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Contre Bernanos

En réponse à Fodio, qui cite Bernanos sur son blog, sincère royaliste sans doute, mais étrange cependant dans une religion qui ne reconnaît de pouvoir royal que celui de dieu, ou celui du christ, qui a défendu à ses apôtres de l'appeler "maître". Etrange Bernanos, qui semble ignorer que le XVIIe siècle des rois tyranniques est marqué dans son propre pays du sceau de Satan.

Bernanos citant le curé d'Ars : "Ce que je sais du péché, je l'ai appris de la bouche même des pécheurs."

Ce que les disciples de Jésus-Christ savent du péché, il ne l'ont pas appris de l'homme, qui n'en sait rien de plus qu'Adam et Eve; ils l'ont appris de Moïse et de Dieu. Le pécheur, moi, vous, tout mortel, ne peut pas regarder le péché en face, car cela reviendrait à regarder la mort en face, et non dans un miroir comme la basse condition humaine l'impose. Sauf peut-être au seuil de se résigner à mourir, nul homme n'est capable sans l'aide de dieu et ses prophètes de voir le péché en face. On a tous besoin de sentir qu'on est quelque chose, et non pas un tas de molécules en combustion. La culture de vie des païens les plus terre-à-terre charrie le péché comme le torrent charrie les gouttes d'eau. Jésus-Christ est assassiné - il est haï par Nitche, pour avoir définitivement rendue caduque la culture de vie, et il ne faut pas beaucoup plus de lucidité que des suppôts de Satan comme Baudelaire ou Nitche pour reconnaître dans l'argent moderne le dernier souffle de vie du monde.

Donc seule la parole de dieu, qui est son Esprit, permet de voir le péché en face sans être anéanti par cette vision. L'aspiration à la connaissance de la parole divine est l'aspiration à être pur et lavé du péché - avant d'atteindre cette pureté éternelle, à être secouru par une force contraire à celle soutenant l'homme ordinaire, qui est sa foi ou son espoir, plus ou moins puissante suivant la vertu de cette homme ou de cette femme. Les rois sont faibles, nous dit le prophète Shakespeare, car ils sont appuyés eux-mêmes sur une masse mouvante, et prête à les noyer à chaque instant.

Autrement dit : l'apocalypse ou le péché. C'est tout le crime du clergé romain (que Bernanos ignore obstinément, condamnant l'intellectualisme sans voir la part immense des clercs dans la casuistique, jusqu'à faire du catholicisme une religion de philosophes), le crime du clergé de faire écran à l'apocalypse, et de contraindre ainsi l'humanité au péché; de restaurer la mort dans ses droits en même temps que le péché, dont le Messie des chrétiens a levé l'hypothèque, rendant toutes les choses nécessaires à sa survie, inutiles pour son salut.

Le péché et la mort confèrent au clergé un pouvoir immense sur les hommes, en particulier les ignorants, exactement celui que la maladie et la mort confèrent aux médecins aujourd'hui, en un sens plus vrai, car plus concret que celui du clergé démodé, qui d'ailleurs s'incline désormais devant la médecine, vaincu sur un terrain où aucune parabole du Nouveau Testament ne l'incitait à s'aventurer, pataugeant dans la plus barboteuse thérapie de l'âme et les syllogismes kantiens de crétins patentés, docteurs de l'Université.

Ce pouvoir immense sur les foules, il a été ôté au clergé par le Messie, s'affranchissant lui-même de la chair et du péché. Niant que dieu réclame à l'homme des sacrifices, quand il ne lui demande que de l'aimer, ce qui n'est pas un sacrifice mais une libération. Celui qui réclame des sacrifices, et procure en échange certaines récompenses plus ou moins illusoires, maintenant l'homme dans un cercle infernal de douleur et de plaisir, de labeur et de fruit de ce labeur, n'est autre que Satan. Et la confiance en lui est comme naturelle et spontanée. Elle l'est chez le paysan, plus encore que chez l'intellectuel, qui croit pouvoir rivaliser par ses propres oeuvres avec le diable. Satan et le monde vacillent de la concurrence que les intellectuels font à Satan.

