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barbey d'aurevilly

  • Dans la Matrice

    "Le plaisir est le bonheur des fous."

    Mot d'esprit plein de sagacité et d'actualité (de Barbey d'Aurevilly).

    En effet, l'aliénation est désormais le principe d'asservissement des masses à l'appareil d'Etat, de sorte que l'aliénation de chaque citoyen est encouragée de toutes parts, sous la forme de slogans ou d'exercices pratiques plus crétins les uns que les autres.

    C'est pourquoi le plaisir est une chose sacrée dans les régimes totalitaires.

    Nous devons considérer la société de consommation comme une société plus totalitaire que les régimes soviétiques ou nazis (où la notion de plaisir est déjà importante bien qu'elle soit moins apparente).

    Nous cherchons ici à définir un critère permettant à un citoyen lambda de prendre conscience de son aliénation. La consécration du plaisir est un de ces critères ; on voit, par exemple, à propos d'un sujet aussi sérieux que l'éducation et l'instruction publiques, que les représentants de l'institution chargée d'inculquer les principes de base dans ces domaines estiment impératif d'y introduire la notion de plaisir. L'enseignement et l'éducation doivent être "ludiques" ; ce leitmotiv stupide est quasiment de nature religieuse.

    Ainsi que l'indique notre critique littéraire, la quête du plaisir est une quête du bonheur désordonnée. Sous-entendu : pour un homme heureux, le plaisir est une chose méprisable, comme le hasard.

    En comparaison du bonheur, le plaisir a la particularité d'être sans limites. Bien plus encore que le bonheur, le plaisir est représentatif d'un absolu. Il arrive que des personnes disent mépriser le bonheur au nom d'un idéal dont un plaisir abstrait est la seule concrétisation potentielle.

    La frontière entre le plaisir et la mort est quasiment inexistante. Cela permet de caractériser la culture occidentale totalitaire comme une culture ultra-religieuse, fanatique et barbare.

    Les moralistes réactionnaires, soucieux de la vertu du peuple, et plus encore des élites dirigeantes, voient dans le christianisme la cause principale de la folie moderne. En effet, du point de vue évangélique, bonheur et salut sont deux choses parfaitement distinctes. Or les évangiles parlent exclusivement du salut et non de questions sociales, pour lesquelles Jésus-Christ et les apôtres (Paul) manifestent un profond mépris, à l'inverse des prêtres des religions païennes.

    Néanmoins, les évangiles n'accordent aucune valeur à la souffrance et à la douleur en tant que telles non plus, contrairement à ce que certains philosophes réactionnaires insinuent. Si on lit attentivement les évangiles, on verra que Jésus-Christ ne va pas au-devant de la douleur, il ne la recherche pas. Ce sont les assassins et les bourreaux de Jésus-Christ qui complotent pour le faire arrêter, y parviennent, puis le torturent à mort.

    Du point de vue chrétien, le plaisir est le point le plus éloigné de la métaphysique, comme la mort elle-même. Cette distanciation est étrange, car elle défie la raison humaine elle-même. On peut le constater : la culture occidentale totalitaire échappe au contrôle de ses élites elles-mêmes, qui ne dirigent plus grand-chose, bercés qu'ils sont par les flux et reflux monétaires.

    A moins d'estimer l'homme plus bête que l'animal, cette fuite éperdue loin de la métaphysique apparaît au chrétien comme une ruse de Satan.

    Les écritures saintes, prophétiques et qui ont toujours "un coup d'avance" sur les complots humains politiciens, enseignent que le piège tendu par Satan aux hommes finira par se retourner contre lui. 

  • Exotisme

    Aux catholiques et aux communistes attachés à l’idée de science et de progrès vers la vérité s’oppose l’argument païen de l’éternel retour du soleil après la pluie et du printemps après l’hiver. Cette idéologie climatique, horizontale, devrait conduire à l’optimisme et ôter toute angoisse aux païens désormais ultra-majoritaires en Occident (l’idéologie démocrate-chrétienne est très proche du paganisme, l'“américanisme” primaire des démocrates-chrétiens le prouve, qui équivaut à la perte de toute conscience politique et artistique).
    Au lieu de ça, curieusement, le païen est plutôt mélancolique qu’optimiste. Ce qui devrait le rassurer l’inquiète.

    (Au passage j’en profite pour redire l’extrême stupidité de la thèse d’un pseudo prof de lettres, Antoine Compagnon, qui classe les auteurs en deux catégories, “modernes” et “antimodernes”, sans tenir compte de critères politiques assez élémentaires ni de l’évolution de la querelle des anciens et des modernes ; pour qualifier Rousseau, Baudelaire (!), Barbey d’Aurevilly, Céline, d’”antimodernes”, il faudrait démontrer que ces auteurs sont hostiles à l’idée de progrès et non qu’ils sont hostiles à l’idéologie dominante depuis le XIXe siècle. Cette thèse est quasiment “orwellienne”, qui revient à démontrer de manière totalement subjective et amphigourique que tous les écrivains dissidents sont à contresens de l’histoire.)

