L'essayiste français Pascal Bruckner impute dans l'un de ses essais le sentimentalisme débordant de la société occidentale au christianisme. C'est un truc récurrent chez les philosophes républicains modernes, et non seulement Nitche, d'imputer au christianisme la décadence des institutions.
Un peu plus d'honnêteté intellectuelle ou de professionalisme obligerait à accuser l'Eglise catholique, et non le christianisme, de ce mysticisme sexuel débordant et dangereux, dont la demande d'institutionnalisation des relations lesbiennes ou sodomites dérive. Si le mariage gay est bien égal au mariage catholique romain, c'est sur un point : celui des sentiments, exclu des rituels d'union païens. Les militants gays n'ont pas introduit le débordement sentimental, mais l'Eglise romaine elle-même précédemment.
Pourquoi l'Eglise romaine, et non le christianisme ? Parce que les évangiles ne permettent de fonder AUCUNE DOCTRINE SOCIALE. Le Messie traite les juifs pharisiens de "chiens", parce qu'ils ont commis cette faute contre l'Esprit de dieu.
Les démocrates-chrétiens commettent une imposture et un blasphème majeur : en effet, rien ne leur permet de décréter à la place de Jésus-Christ dans un domaine où celui-ci n'a jamais cru bon de décréter.
Si cette nuance majeure entre la docrine sociale catholique romaine d'une part, et la parole de dieu d'autre part, doit être faite, c'est parce qu'elle permet de comprendre la fragilité particulière du néo-paganisme catholique romain. On pourrait quasiment parler de néo-paganisme "schizophrène". Quelques érudits seulement en ont conscience ; il est difficile de croire, par exemple, que Galilée ou Joseph de Maistre ignorent qu'ils proposent des doctrines antichrétiennes, tellement elles sont inspirées par des principes "maçonniques" ou platoniciens contraires au christianisme (l'évangile de Judas Iscariote révèle qu'il était adepte de la philosophie morale de Platon).
La divagation juridique est donc une marque particulière de l'Occident, qui trouve son origine dans la doctrine sociale de l'Eglise catholique. L'imprécision des philosophes voltairiens, la raison pour laquelle ils ne veulent pas ou ne peuvent pas viser juste, est assez facile à comprendre : les institutions républicaines dérivent des institutions catholiques romaines. La principale différence entre les institutions monarchiques catholiques romaines et les institutions républicaines modernes est d'ordre économique, non pas juridique. La théorie nationale-socialiste ou hégélienne du progrès serait mise à mal si la solution de continuité était mise à jour entre tradition catholique romaine et modernité technocratique républicaine.
Pour le combat contre la subversion de l'Esprit, il n'est pas inutile de comprendre que Shakespeare, avant même qu'elle ne prenne l'aspect tentaculaire et métastatique qu'on lui connaît, a tranché la gorge à la doctrine sociale de l'Eglise romaine. C'est le sens sans équivoque de la mythologie de Shakespeare. Sous l'apparence païenne ou séculière, Shakespeare met le feu au Capharnaüm catholique romain, véritable paganisme recouvert des oripeaux de la foi chrétienne. Si les universitaires voulaient bien se donner la peine d'être intelligents, ils comprendraient que Shakespeare le fait d'une manière plus complète et qui excède largement en force la manière de Luther. Shakespeare est le découvreur du globe, de sa lâche médiocrité, et il ne faut pas s'attendre à l'éternel retour de Fortinbras. Si les meilleures choses ont une fin, les pires aussi, par bonheur.