l'immatériel est une émanation du matériel (i.e., ici, que la matière est mathématisable, ou sujette au droit, de façon non intrinsèque, i.e. que l'on peut réduire la physique et le droit à l'étude de la matière), je ne vois pas exactement ce que cela change sur le fond. En effet, la matière est organisée de telle façon dans la nature que certains usages que l'on fera seront conformes à elles et d'autres non conformes : principe du droit naturel retranscrit en termes matérialistes. Le Darwinisme, surtout celui de Spencer de Galton est un bon exemple de science de la nature qui finit par se transformer en discours juridique au sens large, c'est-à-dire en discours qui dit ce qui doit être partant de la connaissance de ce qui est.
III. Pour finir sur Aristote, la distinction même mouvement naturel—mouvement violent dit bien que la nature est source de valeur (le bon et le mauvais sens ; il suffit de penser à la sexualité pour comprendre ce que ça peut vouloir dire) ; son concept de mouvement en général, et donc tout ce que l'on pourrait appeler la "dynamique" d'Aristote, sont profondément ancrés dans un finalisme qui ne m'apparaît pas loin de l'animisme que vous dénoncez chez les Milésiens.
Je vous remercie quoi qu'il en soit de ces intéressantes réflexions.
I. Ne m'en veuillez pas de laisser de côté Kant qui m'apparaît comme une simple distraction pour séminariste démocrate-chrétien dans la mesure où le discours de la méthode qu'il tricote d'un côté, il le détricote de l'autre. Kant pose plus de questions qu'il ne fournit de réponses.
II. La physique aux yeux des matérialistes (Aristote, Bacon, Marx) ne se mesure pas. Si on ne s'en aperçoit pas, on risque de prendre la géodésie pour une science.
Pour un matérialiste, le dynamisme de la dialectique en fait un meilleur outil que les mathématiques, syllogistiques et donc statiques.
A CONTRARIO c'est de l'idée que la nature est mathématisable, quantifiable, que vient à Montesquieu (non Marx) l'idée du droit naturel, sans qu'il parvienne à expliquer autrement que par des moulinets rhétoriques comment il se peut faire que la norme rigide puisse découler de phénomènes qu'il constate en perpétuelle mutation.
Ne comptez donc pas sur un matérialiste pour justifier le sophisme de la "loi naturelle" de Montesquieu ou autre, mais au contraire pour le détruire.
Je ne dis même pas que l'idéologie bancale de la loi naturelle pèse beaucoup sur l'histoire, mais que d'elle vient l'idéologie subséquente, plus difficile à justifier encore, d'une législation imposée à la nature par l'homme (dont on retrouve la trace dans le crétinisme des écolos aujourd'hui qui se posent en "gestionnaires de la planète" avec une arrogance extraordinaire alors qu'ils ne sont pas même capables de dire quel temps qu'il fera demain - pour vous donner un exemple de métaphysique directement inspirée des maths).
Le domaine de la physiologie/biologie est certainement celui où il est le plus facile de glisser comme Darwin dans la mauvaise métaphysique ("descendantale").
III. Attention, il y a pour Aristote comme pour Bacon deux natures, et c'est là un point fondamental de la logique matérialiste sans laquelle on ne peut la comprendre. Une nature soumise au temps, une autre qui ne l'est pas. Et y compris s'agissant du mouvement dans la sphère inférieure, c'est la sphère supérieure qui sert à Aristote de référence.
Puisque vous parlez de sexe, la mort n'est certainement pas un accomplissement pour Aristote comme dans certaines sectes païennes (au bout de trois cycles le corbeau a "droit" à la vie éternelle) mais la mort est une faillite pour Aristote comme pour les chrétiens.
Aristote est donc très loin de l'idée de la métempsycose animiste pythagoricienne (qu'un crétin comme Blaise Pascal a contribué à réintroduire dans le christianisme), ce qui explique pourquoi le Stagirite prend les Milésiens avec autant de hauteur, et d'une manière qui selon moi est beaucoup plus justifiée que le mépris laïc d'Henri Guaino pour les Africains (La religion laïque est extrêmement animiste et fondée sur un faisceau d'extrapolations erronées.)
Je ne dénonce pas exactement l'animisme des Milésiens ; j'affirme plutôt qu'on peut soupçonner les chrétiens qui ont réintroduit Pythagore d'être des suppôts de Satan. On peut être matérialiste et accorder une grande importance aux symboles, y compris Marx ; s'agissant du python, le symbole est on ne peut plus concret.
Merci de ces éclaircissements, mais permettez-moi une dernière réponse.
I. Passons rapidement sur Kant si vous le souhaitez, ce n'est pas non plus ma tasse de thé ; reste que cette idée très générale d'une division physique/métaphysique m'apparaît quoi qu'il en soit valable, et qu'elle rend possible un certain positionnement métamathématique (dont le pythagorisme ou le platonisme mathématique ne sont que des exemples) sans modifier en rien la science physique à un niveau opératoire. Les sciences ne sont pas condamnées au positivisme (quoique pour ma part, j'aime assez le positivisme).
