Les chrétiens se comportent ordinairement comme s'ils étaient les seuls détenteurs de la vérité historique. J'ai récemment échoué à expliquer pourquoi à l'auteur d'un blog réactionnaire et néo-païen.
Tentons donc d'y remédier ici. Il ne s'agit pas de nier l'existence d'historiens païens dans l'Antiquité, capables de relater avec exactitude des événements politiques majeurs. Mais l'apocalypse chrétienne, récit mythologique, indique que le monde a une issue, ce qui fait une différence radicale avec la culture de vie païenne qui postule le sempiternel recommencement du monde, et l'organisation sociale suivant les lois de la biologie (transposées dans l'ordre politique et culturel). La doctrine néo-païenne de Nietzsche proscrit ainsi logiquement l'Histoire. L'Histoire ne peut qu'être une mystification chrétienne selon Nietzsche, qui rejeta son éducation protestante jusqu'à se faire le porte-parole du satanisme.
Tandis que le but d'un "historien chrétien" sera de mettre à jour et d'élucider le sens de l'histoire, c'est une tout autre fonction que l'historien païen donnait à l'histoire - une fonction essentiellement morale et politique. On reconnaît au contraire l'historien chrétien authentique dans la quête d'une vérité universelle qui dépasse le registre terre-à-terre (anthropologique) de la politique et de l'éthique.
Cela peut paraître étonnant à ceux qui conçoivent l'Histoire comme une science moderne, fondée sur la précision des faits, mais l'histoire chrétienne se présente sous la forme d'un récit mythologique synthétique. Elle n'est pas une science humaine.
L'apocalypse et l'eschatologie dérangent les plans de tous les soi-disant chrétiens occupés à tirer parti du message chrétien sur le plan politique, et qui bravent ainsi effrontément la parole divine, probablement incrédule dans le châtiment de dieu.
L'apocalypse a ceci d'extrêmement dérangeant pour les élites des nations dites "chrétiennes" qu'elle prive ces élites d'une quelconque légitimité. C'est ce qui explique que l'apocalypse, au cours de l'ère chrétienne, ait pu être occultée, minimisée, sabotée, en dépit de sa logique concordante avec les évangiles admis officiellement.
Bien que le clergé catholique romain soit beaucoup plus suspect de vouloir jeter le voile sur l'apocalypse, en raison de la collusion notoire de ses hauts dignitaires avec telle ou telle élite politique, l'exemple du luthéranisme est beaucoup plus significatif. En effet, la réforme protestante s'est d'abord appuyée sur l'apocalypse afin de dénoncer l'iniquité des papes romains siégeant à Rome dans des pamphlets illustrés restés célèbres. De fait, l'apocalypse insiste particulièrement sur le détournement de la foi chrétienne au cours de l'histoire. Devenu ensuite la religion officielle de nombreux Etats germaniques ou nordiques, le luthéranisme et son clergé se sont peu à peu débarrassés de l'argument eschatologique, obstacle pour ériger le protestantisme à son tour en culte national.
L'Histoire chrétienne est donc destructrice de l'idée de "civilisation chrétienne" ; à cet égard, la philosophie chrétienne hégélienne est une imposture aisément décelable pour un chrétien, qui ne s'étonnera pas qu'elle ait force de dogme dans l'Occident moderne - de substitut aux anciens dogmes catholiques romains. Le chrétien ne s'attend pas à la manifestation de la vérité ou de la paix sur la terre, mais bien plutôt au triomphe de l'Antéchrist dans le monde.
On pourrait citer de très nombreux littérateurs ou artistes soi-disant chrétiens hostiles à l'apocalypse. Il est préférable d'indiquer que la croyance dans la survivance de l'âme au-delà de la mort, reliquat de l'ancienne foi païenne, permet de confondre ces littérateurs.
Il s'agit-là en effet d'un "emprunt" (parfaitement illégitime) à la culture païenne. L'eschatologie chrétienne et le sens apocalyptique de l'histoire sont RADICALEMENT INCOMPATIBLES avec un tel mysticisme, dont on peut constater qu'il a persisté bien au-delà de l'emprise légale du clergé catholique romain. Cette persistance indique la nécessité, sur le plan social, d'une telle foi, au contraire de l'histoire dont l'usage est nul sur le plan social.
De très nombreux indices permettent de reconnaître en Shakespeare un historien chrétien authentique. A commencer par son entreprise de démolition systématique du "roman national" britannique.
Peintre habile, peu soucieux du sens de l'Histoire et de la révélation, l'historien tirera au contraire des événements historiques une fresque propice à justifier la culture nationale. Shakespeare invite à voir au-delà de l'apparence trompeuse de "l'Occident chrétien".
Commentaires
"Histoire dont l'usage est nul sur le plan social." - "L'historien tirera au contraire des événements historiques une fresque propice à justifier la culture nationale."
Vous voulez dire "L'élucidation chrétienne du sens de l'histoire, dont l'usage est nul sur le plan social", n'est-ce pas ?