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gustave thibon

  • Thibon l'Imposteur

    C'est plus ou moins une saloperie que l'introduction de Simone Weil par le paysan Gustave Thibon ("La Pesanteur et la Grâce"). Pour ne pas trop charger la mule Thibon qui a déjà contre lui de ne pas croire en Dieu (c'est là que mène Pascal et aux pirouettes de Jean Guitton, Nitche ou Sartre), je me contenterai de la formule suivante : la Simone Weil marxiste est plus chrétienne que la Simone Weil "convertie au christianisme".

    Car Simone Weil est l'anti-Nitche ou l'anti-Maurras, et c'est déjà beaucoup. Quand ces nostalgiques de la Rome antique, dans laquelle les chrétiens les plus sérieux ont vu qu'il se tramait quelque chose de babylonien, quand ils sacrifient Dieu à la religion, Simone Weil, elle, a la sagesse de préférer tenir la religion pour beaucoup plus suspecte.

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    Dès ses "Causes de l'oppression" Simone fournit en effet la raison générale du paganisme, l'ancien et le nouveau, qui permet de comprendre comment, visant "par-delà bien et mal", Nitche est tombé sous le niveau de la ceinture, bien en-deçà du bien et du mal. Le paganisme est essentiellement politique et moral, démontre Simone Weil. En outre, si Nitche s'était donné la peine de lire les auteurs français au lieu de les piller, il aurait pu voir que même un poète romantique comme Baudelaire souligne l'ambiguïté profonde de la morale. La loi darwinienne de la jungle, mise au service du national-socialisme et du capitalisme (R.P. Bruckberger : "Le capitalisme, c'est la vie."), cette loi n'est que le revers du sophisme chrétien de la "loi naturelle", parfaitement réversible comme toutes les idéologies.

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    Que l'idée "d'éternel retour" plane au-dessus de la tête de Darwin, tout comme l'idée du "struggle for life" plane au-dessus de la tête de Nitche, cela se comprend en effet sous l'angle des mathématiques. Le malthusianisme qui fonde le "struggle for life" est statistique, et la statistique (cf. Descartes) pose le principe de l'éternel retour (que le jour se lèvera demain est le "maximum" de la probabilité comme son "minimum" : c'est ce qui rend la statistique inadéquate à la science pour un savant matérialiste comme Aristote ; et explique aussi pourquoi le risque de perturbations climatiques majeures sème la panique dans le sérail des polytechniciens élevés en batterie, héritiers putatifs de Pascal dont Jacques Attali reproduit à merveille les airs de cartomancienne.) Grâce soit rendue à Simone d'avoir fustigé la grande truanderie intellectuelle de la polytechnique en la personne de Max Planck !

    Par ailleurs où Darwin trahit encore sa "raison" puritaine, morale, c'est dans sa conception mécanique de l'homme, en termes de fonctionnalité (le "bipédisme"). Là encore on est très proche de Descartes et de son animal mécanique. On peut aussi bien comme M. Pastoureau sur la foi des organes (et donc de l'âme) rapprocher l'homme du cochon. L'homme ne se résume pas au fait de déambuler. Tiens, à ce propos, comment se fait-il que je pense tout d'un coup à Oedipe, ce tyran qui fascine tant les "judéo-chrétiens" de toutes confessions ?

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    Dès lors il faut se demander comment le pape Ratzinger peut trancher en faveur de Darwin contre François Bacon (in : "Spes salvi"), son exact contraire ?

    Quiconque est un tant soit peu familier de la science, sans même être persuadé comme je le suis que François Bacon et Shakespeare ne forment qu'un seul et même dessein, peut voir en effet que la science de Bacon, fondée sur la sagesse des Anciens, sa théorie de la dérive des continents en particulier, mais pas seulement, est RADICALEMENT incompatible avec la science de Darwin, imprégnée de cartésianisme et de science physiocratique (l'éparpillement de la science est opposé au rapprochement que les analogies de l'induction vraie selon Aristote ou Bacon permettent).

