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  • Exit Darwin

    Quelques commentaires sur un ouvrage de Cédric Grimoult, appuyé par le CNRS et destiné à combattre l'hydre créationniste : "Créationnisme - Mirages et contrevérité" (2013).

    Par-delà mes critiques lapidaires des développements à prétention historico-scientifique dudit Grimoult, je souhaite attirer l'attention des pouvoirs publics compétents sur le peu d'utilité du CNRS et l'agravation du déficit public que ses dépenses somptuaires entraînent. Je suis disposé à rédiger un rapport gratuitement pour le compte du ministère compétent, intitulé : "De l'utilité (ou pas) de la recherche dite "fondamentale" dans le cadre technocratique assigné à la science laïque."

    En préambule, deux ou trois problèmes techniques évoqués dans ce bouquin, mais auxquels l'auteur n'apporte pas d'éclaircissement véritable :

    - Le "créationnisme" ne se réfère pas à la Bible ou à la Genèse. En tant qu'elle est soumise au processus de maturation et de pourrissement, la création de la matière vivante n'est pas "le fait de dieu". Autrement dit plus simplement pour le public profane, agnostique ou croyant plus dans l'avenir qu'en dieu, la mort n'a, ni dans le judaïsme, ni dans le christianisme, une cause divine. Elle n'est pas, comme dans certaines religions païennes antiques, une étape nécessaire. Tout au plus le "créationnisme" a pu servir à qualifier la science physique ou naturelle d'Aristote, incompatible avec la théorie moderne de l'évolution, dans la mesure où elle conçoit l'homme comme un "microcosme". Le rapprochement ou l'analogie avec les autres espèces animales ou végétales, animées par le souffle vital, ne permet pas d'expliquer entièrement la complexité de l'espèce humaine selon Aristote. Il n'y a pas de "solution de continuité" entre l'espèce humaine et les autres espèces vivantes au regard des observations expérimentales d'Aristote. Sur un plan physique plus large, étendu à l'univers visible et invisible, celui-ci a réfuté l'idée que l'univers puisse avoir une cause unique, et ainsi évoluer ou se développer selon une loi mathématique uniforme.

    On ne peut se contenter de prouver la véracité scientifique du darwinisme, en établissant que les groupes de pression américains qui invoquent la Bible l'ont lue "la tête à l'envers". Rien n'est plus facile que démontrer le caractère totalement baroque de la justification religieuse des institutions des Etats-Unis au plus haut niveau.

    - L'argument de "l'intelligent design", pas plus que le précédent, ne peut être mis en relation avec le judaïsme ou le christianisme, mais tout au plus avec le panthéisme de certains philosophes modernes. On voit par exemple qu'il s'accorde avec l'idée de "grand architecte de l'univers" à laquelle Voltaire accorde foi. Ou encore F. Nitche plus récemment. Le plus probable est pour ces philosophes que la nature a été pensée de façon intelligente. Il en va de même au demeurant pour Descartes, Newton, Leibnitz, bref la plupart des pères fondateurs de la science moderne. Cette parenthèse permet de faire ressortir le véritable mobile religieux des groupes de pression nord-américains, et qu'ils sont essentiellement fondés sur la culture nord-américaine.

    - L'évolutionnisme : le problème n'est pas au regard de la science chrétienne celui de la métamorphose des espèces vivantes, suivant un principe évolutif ou régressif, ni de la subdivision des espèces en sous-espèces. Le problème est bien celui du transformisme, c'est-à-dire de l'aspiration métaphysique de l'homme, qui ne peut pas être du point de vue chrétien le produit de la compétition entre des individus au sein d'une même espèce. Pratiquement on pourrait dire que ce qui est essentiel chez l'homme, du point de vue chrétien, et qui dénote d'une détermination que l'on ne retrouve dans aucune autre espèce, c'est sa capacité à s'extraire, pour penser, d'une logique sociale. Comment s'est effectuée la transition d'une détermination biologique grégaire à la capacité humaine de s'en extraire. Voici le point où le chrétien ne peut pas se contenter de quelques fossiles.

    Si le raisonnement évolutionniste rejoint le raisonnement totalitaire, du point de vue chrétien, c'est pour cette raison.

    - Entrons maintenant dans le corps de l'ouvrage de Cédric Grimoult. Autant dire que le premier chapitre est un tissu de raccourcis et de spéculations historiques infondées. Dans l'ensemble, cet ouvrage de défense du darwinisme offre la possibilité à la critique scientifique de se contenter d'en pointer les très nombreuses contradictions internes pour l'infirmer.

