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Exotisme

Aux catholiques et aux communistes attachés à l’idée de science et de progrès vers la vérité s’oppose l’argument païen de l’éternel retour du soleil après la pluie et du printemps après l’hiver. Cette idéologie climatique, horizontale, devrait conduire à l’optimisme et ôter toute angoisse aux païens désormais ultra-majoritaires en Occident (l’idéologie démocrate-chrétienne est très proche du paganisme, l'“américanisme” primaire des démocrates-chrétiens le prouve, qui équivaut à la perte de toute conscience politique et artistique).
Au lieu de ça, curieusement, le païen est plutôt mélancolique qu’optimiste. Ce qui devrait le rassurer l’inquiète.

(Au passage j’en profite pour redire l’extrême stupidité de la thèse d’un pseudo prof de lettres, Antoine Compagnon, qui classe les auteurs en deux catégories, “modernes” et “antimodernes”, sans tenir compte de critères politiques assez élémentaires ni de l’évolution de la querelle des anciens et des modernes ; pour qualifier Rousseau, Baudelaire (!), Barbey d’Aurevilly, Céline, d’”antimodernes”, il faudrait démontrer que ces auteurs sont hostiles à l’idée de progrès et non qu’ils sont hostiles à l’idéologie dominante depuis le XIXe siècle. Cette thèse est quasiment “orwellienne”, qui revient à démontrer de manière totalement subjective et amphigourique que tous les écrivains dissidents sont à contresens de l’histoire.)

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Ce qui me frappe en tant que catholique c’est la dégradation de la littérature païenne. Autant La Fontaine, La Rochefoucauld, Diderot, impressionnent par la limpidité de leurs styles et leurs saillies, autant les auteurs païens plus récents craquent sous la dent comme une viande trop cuite. Je ne parle même pas de Nitche, qui me fait penser à ces cocktails improbables qu’on sert dans les bars américains ! Paul Valéry, il préfigure Finkielkraut, on a envie de lui botter les fesses ; Cioran fait vite l’effet d’un rabâchage ; la mélancolie, c’est comme un chewing-gum, on ne la mâche pas deux fois. Tant qu’à traduire les moralistes français, autant les traduire en roumain.
Le cas de Céline est un peu à part, vu qu’il est à la fois païen, communiste, nazi, anarchiste et “bloyen”, c’est sans doute en partie ce qui fait sa force.

Un tournant dans la mentalité païenne, c’est Darwin. L’amalgame entre l’idéologie climatique horizontale et l’évolution verticale de Darwin. C’est ce qui rend Nitche aussi bouffon, il ne sait pas sur quel pied danser ce Bacchus de salon de thé. Même le matérialisme de Diderot, emprunté à Lucrèce, coïncide mieux avec l’idée de cycle. En somme c’est l’idée de hasard, d’imprévu, à laquelle les néo-darwiniens sont revenus, après l’effondrement de la théorie de Darwin.
On comprend pourquoi le vieux paganisme bénéficiait de l’indulgence des autorités catholiques, ainsi que de Marx.
Benoît XVI ne devrait faire aucune concession, en revanche, au paganisme contemporain, complètement délirant et dépourvu de poésie. Lorsqu’un membre est gangrené, on le coupe, comme le figuier qui ne donne pas de figues.
Je me sens de plus en plus isolé au milieu des païens, étranger dans mon propre pays, et parfois je rêve, comme Bernanos, d’exil en Amérique du Sud, à Cuba, ou en Afghanistan au milieu des Talibans, ou bien à Moscou où l’avenir est peut-être en train de se jouer.

Commentaires

  • Un fameux exemple est le néologisme quinien de gavagai, qui désigne à première vue chez l’indigène, un lapin. L’indigène qui pointe pour le visiteur un lapin en disant "gavagai" veut dire : lapin ! Mais le mot gavagai veut-il dire "lapin" ou bien "partie non détachée de lapin" ? Quine nous dit que "nous ne pourrons jamais élucider la question par ostension". On aura beau pointer plusieurs fois le lapin en disant "gavagai", on ne saura jamais si l’on parle du lapin entier ou d’une partie seulement. D’après lui, "lapin" est un "terme à référence divisée", contrairement, par exemple, au mot "sépia", qui est un "terme de masse, comme "eau" ". D’où la question métaphysique : "où cesse un lapin et où un autre commence" ? Le fait que nous ne puissions nous décider à traduire gavagai par "lapin", "partie non détachée de lapin" ou "segment temporel de lapin", est appelé par Quine "l’indétermination de la traduction". Celle-ci est laissée au bon vouloir du récepteur. Personne ne peut décréter de quelle sorte de lapin il s’agit. Quine nomme cette caractéristique du langage, l’ "incrustabilité de la référence" (une expression bien disgracieuse). Pourtant, il suffirait de produire un lapin devant l’indigène, de le désigner en son ensemble, et de demander, tandis que l’on commence à le dépouiller, jusqu’où il s’agit encore d’un lapin.

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