II. J'entends bien votre raisonnement, et votre refus intransigeant d'une loi naturelle (car la rigidité légale ne saurait s'enter sur la fluidité phénoménale de la nature). Sur le fond, je doute qu'il nous soit possible de nous entendre — il se trouve que je crois possible dans une certaine mesure, en se basant sur une certaine logique du vague, pour paraphraser Th. Williamson, de faire de la nature la source de légitimation d'un cadre assez général des conduites humaines, mais ce n'est pas le propos.
Le propos est de savoir en quoi les théories du droit naturel fondent ou rendent possibles une mathématisation de la nature, et je ne crois pas que vous m'ayez éclairé sur ce point. S'agit-il de dire que dans les deux cas, un pont axiologique était lancé entre la nature, lieu du fait, et une certaine science humaine du droit (qu'elle soit physique ou juridique), et qu'une fois le pont en place, les passages sont possibles dans un sens (la nature norme le droit) ou dans l'autre (l'homme norme mathématiquement la nature) ?
III. C'est un point connexe, mais même une fois la distinction des deux mondes faite chez Aristote, restent à mon sens plusieurs éléments très forts d'animisme :
1. Le monde sub-lunaire, soumis à la contingence, est inférieur (non pas seulement en altitude) au supra-lunaire ; le seul moyen d'acquérir une certaine dignité dans ce monde consiste à s'accorder aux mouvements parfaits du monde supra-lunaire. La hiérarchie est évidente dans la nature même.
2. La notion même d'entéléchie est à mon sens fondatrice d'une certaine loi naturelle — à laquelle je crois en effet — à elle seule : il y a des choses auxquelles il faut tendre pour se réaliser pleinement, non d'autres. Cette notion de plénitude introduit du droit (et du dois !) dans le fait, comme la distinction des deux mondes.
3. Les êtres du monde supra-lunaire ont aussi une âme ! Je me permets de vous renvoyer à O. Hamelin, Le Système d'A., Vrin, éd. de 1976, p. 354. Cette âme, comme toutes les âmes chez Aristote, est immatérielle (Ibid., p. 374).
En bref, pour moi, l'aristotélisme n'est pas vraiment un exemple d'antianimisme ou de matérialisme scientifique. (Je ne parle même pas du finalisme généralisé de sa physique, qui recèle aussi un fond d'animisme très fort : si les choses existent par leur point final, elles se existent aussi par une finalité, au sens d'un motif).
En vous remerciant d'avoir participé à cette intéressante conversation,
Constant.
I. Chez Aristote, la physique est supérieure à la métaphysique et celui-ci ne tient pas les mathématiques pour plus "naturelles" que le droit. Elles sont de l'ordre de la rhétorique. Le débat lancé par Kant tourne autour de ça, et il n'y ajoute rien que la confusion de son langage amphigourique (Le problème de l'allemand, c'est que c'est une lange très conventionnelle qui ne se prête guère qu'aux maths et au droit.)
- Sur le plan cosmologique, Kant avalise Epicure et il croit aux Martiens plutôt qu'aux anges, ce qui en fait un paroissien plutôt étrange. Je vous le signale pour vous montrer que le choix de Kant se porte sur le moins scientifique et le moins expérimental des Grecs (Il n'y a que M. Onfray pour croire qu'Epicure est "matérialiste" ou "athée".)
- Attention sur le "positivisme" à ne pas tomber dans les erreurs répandues par l'Université. Auguste Comte a dénoncé vigoureusement le crétinisme et l'ignorance qui règnent à l'école polytechnique. Pour abréger on peut dire que plus une science accorde une large part aux maths, moins elle est matérialiste.
II. Démontrer qu'on ne peut fonder le sophisme de la loi naturelle sur Aristote -comme c'est le cas- revient à démontrer que le Stagirite ne pense pas l'âme immortelle. Théocratie et animisme sont indissociables.
Et la théorie freudienne de l'âme en vigueur actuellement est non seulement une théorie de l'âme, mais c'est une des plus grossières de tous les temps dans la mesure où elle néglige assez largement la physiologie et n'est pas très "organique". Probablement Aristote n'aurait-il même pas daigné l'examiner.
- J'essaie une nouvelle fois de vous expliquer ce qui est un processus idéologique : avec le droit naturel, la science physique perd de vue son objet ; dans un deuxième temps plus opaque encore, l'outil (médiatique) devient l'objet lui-même de la science physique qui cesse de scruter la nature pour se scruter elle-même en quelque sorte. On pourrait dire qu'elle "traverse le miroir" (elle n'aurait jamais dû, comme Narcisse, se mirer, selon l'avertissement d'Aristote encore une fois).
III. Pour Aristote ce n'est pas l'âme qui est immortelle, ce sont les astres. Et vous pouvez constater que dans tous les systèmes qui valorisent l'âme, c'est au contraire le monde qui n'a pas d'existence ou qui n'en a une que très relative et SUCCESSORALE puisqu'elle est mathématique.
- Non seulement Averroès ou Sigier de Brabant ont fourni une meilleure interprétation d'Aristote que Thomas d'Aquin, mais celui-ci ne s'est pas comporté de façon très "angélique" en cette occasion. Pour moi ce point-là est acquis et si certains commentateurs actuels (A. de Libéra) ont remis inutilement la question sur le tapis c'est parce qu'ils partent eux-mêmes d'un préjugé beaucoup plus animiste encore que Thomas d'Aquin lui-même.