Ce qui frappe d’emblée le profane chez Marx, à condition d’aborder ce pan plus discret, c’est la pertinence de sa critique littéraire. Le contraire d’un gugusse foutraque comme Sollers dont les seules lumières consistent à braquer les projecteurs sur sa rotonde personnalité et sa prose éthique (L’éthique du bourgeois est une enflure).
Il faut ranger un tel fumiste du côté de l’obscurantisme romantique. Au moins Edern-Hallier avait ce geste classique de trier le bon grain de l’ivraie avec solennité, d’appeler un écrivain un écrivain et un maquignon un maquignon.
Ainsi Marx résout la contradiction apparente entre un Rousseau “positiviste” et un Rousseau “païen”.
Pour comprendre la façon dont le marxisme s’articule avec la Révolution française, d’ailleurs, la meilleure façon est sans doute de passer par la critique littéraire de Marx.
Energique contempteur de la religion des Droits de l’homme, Marx a une façon d'envisager Rousseau ou Voltaire beaucoup plus nuancée. Candide, c'est "voyage au bout de la bourgeoisie".
Pour Marx, Voltaire est fourvoyé dans une impasse, mais il est aussi le premier à s’en rendre compte, c’est-à-dire à explorer cette impasse. Chateaubriand, lui, n’est qu’un menteur, un fuyard. Tous les efforts de la critique bourgeoise consistent d’ailleurs à tenter de justifier les mensonges de Chateaubriand par des sophismes tels que : “Un artiste est forcément un menteur”. Non, l’artiste bourgeois est forcément un menteur : nuance.
Un autre aspect positif de Marx, c’est qu’il s’abstient de parler de peinture. La critique, qui contraste avec le journalisme, consiste aussi à ça. Marx est un esprit beaucoup trop “renaissant” pour broder sur des métiers qu’il ne connaît pas. Le contraste est saisissant avec Diderot, dont l’ignorance encyclopédique des tenants et des aboutissants de cet art solide, ne l’empêche pas de pisser des litres de copie afin de divertir la bourgeoisie.
La différence entre Baudelaire et Diderot, c’est qu’au moins le premier fait des efforts pour comprendre, même s’il y a des contradictions chez Baudelaire, à commencer par son ami Delacroix, pas d’accord sur tout.
Degas se mettait en rogne dès que Paul Valéry s’avisait de causer de peinture. Que resterait-il de Paul Valéry, si on le passait au tamis ?
Et même Claudel s’est compromis à ce genre-là.
Proust, cet imbécile heureux, ni critique ni peintre, n’hésite pas à s’en prendre carrément à Fromentin, critique et peintre. Comme si Sainte-Beuve ne suffisait pas ! On a parfois l’image exclusive du Philistin en bras de chemise qui pue la sueur et réside forcément dans un cul de basse-fosse. Proust est la version gazeuse et parfumée - démocratique - du Philistin. Ni images ni critères chez Proust, mais des stimuli et de la pataphysique. Le principe de “lire pour lire” ne dérange pas le bourgeois qui a l’éternité devant lui. Chirurgie esthétique, psychanalyse et euthanasie ne sont là que pour corriger les mensonges de la réalité, le temps, le progrès et la mort.
Reste à vaincre un léger paradoxe. Si Marx a l’honnêteté de ne pas parler de peinture, cet art n’en est pas moins l’art communiste par excellence. De fait c’est le plus populaire, celui qui permet la meilleure communication. C’est en tant qu’iconoclaste que le régime soviétique condamne Malévitch ; c’est tout à son honneur.
Il faut prendre “populaire” dans le bon sens. Céline est un auteur “populaire”. Ne sont pas “populaires” Johnatan Littell, Harry Potter ou Simenon, au seul prétexte qu’ils sont faciles et bâclés.
Tout ce qui relève en général presque exclusivement du procédé mécanique : le cinéma, la photographie, les romans d’Agatha Christie, ne relève pas de l’art populaire, ni de l’art du tout.