    "Les créationnistes se présentent aujourd'hui comme les victimes des évolutionnistes qui étoufferaient leur liberté de parole. Mais il s'agit là d'une contrevérité manifeste pour deux raisons. D'abord, aucune institution scientifique mondiale ne dispose d'un monopole permettant de délivrer une vérité toute faite.

    La victoire de l'esprit des Lumières s'est traduite, dans les sociétés occidentales, par un confort issu de ses conséquences technologiques et économiques, qui ont fait reculer la misère et la mort.

    Le rejet du créationnisme par la communauté scientifique constitue donc un mouvement de libération, par rapport à des idées archaïques inadaptées au monde moderne."

    Comment peut-on, dans la même page, nier l'existence d'un consensus scientifique, et s'en prévaloir quelques lignes plus bas ? Pour s'en tenir au cas français, il est sans doute l'exemple d'un des monopoles les plus stricts de par le monde ; l'exemple d'un quasi-monopole de l'enseignement scientifique par des enseignants sélectionnés au terme d'un processus compétitif. Ce monopole est d'ailleurs le plus souvent assumé par les représentants de l'élite laïque républicaine, et non nié comme ici.

    Le deuxième paragraphe serait risible s'il n'était signé par un agrégé d'histoire & "docteur habilité en Histoire des Sciences", excusez du peu. Entamer un livre destiné à combattre la propagande créationniste par la plus grossière image d'Epinal n'est sans doute pas le meilleur moyen de faire valoir sa science.

    - l'idée que l'esprit des Lumières a eu un impact sur le développement technologique et économique relève de la plus pure fantaisie. Si Voltaire est actionnaire de la Compagnie des Indes, il n'a pas inventé le principe de l'exploitation coloniale, et aurait même plutôt tendance à cacher cet aspect de sa philosophie.

    - le lien de cause à effet entre la philosophie des Lumières et la révolution bourgeoise de 1789 n'est pas démontré. Il a même été démontré le contraire, à savoir que c'est une explication idéologique a posteriori. La restriction des libertés et l'esclavage industriel au long du XIXe siècle ne correspondent pas aux voeux ou aux idéaux exprimés par les philosophes des Lumières. Or la restriction des libertés et l'asservissement aux outils industriels n'ont pas freiné le progrès technologique. Il y a donc là un argumentaire au niveau de la propagande libérale la plus grossière, et non une remarque historique. Voltaire, Diderot, Rousseau, n'ont aucune responsabilité dans le confort moderne dont s'enorgueillit Cédric Grimoult. Cette confusion entre la science, la technique et les idées philosophiques ne fait que renforcer le soupçon que le discours évolutionniste est une perche tendue aux débordements mystiques totalitaires de toutes sortes.

    Dans un chapitre consacré plus loin au distingo entre la foi et la science, l'auteur écrit : "Les philosophes avaient déjà montré que la science véritable est amorale, c'est-à-dire étrangère à toute prescription morale - au "devoir être", car elle se concentre simplement sur ce qui est."

    Paragraphe qu'il suffit de confronter à un suivant afin d'en démontrer la mauvaise foi : "Le combat pour l'évolutionnisme et la laïcité exige un travail de fond et d'implication de nombreux acteurs en faveur d'une éducation plus complète, d'une information critique et d'un engagement plus fort en faveur de la raison et, plus généralement, des idéaux issus des Lumières et qui constituent les fondements d'une démocratie véritable."

    L'éducation, l'idéalisme, la démocratie véritable sont des notions qui se rattachent directement à la morale. Des savants plus sceptiques lanceraient des avertissements contre cet "idéalisme" le plus vague, et ce millénarisme démocratique improbable.

    De surcroît, les nombreux "comités d'éthique scientifique" cautionnés par les pouvoirs publics en France s'avèrent, selon la définition de Cédric Grimoult lui-même... comparables à des tribunaux d'inquisition.

    L'argumentaire laïc se présente donc comme le discours d'une élite, refusant de s'appliquer à elle-même les conseils qu'elle donne aux autres religions et courants de pensée. Cette élite laïque n'a même pas conscience que l'idée de "neutralité scientifique", développée par l'un des savants évolutionnistes les plus confus, feu l'Américain Stephen Gould, est une idée sans la moindre consistance historique et scientifique. La meilleure preuve en est que C. Grimoult, sous couvert de répondre à la "propagande créationniste", se situe exactement à son niveau en diffamant le judaïsme, le christianisme ou l'islam au passage.

    C. Grimoult reproche aux détracteurs de l'évolutionnisme de s'appuyer sur des arguments extérieurs à la biologie. Mais lui-même veut apporter à la biologie moderne le soutien de la science historique, domaine où il est défaillant.