    *

    Ce qui me frappe en tant que catholique c’est la dégradation de la littérature païenne. Autant La Fontaine, La Rochefoucauld, Diderot, impressionnent par la limpidité de leurs styles et leurs saillies, autant les auteurs païens plus récents craquent sous la dent comme une viande trop cuite. Je ne parle même pas de Nitche, qui me fait penser à ces cocktails improbables qu’on sert dans les bars américains ! Paul Valéry, il préfigure Finkielkraut, on a envie de lui botter les fesses ; Cioran fait vite l’effet d’un rabâchage ; la mélancolie, c’est comme un chewing-gum, on ne la mâche pas deux fois. Tant qu’à traduire les moralistes français, autant les traduire en roumain.
    Le cas de Céline est un peu à part, vu qu’il est à la fois païen, communiste, nazi, anarchiste et “bloyen”, c’est sans doute en partie ce qui fait sa force.

    Un tournant dans la mentalité païenne, c’est Darwin. L’amalgame entre l’idéologie climatique horizontale et l’évolution verticale de Darwin. C’est ce qui rend Nitche aussi bouffon, il ne sait pas sur quel pied danser ce Bacchus de salon de thé. Même le matérialisme de Diderot, emprunté à Lucrèce, coïncide mieux avec l’idée de cycle. En somme c’est l’idée de hasard, d’imprévu, à laquelle les néo-darwiniens sont revenus, après l’effondrement de la théorie de Darwin.
    On comprend pourquoi le vieux paganisme bénéficiait de l’indulgence des autorités catholiques, ainsi que de Marx.
    Benoît XVI ne devrait faire aucune concession, en revanche, au paganisme contemporain, complètement délirant et dépourvu de poésie. Lorsqu’un membre est gangrené, on le coupe, comme le figuier qui ne donne pas de figues.
    Je me sens de plus en plus isolé au milieu des païens, étranger dans mon propre pays, et parfois je rêve, comme Bernanos, d’exil en Amérique du Sud, à Cuba, ou en Afghanistan au milieu des Talibans, ou bien à Moscou où l’avenir est peut-être en train de se jouer.

  • Ma conversion

    Petit retour en arrière sur ma conversion au marxisme qui date d’il y a deux ans tout au plus. A dire vrai, j’ai toujours eu une conception marxiste de l’art, sans le savoir. J’ai toujours tenu les artistes contemporains pour des valets du capitalisme et l’artiste, au sens noble du terme, comme un artisan politique.
    Mon retard à découvrir Marx, à trente ans passés (!), a plusieurs causes ; un préjugé religieux, d’abord : je croyais que Marx était un de ces athées stupides comme Nitche, à cause des idées assez fausses que le parti communiste propage sur Marx ; alors que Marx et Nitche divergent complètement ! C’est la mort de la philosophie que Marx décrète ou appelle de ses vœux.
    Ce qu’il y a de séduisant au premier abord dans le marxisme pour quiconque a une « disposition artistique », c’est sa cohérence, comparé aux billevesées libérales.
    Les artistes sont amoureux de l’ordre. Il n’y a qu’à regarder une eau-forte de Rembrandt pour le comprendre. Je suis persuadé que ce qui a dégoûté Baudelaire de la révolution, alors qu’il était proche de son principe, c’est l’anarchie qui en découla. Idem pour Delacroix.
    Quand je tombe sur Finkielkraut à la télé, pas plus tard qu’hier soir, j’ai une réaction quasiment épidermique de rejet. Finkielkraut tient à la fois du caméléon, ses vues s’adaptent à celles de son interlocuteur ou aux circonstances, et de l’anguille pour sa façon d’éviter de se mouiller en faveur de tel ou tel, et de la volaille pour son arrogance et sa superficialité. En dernier ressort, lorsqu’il se sent acculé, et n’importe quel sous-réthoricien a les moyens d’engluer Finkielkraut dans sa propre toile, en dernier ressort Finkielkraut n’a qu’un seul argument, racial : « Oui, mais je suis Juif ! ». Au plan ethnologique un cas d’espèce intéressant à condition de surmonter son dégoût. BHL fait figure de Philistin « classique » à côté.
    Mais une telle hybridation, si elle a un côté burlesque « médiéval », est trop révélatrice du degré de médiocrité de l’élite bourgeoise pour prêter à sourire franchement.

