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proust - Page 2

  • Itinéraire bis

    Je ne peux pas m’empêcher de considérer le régime démocratique actuel comme un régime “féminin”. Non pas parce qu’il est plus égalitaire et favorable aux femmes ; de ce point de vue, je ne crois pas que les femmes sont plus dupes du féminisme que les afro-américains ne se font d’illusions sur la véritable nature de l’antiracisme. Mais, plus profondément, parce que la démocratie est un moralisme et un sécularisme. La démocratie est un régime anachronique, archaïsant.

    Les idées qui sous-tendent la démocratie, comme la “fin de l’histoire” ou l’existentialisme, l’évolutionnisme, sont des idées typiquement antiscientifiques. On a l’habitude de définir Nitche, approximativement, comme un philosophe néo-païen assez hétéroclite. C’est d’abord une femme sentimentale. Si on se penchait sur l’éducation que les penseurs existentialistes ont reçue, de Pascal à Proust en passant par Kierkegaard, Freud, Nitche - peut-être faut-il ajouter à la liste saint Augustin et Benoît XVI -, je ne serais pas plus étonné que ça si on découvrait le rôle prépondérant et abusif joué par leurs mères.

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    Bien sûr il y a des exceptions, des femmes révolutionnaires. Simone Weil est le plus bel exemple contemporain qu’on puisse citer, de femme profondément attachée à la science, à l’histoire, à la politique. Née dans un milieu socialiste bourgeois très patriotique, elle a rapidement évolué vers le communisme, puis du communisme vers le christianisme. On peut regretter qu’elle ait alors été confrontée à des interlocuteurs jansénistes, les pères Couturier et Perrin, ou Gustave Thibon.
    Pourquoi Simone Weil a-t-elle hésité à demander le baptême chrétien ? L’explication est ici : le scepticisme chrétien qu’elle rencontre la laisse sceptique, elle qui aime tant la logique.
    La critique de Pascal par Simone Weil est d’ailleurs radicale. Simone Weil a compris que chez Pascal la foi est de l’ordre de l’autosuggestion (comme l’athéisme de Diderot, au passage).

    Ce n’est sûrement pas l’attachement de Simone Weil à ses racines juives qui l’a fait reculer, comme Bergson. Simone Weil n’écrit-elle pas qu’“Il faudrait purger le christianisme de l’héritage d’Israël.”

    Ce genre de déclaration situe la théologie de Simone Weil à l’opposé de celle de Mgr Lustiger, dans laquelle Jésus finit par n’être plus qu’une sorte de prophète judéo-chrétien.
    On comprend aussi pourquoi les curés démocrates-chrétiens préfèrent citer Nitche dans leurs sermons plutôt que Simone Weil ; ils risqueraient de réveiller leurs auditoires qui préfèrent attendre que la grâce leur tombe du ciel comme les tables de la Loi. Simone Weil est aussi politiquement incorrecte qu’Edith Stein et Jeanne Arendt sont insipides.

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    L’antigaullisme de Simone Weil est aussi particulièrement inconvenant à une époque où même les anciens soixante-huitards y vont de leur petite génuflexion au pied de la statue du Général.

    Dans un entretien avec M. Muggeridge de la BBC en 1973 (paru dans la revue Sud, 1990), André Weil, le frère aîné de Simone, fournit des détails sur cet antigaullisme :
    « (…) ce qu’elle détestait par-dessus tout [chez les gaullistes de Londres] était leur intolérance absolue à l’égard de ceux qu’ils appelaient les “collaborateurs” : nombre de ces prétendus collaborateurs étaient des gens parfaitement honnêtes et fréquentables qui faisaient ce qu’ils pouvaient en des circonstances difficiles.
    En fait, ma sœur mentionne dans une lettre qui a été publiée, que les gaullistes la qualifiaient de “pétainiste”, et vice-versa. Il était fatal qu’elle fût en mauvais terme avec presque tout le monde - elle en avait une vieille habitude. Tous la considéraient comme une vieille ennemie car elle les perçait à jour très vite. »

    On imagine le scandale que provoqueraient les propos d’André Weil aujourd’hui, après trente-cinq ans de “progrès démocratique”, s’ils étaient tenus dans un grand média comme la BBC. Difficile de donner des leçons de liberté aux Chinois dans ces conditions.

  • Contre Proust

    Marx n'aimait pas Chateaubriand, qu'il situe justement entre Voltaire et le romantisme dégoulinant de sentiments. Il aurait détesté Proust.

    Proust anticipe en effet cette véritable haine du bourgeois pour la critique et son adoration symétrique de la philosophie, véritable "procès" de justification. La seule fois de son existence bourgeoise où Proust a du nerf, il attaque Sainte-Beuve, qui incarne la critique.

    L'archaïsme vendu pour de la modernité, le vieux vendu pour du neuf, c'est tout Proust et le régime bourgeois libéral à la fois.

    En outre, la critique bourgeoise traduit le principe selon lequel "On ne fait pas d'art avec de bons sentiments", appliqué par Barbey, en : "Seul un menteur ou un hypocrite peut faire un bon artiste."

    Je confesse ce péché de jeunesse qu'étant lycéen j'ai aimé lire Proust. Deux ou trois cent pages, pas plus. C'était pour moi alors comme de la "confiture de groseilles", preuve que j'avais quand même conscience du côté fade et écœurant de Proust. Et puis j'étais fasciné par l'habileté de Proust à dévider sa grosse pelote de phrases ; une dextérité de tapissier persan. Désormais, tant qu'à prendre, je préfère une belle carpette à Proust.