    Et non seulement commettre une telle erreur, mais la préfacer du mensonge historique éhonté selon lequel la foi et la science seraient deux savoirs bien distincts, quand la science mathématique dominante est, a été, et ne peut être que la science la plus religieuse qui soit ? Quand par exemple Leibnitz et les acolytes de Newton se perdent en ratiocinages interminables pour savoir lequel des deux est le plus conforme à la Genèse ? (mensonge de la neutralité propagé aussi par Claude Allègre et qui suffit à le discréditer en tant que savant, et sans doute avec l'aplomb le plus formidable par le britannique R. Dawkins, équivalent des frères Bogdanoff dans le domaine du transformisme, sans que cela excuse en rien le(s) pape(s) - Jean-Paul II a trempé dans les mêmes balivernes).

    Mensonge doublé de l'hypocrisie qui consiste à poser un verdict dans le domaine scientifique juste après avoir exclu -chose impossible en réalité- la science du domaine de l'espérance, de la foi et de la charité.

  • Itinéraire bis

    Je ne peux pas m’empêcher de considérer le régime démocratique actuel comme un régime “féminin”. Non pas parce qu’il est plus égalitaire et favorable aux femmes ; de ce point de vue, je ne crois pas que les femmes sont plus dupes du féminisme que les afro-américains ne se font d’illusions sur la véritable nature de l’antiracisme. Mais, plus profondément, parce que la démocratie est un moralisme et un sécularisme. La démocratie est un régime anachronique, archaïsant.

    Les idées qui sous-tendent la démocratie, comme la “fin de l’histoire” ou l’existentialisme, l’évolutionnisme, sont des idées typiquement antiscientifiques. On a l’habitude de définir Nitche, approximativement, comme un philosophe néo-païen assez hétéroclite. C’est d’abord une femme sentimentale. Si on se penchait sur l’éducation que les penseurs existentialistes ont reçue, de Pascal à Proust en passant par Kierkegaard, Freud, Nitche - peut-être faut-il ajouter à la liste saint Augustin et Benoît XVI -, je ne serais pas plus étonné que ça si on découvrait le rôle prépondérant et abusif joué par leurs mères.

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    Bien sûr il y a des exceptions, des femmes révolutionnaires. Simone Weil est le plus bel exemple contemporain qu’on puisse citer, de femme profondément attachée à la science, à l’histoire, à la politique. Née dans un milieu socialiste bourgeois très patriotique, elle a rapidement évolué vers le communisme, puis du communisme vers le christianisme. On peut regretter qu’elle ait alors été confrontée à des interlocuteurs jansénistes, les pères Couturier et Perrin, ou Gustave Thibon.
    Pourquoi Simone Weil a-t-elle hésité à demander le baptême chrétien ? L’explication est ici : le scepticisme chrétien qu’elle rencontre la laisse sceptique, elle qui aime tant la logique.
    La critique de Pascal par Simone Weil est d’ailleurs radicale. Simone Weil a compris que chez Pascal la foi est de l’ordre de l’autosuggestion (comme l’athéisme de Diderot, au passage).

    Ce n’est sûrement pas l’attachement de Simone Weil à ses racines juives qui l’a fait reculer, comme Bergson. Simone Weil n’écrit-elle pas qu’“Il faudrait purger le christianisme de l’héritage d’Israël.”

    Ce genre de déclaration situe la théologie de Simone Weil à l’opposé de celle de Mgr Lustiger, dans laquelle Jésus finit par n’être plus qu’une sorte de prophète judéo-chrétien.
    On comprend aussi pourquoi les curés démocrates-chrétiens préfèrent citer Nitche dans leurs sermons plutôt que Simone Weil ; ils risqueraient de réveiller leurs auditoires qui préfèrent attendre que la grâce leur tombe du ciel comme les tables de la Loi. Simone Weil est aussi politiquement incorrecte qu’Edith Stein et Jeanne Arendt sont insipides.

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    L’antigaullisme de Simone Weil est aussi particulièrement inconvenant à une époque où même les anciens soixante-huitards y vont de leur petite génuflexion au pied de la statue du Général.

