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La Preuve de Satan

Plus possédé que Baudelaire croit généralement que Satan n'est, de la part du "prince des poètes", qu'une figure de style. C'est situer Baudelaire au niveau du petit Rimbaud, ou du petit Proust, plagiaires talentueux sans doute, mais simples plagiaires, ressemblant au vin comme l'alcoolique lui ressemble, mais non pas comme le vigneron. Beaucoup de poètes modernes se contentent de faire l'éloge de leur mère, comme si elle était pour eux toute la nature. Baudelaire n'est pas aussi limité dans ses vues.

Incontestablement, Satan est de tous les stylistes, le plus grand, et si Baudelaire se contentait exclusivement de tirer de ses cordes les plus rassurantes ou les plus effrayantes sonorités, il ne distinguerait pas Satan de Dieu. Il dirait "dieu", tout simplement, comme les poètes dévots.

On retrouve, de la même façon, dans les questions que Baudelaire se pose à propos de ce qu'il fabrique en tant qu'artiste, tournure d'esprit assez stupéfiante pour notre temps, habitué à agir de façon inconsciente et sur ordonnance, on retrouve l'intelligence de Baudelaire de la double orientation de l'art. Non pas, bien sûr, la culture de vie d'une part, et la culture de mort d'autre part : un médecin ne sera pas assez bête pour les opposer, et la culture de vie thérapeutique de Proust est une sorte de tremblement face à la mort.

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Pour le chrétien, c'est l'impossibilité de concilier éthique et vérité qui prouve Satan. La morale conforte, mais non la vérité.

Curieusement, parmi les musulmans que je trouve aujourd'hui cette notion la mieux conservée, quand  ceux avec qui j'ai l'occasion de causer me disent : "Tu ne peux pas vouloir la vérité, Lapinos, car ce serait la fin du monde !" Exactement !, depuis le début les chrétiens veulent la fin du monde.

L'effort des avocats de Satan -pratiquement toujours des hommes d'Eglise- pour faire paraître cette perspective effrayante, passe par la rhétorique de la foi et de la raison. J'ajoute à l'attention de mon pote musulman que, lorsqu'il s'éteindra, ce sera la fin du monde : s'il n'a jamais eu sur le monde qu'un point de vue personnel, le point de vue de l'imbécile ou du géomètre-expert, à travers un prisme, bien sûr le monde prendra fin pour lui, la mort ayant le pouvoir de rappeler à elle toutes les illusions morales et politiques qu'elle engendre.

Et d'ailleurs, je me dois d'ajouter à mon pote musulman qu'il n'est pas moins mourant que vivant, au moment où nous parlons. Comme il n'est pas riche, ni propriétaire, je ne peux m'empêcher, en outre, de lui demander quel intérêt il peut avoir dans le prolongement théorique du monde ? Les musulmans n'y sont-ils pas le plus généralement opprimés ? Ou, pire encore, léchant le cul de régimes démocrates-chrétiens qui semblent avoir découvert le moyen de pousser l'abjection au-delà des limites atteintes précédemment par le nazisme ? Je crois que mon pote musulman possède un avantage, au plan de la conscience, sur le socialiste lambda : il ne croit pas que la métamorphose de l'animal en homme soit possible ; cette idée heurte sa conscience, et même l'expérience qu'il a des choses de la nature : il est par conséquent beaucoup mieux imperméabilisé contre le truc de la métempsycose ou celui du darwinisme social, dont la propagande démocratique fait un large usage pour méduser le plus grand nombre, pour introduire la culpabilité, la dette de l'homme à l'égard du monde.

"Si Satan se montre aussi généreux avec l'homme, ajoute un autre pote, c'est parce que Satan a besoin de lui." On trouve la confirmation du rapport amoureux entre l'homme et Satan chez Baudelaire.

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- Beaucoup plus difficile est la preuve de dieu pour un chrétien, tandis que celle de Satan est d'une simplicité biblique, Satan étant présent pratiquement dans chaque hypothèse. Sauf la paix dans le monde, je ne vois rien de plus improbable que le dieu des chrétiens, et on ne peut en vouloir trop aux théologiens chrétiens d'avoir convaincu aussi peu de monde, empêché la ruée vers des Eglises  prêchant un écologisme plus ou moins simplistes.

Cette difficulté explique, déjà, dans le vieux testament des juifs, l'interdiction de représenter dieu. C'est une précaution scientifique, et non comme on le croit souvent une marque de respect. Ce que vous respectez, vous le craignez, mais ne pouvez l'aimer vraiment. L'effet de cette interdiction, dont je ne crois pas que l'art chrétien occidental s'est beaucoup écarté, empêche de se sacrifier à une vaine idole, de nature éthique ou politique. Même les cathédrales, architectures authentiquement païennes, au symbolisme démoniaque de a à z, que je regrette à titre personnel que l'aviation yankee, dans la foulée de son incompétence militaire, n'a pas entièrement démolies, ces cathédrales ne représentent pas dieu, mais l'espérance païenne, comme les pyramides d'Egypte (concernant Hitler, je serais étonné qu'il n'ait pas eu un faible pour ces cathédrales, étant donné le goût féminin atavique des Allemands pour tout ce qui touche de près ou de loin à l'architecture)

Le dieu des chrétiens ne se démontre pas, contrairement à toutes les oeuvres d'art pieuses qui prouvent Satan, il s'expérimente. Or l'expérience est une chose pratiquement impossible à communiquer à autrui. Quel artiste chrétien a réussi à communiquer son expérience de dieu dans l'Occident moderne ? Je n'en vois pas deux comme Shakespeare. Bien sûr Shakespeare paraîtra étrange et énigmatique à celui qui part du principe que les cathédrales gothiques sont des édifices chrétiens, mais cela est une autre histoire, celle des imbéciles républicains, dont la sympathie ne manque jamais d'aller aux savants chrétiens les plus superstitieux : Galilée, Descartes, etc.

Tout au plus l'expérience de dieu, si quelque chrétien parvient à vous la communiquer, peut vous donner envie de la partager. Mais ce n'est ni une preuve, ni une démonstration. De même si l'on vous dit que la science de Newton est vraie, tant que vous n'aurez pas expérimenté vous-même cette vérité, vous resterez au niveau de la religion, et non de la science. Je veux dire par là que la preuve de dieu ou la foi en dieu est une chose démodée pour les chrétiens depuis des millénaires, aussi stupide que l'idée de "culture scientifique" ou de "culture artistique", techniquement au niveau du catéchisme. N'importe qui a un peu d'esprit scientifique reconnaîtra qu'on ne peut pas, ou guère, faire de la science en groupe, mais que la démarche scientifique, contrairement aux soldats qui avancent avec méthode, est une démarche des plus individuelles. D'où l'importance de l'histoire dans le domaine scientifique, que les technocraties ou les théocraties tentent toujours d'empêcher, ou malmènent, imposent (cf. les grossières légendes à propos de Galilée).

Voici pourquoi Jésus-Christ a retenu la Révélation, et qu'il a dit devant ses apôtres : "Heureux ceux qui croiront sans avoir vu." Parce que chaque homme doit faire lui-même l'expérience du salut, faute de quoi il restera statufié dans ses illusions.

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