    "Dante et Shakespeare sont soucieux, vraiment très soucieux de la morale et de la justice économique. Les écrivains purement sensuels et dilettantes ne s'en soucient pas du tout. Tout ce souci de la morale donne une dimension à l'oeuvre des premiers. Dimension qui distingue la grande littérature, la littérature profonde, de la décadence."

    Ce critère n'est pas de Marx mais de Pound (In : "Broletto", n°36), qui perpétue miraculeusement le combat humaniste de Marx. "Miraculeusement" vu qu'Ezra Pound est natif de l'Idaho.

  • Contre Proust

    J’ai oublié de parler d’un bouquin bizarre… Contre Proust, qui a tort de croire qu’un bon écrivain fait forcément un bon critique - tout le monde n’a pas la sagacité de Chardonne -, comme Sainte-Beuve je me passionne pour les biographies d'écrivains dignes de ce nom.
    Proust démontre qu’on peut être assez bête, avoir assez mauvais goût (le Ritz, Vermeer), et faire néanmoins un poète potable, bien qu’un peu irritant à la longue. On peut dire n’importe quoi mais le dire avec de belles phrases. Il n’est pas le seul dans ce cas ; Claudel aussi sur la peinture a dit n’importe quoi, placé José-Maria Sert au-dessus de Jordaens (!), mais il a dit ça de façon magnifique, c’est toujours mieux que de dire n’importe quoi dans un style administratif.

    Les démocrates, qui conçoivent mal l’ambiguïté et le paradoxe, ont du mal à comprendre Proust, en quoi il est décadent par rapport à Sainte-Beuve dans sa critique d'art, ou même Delacroix et Baudelaire (Cf. Guillaume Durand parlant de Proust, pour les amateurs d'effets comiques forts.)

    Bref, désireux d'en savoir un peu plus sur Marx tout en évitant les idioties de cette tête de moineau de Jacques Attali, je me suis rabattu sur le bouquin de Jean-Jacques Marie, de la “Quinzaine littéraire”, une étude consacrée aux pérégrinations de Karl Marx à travers l’Europe, sous-titrée “Le Christophe Colomb du capital”.
    Jusque-là rien d’anormal, la couverture du bouquin est même d’un rouge on ne peut plus banal. Mais on voit bien vite que ce Jean-Jacques Marie, même s’il est plus pertinent qu’Attali - pas difficile -, est presque aussi gonflé !
    Guillaume Durand, Jacques Attali, Jean-Jacques Marie : trois exemples qui montrent qu’en démocratie, c’est le culot qui est la vertu du monde la mieux partagée. Plus c’est gros plus ça passe.

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    D’abord le bouquin est sponsorisé par LVMH. Oui, la LVMH de Bernard Arnault, ce capitaliste arrogant qui collectionne les gadgets d’art contemporain, indirectement Bernard Arnault sponsorise Karl Marx, sans le savoir probablement, car les capitalistes ne savent pas exactement ce qu’ils font ni ce qu’ils disent.

    Ensuite, par-ci, par-là, au détour d’un chapitre, Jean-Jacques Marie, qui est trotskiste, en profite pour charger Staline de tous les crimes soviétiques. Comme si l’implication de Trostski n’était pas parfaitement connue des historiens désormais. S’il y a bien quelqu’un qui ne fait pas table rase du passé, c’est bien Karl Marx avec sa méthode historique, et c’est bien pour ça que les communistes l’ont escamoté, vu leur passé politique peu reluisant.

    Troisièmement, et ça c’est typique de l’arnaque capitaliste où on soigne l’emballage pour vous vendre n’importe quoi dedans : cette collection sponsorisée par un fabricant de bagages en skaï et d'eau de Cologne de synthèse, est consacrée aux écrivains-voyageurs, alors que Marx détestait voyager ; il ne l’a fait que sous la menace d’être déporté dans le Morbihan, plein de remugles en ce temps-là, ou sous le coup de bannissements, ou pour réclamer un peu d’argent à des parents.
    (Une parenthèse pour signaler que la pauvreté a suscité au XIXe les deux penseurs qui ont pénétré le plus avant les mystères de l’argent et des relations du peuple juif à l’argent, Karl Marx et Léon Bloy ; Bloy qui reproche par ailleurs à une partie du clergé de maintenir le peuple catholique dans une sorte d’état de léthargie ou de conformité aux dogmes du libéralisme.)
    Jean-Jacques Marie explique bien en quoi Marx n’est jamais si heureux que dans une bibliothèque ; il est polyglotte mais c’est pour mieux lire les auteurs étrangers dans le texte. Sans bouger de Londres, Marx voyage dans le monde entier.
    Ça va contre le préjugé actuel selon lequel il faut se rendre sur place pour avoir un point de vue supérieur. Petits détours de BHL en Yougoslavie, en Amérique.
    On pense à tous ces reporters qui sont allés en Union soviétique et en ont ramené des images pieuses.
    On pense à E. Waugh, véritable écrivain-voyageur, lui, et à son roman, Scoop, où il brosse un portrait réaliste du milieu des journalistes-reporters.
    (Scoop : ce titre de Waugh a été repris par un minable paparazzi français de Paris-Match pour faire l’éloge de son métier crapuleux avec un culot monstrueux… encore ce fameux culot.)
    En quelque sorte, Marx, c’est l’antitouriste. Vu que Londres est l’épicentre du capitalisme, autant s’y tenir et éviter de papillonner à droite à gauche.

    Cette contradiction-là de Jean-Jacques Marie n’est pas la plus gênante, évidemment, surtout si on se fie à l’instinct critique de Sainte-Beuve pour comprendre une œuvre plutôt qu'aux sophismes de Proust. À cet égard les voyages de Marx sont instructif sur sa méthode.