    Dans un entretien avec M. Muggeridge de la BBC en 1973 (paru dans la revue Sud, 1990), André Weil, le frère aîné de Simone, fournit des détails sur cet antigaullisme :
    « (…) ce qu’elle détestait par-dessus tout [chez les gaullistes de Londres] était leur intolérance absolue à l’égard de ceux qu’ils appelaient les “collaborateurs” : nombre de ces prétendus collaborateurs étaient des gens parfaitement honnêtes et fréquentables qui faisaient ce qu’ils pouvaient en des circonstances difficiles.
    En fait, ma sœur mentionne dans une lettre qui a été publiée, que les gaullistes la qualifiaient de “pétainiste”, et vice-versa. Il était fatal qu’elle fût en mauvais terme avec presque tout le monde - elle en avait une vieille habitude. Tous la considéraient comme une vieille ennemie car elle les perçait à jour très vite. »

    On imagine le scandale que provoqueraient les propos d’André Weil aujourd’hui, après trente-cinq ans de “progrès démocratique”, s’ils étaient tenus dans un grand média comme la BBC. Difficile de donner des leçons de liberté aux Chinois dans ces conditions.

  • Foi et raison

    Parmi les fausses sciences qui prolifèrent sur le terreau démocratique, l’évolutionnisme, l’astrologie, la psychanalyse, l’homéopathie, la prospective économique et financière malthusienne, l’épistémologie kantienne, il en est une d’un genre un peu particulier : la statistique. Sa rigueur mathématique fait qu’en tant que telle, dans l’absolu, la statistique n’est pas entachée d’erreur, mais sa complexité, notamment la difficulté d’établir un protocole d’enquête rigoureux et la difficulté d’interpréter des résultats statistiques, font de la statistique une fausse science “par destination”, en quelque sorte - d’autant plus que les statisticiens et autres épidémiologistes ne sont pas forcément ce que l’université produit de plus subtil. Le crétinisme démocratique revêt souvent une apparence très sérieuse.

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    Les sondages sur la sexualité des Français sont l’illustration parfaite de ce que je veux dire. On a ainsi forgé de toutes pièces, sur la foi d’une collection de témoignages plus que douteux, le mythe d’une sexualité libérale épanouie ; qu’est-ce qu’une sexualité libérale d’après la propagande ? Une sexualité qui commence tôt, de plus en plus tôt, faite de rencontres enrichissantes autant qu'épanouissantes multiples, dans le confort et la sécurité que procure la capote anglaise, sur une musique de boîte de nuit. S’il y a bien un fétiche bourgeois et capitaliste, au passage, c’est la capote anglaise, avec ou sans “réservoir”.

    Il semble que la réalité sexuelle soit très différente du rêve des publireportages financés par l’industrie parapharmaceutique. Le succès commercial du préservatif n’a pas l’ampleur désirée, malgré les efforts rhétoriques déployés pour convaincre qu’il “améliore” la relation sexuelle et la relation tout court. La peur du sida qu’on agite a plutôt pour effet de dissuader de pas si jeunes filles, qui détiennent la clef de leur petit paradis bourgeois, de copuler. Quant aux gonzes, on a beau leur répéter qu’enfiler une capote dès le premier coït est un authentique acte d’amour moderne, beaucoup restent imperméables à cette charité d’un genre nouveau. L’industrie pornographique florissante est là pour leur procurer une sexualité par procuration et combler leur appétit insatisfait de top-modèles décharnés dans le genre de Carla Bruni.
    En gros quelques queutards patentés, qui s’acharnent sur les corps de quelques collégiennes déssalées, masquent une forêt de branleurs frustrés.
    Les néocolonialistes voudraient imposer ce “modèle” de société à l’Afrique : c’est vouloir imposer aux Africains plus de puritanisme encore que l’Occident capitaliste n’est capable d’en supporter lui-même ! On pourrait au moins attendre que les foyers africains soient connectés à l’internet…


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    La somme de toutes ces fausses sciences, de toutes ces supersititions modernistes, forme une sorte de nouveau paganisme “des villes”, par rapport au vieux paganisme “des champs”, qu’un catholique, qui plus est s’il est marxiste, ne peut que considérer avec mépris.
    L’Eglise catholique, plutôt bonne fille, a toujours fait preuve d’une certaine indulgence vis-à-vis du paganisme ancien, qui renferme une certaine poésie “naturaliste”, de Virgile à Rousseau en passant par Montaigne, La Fontaine, jusqu’à Maurras ou Gustave Thibon si on veut. Mais avec le paganisme ubuesque des villes, celui de Darwin, Nitche ou Heidegger, on passe la mesure de ce qui est tolérable pour la foi et la raison, c’est-à-dire pour l’humanité, pour reprendre un terme que Luc Ferry et BHL n’ont pas fini de galvauder impunément.