Confronté à la philosophie, le paysan a souvent le pressentiment que la métaphysique est une imposture, une pure casuistique, qui parle moins vrai que la nature. En quoi il n'a pas tort, le plus souvent, car la culture est toujours inférieure à la nature. Plus elle prétend surmonter la nature, plus la culture est amère et médiocre - au bout du compte il ne reste plus dans la vaste porcherie bourgeoise que la gastronomie à l'intérieur, et les missiles en direction des affamés à l'extérieur.

Mais, de ce que la nature est toujours supérieure à la culture, il ne faut pas déduire que la métaphysique n'est que du vent. Que les intellectuels simiesques en sont les plus éloignés, ne prouve pas que les choses surnaturelles n'existent pas. Homère, Shakespeare qui trucide des intellectuels dans ses pièces, Molière, ou même Balzac, ne sont pas des intellectuels. Molière sait que la charité véritable est toujours une insulte pour les cacouacs.

Bernanos, lui, est un intellectuel, qui reconnaît la vanité de l'intellectualisme. Mais c'est Shakespeare qui mène la bataille contre la race de fer, la plus vaniteuse de tous les temps.

 

Commentaires

  • C'est vrai que Bernanos m'énerve à la fin, il flatte l'homme du peuple que je suis. De belles phrases, qu'on ne sait plus ce qu'elles veulent bien dire. Ma Pénélope ne s'y est d'ailleurs pas trompée, "trop intello pour moi!" qu'elle a fait, et elle est retournée à Balzac.