    Dans le domaine de la biologie, C. Grimoult n'est pas plus probant, se contentant d'énumérer un certain nombre d'arguments à opposer aux détracteurs d'une théorie qu'il rattache d'une façon très maladroite de la part d'un soi-disant scientifique à la laïcité, pure détermination idéaliste et éthique, dont rien ne dit qu'elle ne sera pas très bientôt socialement inadaptée, y compris en France.

    "Les preuves apportées par Darwin sont indirectes : le naturaliste ne peut montrer l'évolution en action, parce qu'il faut généralement des centaines de générations pour façonner de nouvelles espèces."

    Ce régime de la preuve indirecte ou de la semi-preuve, du tas d'indices ou de fossiles concordants, est bien la raison pour laquelle la prudence scientifique s'impose. Quand il n'y a que des preuves "indirectes", il y a une expression réservée qui s'impose, c'est celle "d'hypothèse scientifique". En quoi le régime de l'hypothèse dérange-t-il les savants évolutionnistes ? En quoi perturbe-t-il leurs recherches scientifiques, eux-mêmes étant persuadés que leurs preuves seront bientôt complétées ? C'est la question que posent les détracteurs de l'évolutionnisme. Et, encore une fois, la mutation de certains êtres vivants n'implique pas le transformisme et que l'homme puisse être regardé, aussi flatteuse soit cette position, comme le produit le plus raffiné de l'évolution biologique.

    D'autant plus que si le naturaliste ne peut prouver "in vivo" l'évolution, ce n'est pas tant la preuve directe des mutations qu'on lui demande, que celle du transformisme.

    "Parmi les arguments apportés plus récemment en faveur de la théorie de l'évolution, il faut signaler la découverte de l'universalité des codes génétiques."

    L'idée que toutes les espèces vivantes ont quelque chose en commun est une idée qui a plusieurs millénaires d'ancienneté. Elle est plus prudente et plus scientifique que le terme d'universalité des codes utilisées ici, qui suggère que le cosmos tout entier serait susceptible de muter, sans en rapporter la moindre preuve. Quels régimes prétendent fonder la notion d'universalité sur le code génétique, si ce n'est les régimes totalitaires modernes ?

    "Dans la nature, il n'existe pas de sélectionneur, le processus est automatique. Pour l'expliquer, Darwin s'inspire de la théorie économique que Thomas Malthus (1766-1834) expose en 1798 dans son "Essai sur la population", d'après laquelle toute population biologique croît plus vite que les ressources disponibles, ce qui crée une compétition implacable entre les individus."

    C'est ici une des raisons les plus anciennes qui a fait penser que la théorie du transformisme de Darwin était une hypothèse erronée ; l'analogie avec le schéma économique malthusien inapte à rendre compte de nombreuses évolutions démographiques, et comme tous les traitements économiques de données, partant du principe que l'homme a un comportement exclusivement bestial, toutes ses actions ne visant qu'à satisfaire des besoins primaires.

    Pratiquement l'économie envisage l'homme comme un animal essentiellement religieux. D'où l'on peut penser que la thèse évolutionniste est largement biaisée par le raisonnement anthropologique, similaire à celui de l'économiste, et qui est le raisonnement le moins scientifique possible.

    Enfin dans un paragraphe intitulé "Hasard et Nécessité", C. Grimoult tente de dissiper le soupçon qui naît de toutes les affirmations de "sélection automatique" ou de "mutations aléatoires", soupçon que l'évolutionisme a recourt à la sémantique pour dissimuler les lacunes de la science évolutionniste :

    "Au plan philosophique, hasard pur et nécessité absolue se situent tous deux dans le domaine de l'idéologie. Seule une démarche probabiliste, reconnaissant à la fois un rôle important au hasard (à chaque niveau d'intégration du vivant) et à sa canalisation par les lois physiques et les modalités sélectives multipolaires (c'est-à-dire à chaque palier d'intégration également) s'avère adéquate."

    Dans un jargon digne de la casuistique médiévale, l'auteur explique benoîtement à ses lecteurs, que si l'on passe par la "démarche probabiliste", ce sera beaucoup mieux que de faire comme les idéologues qui invoquent le destin ou la providence trop ouvertement, puisque la part de l'idéologie et de ce qu'on ignore encore sera mieux cachée.

    Non, la démarche probabiliste n'a rien de philosophique ou de scientifique : elle est typique de tous ceux qui essaient de faire passer pour le savoir acquis ce qu'ils ignorent encore. Dans le domaine économique, cette démarche a récemment contribué à des catastrophes, exactement pour cette raison qu'elle postule un savoir plein et entier là où il n'y a qu'une demi-vérité.