    *

    La sûreté du jugement littéraire de Marx n’est pas un mince argument en sa faveur non plus. Shakespeare est une des figures de proue de la bibliothèque de Karl Marx. Au point qu’il fit apprendre par cœur à ses filles des actes entiers de Shakespeare. Les lettres de sa fille Laura sont étonnantes ! On a là l’idée du résultat que peut donner une éducation aristocratique. Quel rapport avec ces mères qui se débarrassent de leurs gosses entre les mains d'instituteurs à demi-savants pour aller glaner un peu d’oseille par ailleurs et qui ont le culot de se plaindre ensuite de  récupérer à la sortie de cette usine à gaz des nouilles mal élevées ? Fossé aussi entre Marx et les bourgeois contemporains qui font lire à leurs enfants des mièvreries comme Harry Potter, « pour leur donner le goût de la lecture », ah, ah ! - bouquins que les gamins en général, pas si cons, s’empressent de refourguer par-derrière en échange de quelques bonbons, quand ce n’est pas un téléphone portable pour singer leurs parents.
    L’exemple de Shakespeare est important car il contient le principal malentendu à propos de Marx, une galéjade en réalité, mais dans la société où nous sommes il faut TOUT expliquer. En effet, de la même manière que Marx, Shakespeare est suspect aux yeux des bourgeois d’être « matérialiste » ou « cynique », alors que c’est l’écrivain le plus spirituel de l’Occident moderne !
    Enthousiasme de Marx pour Balzac également. En ce qui me concerne, je préfère Barbey d’Aurevilly, plus aiguisé à mon avis que Balzac. Mais on reste en famille. Pour être équitable, Marx aimait aussi se distraire avec les enfantillages d’Alexandre Dumas. Comme quoi nul n’est parfait, même pas Marx.

  • Confluent

    Baudelaire et Marx ont en commun la détestation de la classe bourgeoise. Pour des raisons convergentes. La pensée réactionnaire française et le marxisme sont deux fleuves faits pour se rencontrer. L’idéologie communiste a contribué à l’occulter pendant longtemps. L’idéologie démocratique a pris le relais, avec pour slogan : « Marx et les réactionnaires sont dépassés, ils sentent le moisi. »
    C’est tout juste si les démocrates savent lire et ils prétendent pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie ?

    Comment un marxiste peut-il regarder l’art contemporain capitaliste de Pinault et Arnault autrement qu’avec mépris, autrement que comme le produit d’une politique, d’une civilisation décadente, autrement que comme Delacroix, Baudelaire, Barbey d'Aurevilly, Bloy, Villiers-de-l’Isle-Adam l’ont deviné ?
    Les artistes contemporains ne cessent de clamer leur liberté, leur créativité. Il suffit de creuser un peu pour voir qu’on a affaire à des marionnettes. Le plus académique des peintres du XIXe, Delaroche, tant vanté par Hugo, avait les mains moins liées que n’importe lequel des petits faiseurs d’art de maintenant.
    Le marxisme, en une phrase, c’est cet enfant dans le conte d’Andersen : « Mais le roi est… nu ! ».

    *

    Le peintre est l’adversaire du philosophe. Ce n’est sûrement pas un hasard si Drieu, qui désirait être peintre, a pu sentir aussi bien la convergence entre le marxisme et catholicisme. À rapprocher aussi, cette phrase de Péguy à propos de Kant, dont les libéraux empruntent tous plus ou moins les sophismes déconcertants, et qui, avec Nitche, est le philosophe le plus éloigné de Marx : « Kant a les mains pures mais il n’a pas de mains. »
    Réunissez un peintre et un philosophe, que celui-ci soit kantien, existentialiste, maurrassien, libéral, sadien, etc., ces deux ennemis finiront par en venir aux mains. J’ai toujours ressenti pour ma part que les philosophes représentent un danger public. Cela ne tiendrait qu’à moi, je donnerais l’ordre d’enfermer tous les philosophes, à commencer par BHL, Luc Ferry, Finkielkraut, dans de solides monastères, avec interdiction formelle de publier quoi que ce soit. L’autoflagellation les ramènerait peut-être à la réalité, et les travaux des champs.
    On pourrait envisager à la rigueur de délivrer des “laissez-passer” aux moralistes, mais à condition de les faire surveiller, car un moraliste peut à tout moment basculer dans la folie philosophique. La sagesse de Montaigne éveille en moi un sentiment de malaise. Comme si cette littérature n’était qu’un garde-fou.
    Les moines ne sont-ils pas de doux dingues assez sages pour comprendre qu’ils n’ont rien à faire au dehors, que l’enfermement les préserve et NOUS préserve ?

    *

    Ce n’est pas un hasard non plus si, en Allemagne, les artisans ont constitué le premier auditoire attentif de Marx.
    Evidemment un artiste “conceptuel”, par rapport à un artisan chargé de son matériel, de ses outils, a toutes les apparences de la légèreté et de la liberté. Les pets au vent aussi sont libres.