  • - La haine de Bernanos contre les intellectuels est justifiée. A peu près semblable à celle de Marx ou de Simone Weil. Ce n'est pas de la flatterie, mais la sensation juste que l'élite, sur le plan intellectuel, non pas en termes de pouvoir, repose sur du vent, une culture moins solide que celle des paysans. On pourrait dire : que le cavalier est encore plus bête que sa monture. Et ça c'est vrai, mais Marx est le seul des trois à avoir compris pourquoi : parce que l'exercice du pouvoir éloigne nécessairement de la science. Au point où nous sommes rendus, la culture de l'élite n'a plus qu'un seul but, qui fait de cette culture un poison pour le peuple : compenser la folie des élites, occulter un maximum à ses propres yeux que son existence repose sur le néant, et que ce qu'elle pense être de l'action, ne fait que traduire un mouvement désordonné impuissant. L'élite est entrée dans une phase avancée de dégénérescence de son système nerveux central.
    - Pourquoi je te dissuade de Bernanos : parce que ce qu'il dit n'est pas insincère, au contraire, je crois que Bernanos et Simone Weil se distinguent de l'élite, ils sortent du rang des veules par leur sincérité, d'une manière beaucoup plus respectable qu'un homme du peuple qui prend "l'ascenseur social", et se plie aux codes de la caste supérieure (aujourd'hui : l'art abstrait ; l'hypocrisie démocratique) ; je t'en dissuade, parce que, si le propos de Bernanos est juste sur le plan social, il n'a rien à voir avec l'esprit évangélique. - Il est certain que ce n'est pas un hasard si les premiers apôtres sont des "hommes du peuple" : il est logique qu'ils soient plus sensibles au message du Christ qu'un consul romain ou un prêtre juif, voire une femme ; parce qu'ils sont moins conditionnés. Mais, pour être du peuple, et bénéficier en quelque sorte de cette disgrâce de la nature, ils n'en sont pas saufs pour autant.
    Il nous est demandé plus que ce qu'il fut demandé aux premiers apôtres, de sorte que si j'avais la force de Jésus-Christ, au lieu d'être seulement un pauvre pécheur qui ne renonce pas au combat, de ce contact direct avec dieu, tu aurais ressenti une force immense. Mais l'Esprit nous donne plus que ce que le Messie a donné à ses apôtres, et qu'il n'a jamais donné avant d'être assassiné, à quelqu'un d'autre que le criminel sur sa croix. Il nous procure l'appui de la parole divine, nous aide à la comprendre mieux si nous le lui demandons (tandis que les apôtres, eux, ont suivi sans comprendre, par intime conviction, jusqu'à la Pentecôte) : l'Esprit nous procure toute la force que le commun des mortels n'a pas, qui repose sur de vaines espérances dans l'au-delà, quelle qu'en soit la combinaison truquée, religieuse, culturelle ou technocratique. Nous savons que l'Esprit est parmi nous, et que la mort, en elle-même, ne constitue pas une étape vers dieu. Le christianisme est antisocial parce qu'il abolit l'effet coercitif de la mort, dont la société a besoin. Ce rien est tout sur le plan social. Une volupté supérieure à ce lit de douleurs qu'est la vie, si on ose pousser le raisonnement de la culture de vie jusqu'au bout. Laissons les morts s'occuper des morts : parce que la mort est une force sociale antagoniste de celle que procure la parole divine. La chair veut mourir sans le savoir. Spiritualiser la chair selon l'argument de l'âme, ce qui constitue le propos du bouddhisme et certainement pas celui du christianisme, entraîne à tomber encore plus bas que le niveau de la chair, qui revient exactement à l'empoisonnement du peuple par la culture élitiste que j'évoque plus haut. L'évangile ne dit pas : enfermez la chair dans une théorie de l'âme qui la contraint (théorie dont il faut comprendre qu'elle correspond à l'injonction du travail dans le peuple). L'évangile dit : rien de spirituel, aucune force de cette sorte ne peut venir de la chair ; par conséquent le principe de l'âme n'est pas spirituel, puisque celle-ci n'est qu'une théorie de la chair (excuse-moi ce détour intellectuel par le raisonnement, mais la philosophie platonicienne est un bourbier où je suis contraint de descendre, tant l'esprit humain est aujourd'hui tordu et retordu dans tous les sens par la religion).
    C'est ce que Bernanos n'a pas compris, au contraire de Shakespeare, qui prévoit que l'histoire l'emportera sur le temps. Dès lors que Shakespeare n'est plus "énigmatique", il est certain qu'il ne peut que semer la panique au sein du clergé et de l'université, dont le pouvoir réside aujourd'hui dans le mensonge.
    Shakespeare-Bacon fait table rase de la culture.

  • Exit donc Bernanos.
    Mon voisin, un gentil au regard pur comme un ciel sans nuage, a installé des colombes d'une blancheur immaculée dans un pigeonnier que je peux contempler depuis la fenêtre de mon bureau, alors que lui-même ne les voit pas de chez lui et qu'il doit sortir et se dresser à ma vue pour les voir (de là que je chope son regard). Je fais soudain le lien avec la pentecôte dont tu parles.
    Quand je dis que Bernanos me flatte c'est que je me sens un peu comme un aigle en lisant ces histoires de prêtres intello (L'Imposture, La Joie, le Journal d'un Curé de campagne), mais un aiglon en vrai car je ne vois pas très bien où il veut en venir. Sincère, comme tu dis, et je vois bien le danger, parce que c'est quand même des clercs qu'il fait parler. Le Curé de village de Balzac me parle plus vrai, d'ailleurs il s'appelle Bonnet, alors que je suis incapable de me rappeler du nom des prêtres de Bernanos.
    Je comprends bien qu'une certaine façon de réfléchir appartient à la chair (cette façon qu'a l'église et son clergé de penser l'âme, et de la séparer du corps, l'intellectualisme) mais Balzac ne tombe pas dans le piège, je trouve. Ni Shakespeare tu me diras. Cet été (après ma visite), j'ai lu un poème de S. en anglais (j'ai un accent correct) en réponse à une gamine de 12 ans, dont la mère est anglaise et le père un pote, et qui me la montré pour me défier, la petite vipère. Sur le coup, en lisant j'ai capté des choses et j'ai essayé de les faire comprendre à l'auditoire composé de mes deux potes, de la femme de l'un d'entre eux et de ma Pénélope, en les traduisant même en français et en russe, tout en faisant l'acteur, parce qu'on peut pas lire ça comme si c'était une recette de cuisine (en fait c'est venu avec le texte, peut-être la force dont tu parles?). "Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu; elles se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux. Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint et commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer.. "
    Sinon en ce moment je fais un peu le charpentier puisque je construit un lit/bureau/armoire/cabane pour la gamine de Pénélope. Au train où je revis la vie du christ va falloir que je vive plus longtemps que Job si je veux arriver à piger quelque chose. Hélas le temps n'est plus aux patriarches puisque comme tu le faisais remarquer il y a peu, c'est à la force de l'âge que les chrétiens se purifient depuis le christ. Enfin dieu merci tu es là, comme le pain quotidien.
    Shakespeare et ses poèmes m'attendent donc. En attendant la gamine m'a trouvé bizarre d'après les dires de son père. Je serais même pas foutu de te dire le titre du poème (en fait y en avait deux, mais je vais les redemander à mon pote pour la matière d'esprit, bref, je te tiens au courant).

