Retour sur ma précédente note dédiée à Marx et la prostitution : cette note permet de comprendre pourquoi l'institution ecclésiastique est figurée dans l'apocalypse sous les traits d'une prostituée, au point de stupéfier l'apôtre Jean. C'est donc à cause de la triple 1/idéalisation de la sexualité ; 2/idéalisation du travail ; 3/idéalisation du droit, opérée par l'institution ecclésiastique contre l'Esprit de Dieu.
(Porteuse des mêmes valeurs, la République n'est qu'une petite putain secondaire.)
- Attribuée mensongèrement au christianisme (l'essayiste Pascal Bruckner), l'idéalisation de la sexualité est une des fonctions principales du sacerdoce païen dans l'Antiquité. S'il n'est pas le seul, Shakespeare est le meilleur témoin de cette idéalisation démoniaque, dont il nous livre toutes les clefs, en particulier dans "Roméo et Juliette", pièce totalement énigmatique si l'on se place sur le terrain culturel où le christianisme n'est pas enraciné. A la subversion du christianisme, Shakespeare oppose la subversion de la culture dans toutes ses pièces.
Bien sûr, on trouvera une logique proche de la part de tous les théologiens chrétiens qui font l'effort minimum de rapporter leur propos aux Saintes Ecritures. Si l'on prend le cas d'Augustin d'Hippone, pourtant assez largement ésotérique, et dont la théologie est la plus éloignée des paraboles de Shakespeare, bien sûr il ne saurait être question pour Augustin, en aucune manière, d'"érotisme chrétien", faute de quoi Augustin ne serait qu'un rigolo de kermesse démocrate-chrétien, un abolitionniste du péché originel, et l'ésotérisme d'Augustin ne va pas jusque-là*.
- L'exemplarité de Shakespeare tient à ce qu'il ne verse jamais dans la psychologie ou l'éthique, pour se situer toujours au niveau de l'histoire, suivant la recommandation de l'apôtre Paul, en quoi nous pouvons aussi voir dans Shakespeare un ange, qui n'a bien sûr rien de "docte". "Roméo et Juliette" est donc une pièce historique, qui à travers l'histoire de deux petits crétins enamourés (on pourrait fort bien placer le mariage gay sous le patronnage de "saint Roméo"), décrit le destin tragique de l'Occident, et donne la raison de celui-ci pour sublimer la bêtise avec une constance inoxydable, sous le vocable de la culture, trépanation de l'âme de l'homme du peuple. Shakespeare dévoile le mysticisme complètement truqué de la culture médiévale. Comme la culture, dans des décors et des costumes différents, n'est que recyclage des viles passions humaines, Shakespeare sait que sa mythologie résistera à l'outrage des siècles.
- Arrêtons-nous ensuite sur Emmanuel Swedenborg. Son explication de la figure de la prostituée est analogue de celle de Shakespeare. De façon plus générale et complémentaire, Swedenborg précise le sens du mot "fornication" dans le vocabulaire chrétien. Il diffère du sens que lui donne la culture païenne ou l'éthique, ainsi que les pharisiens qui ont condamné à mort Jésus. Pour les pharisiens, Jésus est un fornicateur, tandis que pour Jésus, ce sont les pharisiens qui le sont. Pour les pharisiens, la fornication est la sexualité illégale, qui justifie à leurs yeux qu'une femme adultère soit lapidée. Jésus, lui, ne condamne pas la sexualité ou la chair directement, car cela reviendrait à anéantir l'homme et le priver du jugement dernier, que les justes n'ont pas à redouter.
- C'est l'éthique sexuelle qui, dans le christianisme, est condamnée sous le vocable de la fornication, c'est-à-dire le péché véhiculé par la prostituée - autrement dit, l'idée qu'il y a une bonne et une mauvaise sexualité, idée qui constitue l'axe du droit et évolue au gré de l'intérêt de telle ou telle société. C'est cette sacralisation, ce sacrement-là que le christianisme ne tolère pas et qu'il désigne comme la fornication, parce qu'il opère la scission de l'humanité avec dieu, en le réduisant à une idole domestique. Sodome et Gomorrhe sont moins éloignées de dieu que Jérusalem, si celle-ci ourdit contre dieu un idéal social plus pur que celui des païens. A cet égard, les musulmans qui croient que la démocratie libérale est immorale commettent une lourde erreur (la même erreur que l'antichrist Nitche) ; l'effacement de dieu est le résultat même du processus moral, d'une part, et le libre-échangisme sexuel, plus ou moins organisé, a un caractère sacramentel dans le droit libéral. On peut dire que l'attrait religieux du libéralisme excède celui de toutes les autres religions. On ne peut s'opposer au cannibalisme libéral par où il a triomphé : l'idéalisation de la sexualité, du travail et du droit.
- Et Jésus d'expliquer -déjà- aux pharisiens comment ils ont perverti la loi de Moïse en restaurant le plan de la morale pure égyptienne, s'asseyant ainsi sans vergogne sur la conscience historique conférée aux hommes par dieu par l'intermédiaire de Moïse. Le faux juif S. Freud, pour s'en démarquer, définit le judaïsme comme "l'invention de Moïse" ; en dépit de son athéisme, cette définition est assez juste ; on peut la préciser encore en disant que l'essentiel de l'ancien testament est dans la conscience historique (opposée à l'inconscient freudien totalitaire), conscience confirmée par l'apôtre Paul, qui fait définitivement table rase de la morale, privant toute spéculation sur l'éthique ou l'identité juive de fondement (pour ne pas dire qu'il la relègue dans les limbes du ridicule, puisque le paganisme de Freud est moins illogique). L'antisémitisme, lorsqu'il est cohérent, ce qui est assez rare, vise bel et bien la conscience historique. Le judaïsme est insoluble dans la culture ; le christianisme, encore plus.
*Plus marqué que celui de Thomas d'Aquin, l'ésotérisme d'Augustin réside dans son néo-platonisme.