Le nazisme, en 2025, c'est V. Poutine et sa tentative de « blitz » en Ukraine, selon V. Zélenski et les Etats-Unis qui le soutiennent ; pour V. Poutine et le peuple russe, au contraire, il ne fait pas de doute que l'Ukraine de V. Zélenski représente le néonazisme. Mais encore, pour certains, le nazisme c'est l'islam révolutionnaire ou terroriste qui voudrait renverser l’Occident et prendre sa place ; tandis que d'autres voient dans l'élimination de plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens par Israël et les Etats-Unis une preuve que le sionisme est un néonazisme.
Le nazisme en 2025 est à la fois partout et nulle part. Traiter le parti adverse de nazi, compte tenu de l’infamie qui s’attache à ce courant politique, est devenu un moyen de diffamation courant, proche de l’usage des termes « juif » ou « communiste » utilisé par la propagande du parti nazi. C’est ici le plus bel hommage rendu à J. Goebbels, quoi qu’il soit indirect.
On comprend ici la démarche prévoyante de George Orwell qui consiste à étudier le fascisme ou le nazisme tel qu'il est, et non pas tel qu'il prétend être, ou tel que ses rivaux prétendent qu'il fut.
Cette démarche conduit Orwell à poser l'équivalence du communisme, du nazisme et du libéralisme, alors même que leurs slogans varient. Orwell était le mieux informé du monde de la symétrie des méthodes nazies et des méthodes socialistes-révolutionnaires : on peut parler dans les deux cas de violence rhétorique. Le complément indispensable de la violence de la propagande est l’effacement de l’Histoire sous une forme plus ou moins radicale, dont l’élaboration du roman national fait partie. « 1984 » s’oppose radicalement à la formule du roman national républicain français et ses adaptations successives au cours de la seconde moitié du xxe siècle aux besoins des élites républicaines, qu’il vaut mieux dire « oligarchiques » pour appeler un chat un chat.
La propagande ou le mensonge totalitaire n'a pas une finalité machiavélique politique, mais un but religieux : il ne s'agit pas pour les élites dirigeantes d'entraîner l'opinion publique rétive dans une direction politique définie, mais d’obtenir l’adhésion des masses aux élites dirigeantes, suivant un principe de souveraineté populaire où la culture de masse joue un rôle primordial.
On retrouve ce dispositif totalitaire dans l'étiquette de "culture populaire" apposée sur des cultures entièrement produites par les élites dirigeantes ; la ligue de football, de rugby, le cinéma, n'ont rien de « populaires », bien qu’ils exercent leur fascination sur le peuple. Dans le même sens que la ligue de football est « populaire » en Angleterre, l’opium exporté en Chine par l’empire britannique était « populaire ».
Un exemple frappant est la chanson dite "populaire" : son thème est presque toujours amoureux, alors même que l'amour est une invention de la caste supérieure aristocratique, que la bourgeoisie protestante s’est appropriée ultérieurement à travers, notamment, le divorce.
On peut prendre comme une caractéristique de la culture populaire authentique les efforts pour ridiculiser l'amour, ce qui est le cas, par exemple, de nombreux fabliaux du Moyen Âge ou, plus récemment, des romans de L.-F. Céline, peu hallucinogènes, qui ressuscitent ce genre médiéval (« L’amour, c’est l’infini à la portée des caniches. »).
Les quelques essayistes qui ont signalé le caractère nettement sentimental de la culture allemande dans laquelle s'est épanoui le nazisme, ont immédiatement été contredits par des propagandistes libéraux.
Fait sans doute significatif : le théâtre de Shakespeare qui ne cesse de montrer la dimension misanthropique et antisociale de l'amour, a été adapté au cinéma d'une telle façon qu'il semble dire le contraire. S'il est vrai que Sh. exhibe la passion amoureuse dans ses moindres détails, il n'en est pas moins vrai qu'il souligne son impulsion macabre, quasiment carnassière.
La culture gay anarchiste est pratiquement la transposition de l'amour courtois chanté par les troubadours occitans, dont Sh. ne cesse de souligner l'imbécillité. Le crime du Frère Laurence dans "Roméo & Juliette" n'est pas de croire à la folie de l'amour, mais de le cautionner, bien qu'il le sache imbécile, pour un motif supérieur utopique. Il s'agit là exactement de la démarche des élites totalitaires, telle qu'elle est décrite dans "1984" : exciter l’idéalisme dans le peuple afin de mieux le soumettre.
Une des caractéristiques du nazisme selon Orwell, c'est-à-dire du communisme et de la démocratie-chrétienne libérale, est la prohibition de la culture populaire, remplacée par la culture de masse. La culture de masse est, en soi, un signe de permanence du nazisme, c'est-à-dire d'une barbarie émanant du sommet de l'Etat.
Le nationalisme allemand sauvage (l'Allemagne a plus cédé au romantisme que d'autres nations occidentales) est un discours amoureux. Comme l’amour, le nationalisme est aveugle et l’objet de son amour, à la limite, n’existe pas. Le fanatisme nationaliste s'étiole à mesure que l'on s'élève dans la société bourgeoise au profit d'un bovarysme plus individuel, pour ainsi dire "petit bourgeois", typique des leaders nationalistes entre deux conflits. Mais, fondamentalement, le nazisme ou le stalinisme n'est pas moins irrationnel que l'amour petit-bourgeois ; tandis que le bovarysme conduit Emma au suicide, le nationalisme ou le socialisme-révolutionnaire a la même conséquence sur le peuple.
Orwell a provoqué pour crever l'oeil de Big Brother une espèce d'hommes dépourvus à l’âme bornée, capable de résister à la fascination que l'Occident barbare exerce à travers la culture de masse, y compris sur ceux qui l’oppriment et ne peuvent s'empêcher d'adorer Big Brother.