  • Bernanos ne supporte pas l'échec de l'Eglise catholique (comme Bloy), et impute cet échec à un certain type d'homme - les intellectuels, comme si l'Eglise romaine n'était pas LA grande pourvoyeuse d'intellectuels parasites du monde moderne, c'est-à-dire du type d'homme le plus susceptible d'occulter les vérités évangéliques. Balzac est beaucoup plus conscient de ça et, par Swedenborg, qu'il n'y a aucune institution juridique humaine qui puisse s'appeler l'Eglise de Jésus-Christ, et légiférer en son nom.
    - dans l'intellectualisme, on retrouve toujours cet aspect, en effet, de dissociation de la chair et de l'âme, afin de prêter à cette dernière une transcendance qu'elle n'a pas : c'est le procédé juridique de base, antichrétien ; ce que les évangiles nomment "fornication", c'est ça ; et il se trouve que c'est l'activité principale du clergé à travers les âges, quelle que soit son étiquette, avec un redoublement d'intensité en ce qui concerne le clergé chrétien.
    Il y a un autre domaine que le droit où le procédé de spiritualisation de la chair s'opère, c'est celui du divertissement.

  • C'est sûr, Shakespeare est beaucoup moins divertissant que Bernanos ou Bloy, et d'ailleurs il ne s'est pas aventuré à produire de romans. Tu me diras que ce genre (le roman) n'existait quasiment pas à son époque, Voltaire était loin d'être né. Mais le théâtre de S. ou de Molière est quand même divertissant, sans parler de Balzac (bien sûr ses romans métaphysique le sont moins que les autres). Il faudrait déclarer le roman mort-né en vérité mais ce serait se passer de lui, et ça...
    Sans évoquer la catharsis qui me semble relever de l'intellectualisme honni, il faut quand même un peu plaire en édifiant, ou bien Molière aussi passerait à la trappe.
    Les pièce de S., énigmatiques ou pas, m'ennuient à mon grand regret, et au contraire de celle de Molière, est-ce un problème d'adaptation, de traduction? Peut-être a-t-on manqué d'un bon auteur français pour le faire. Dans l'esprit, qui, selon toi, parmi les français, a le mieux compris Shakespeare?

  • Au contraire, Shakespeare choisit librement la tragédie, tandis que Balzac est contraint au roman.
    Shakespeare s'attaque à la bêtise moderne, au sens plein du terme, relié à ce qui est dit dans l'apocalypse, la "bête de la terre". Comme la tragédie antique était le moyen de combattre la bêtise dans l'Antiquité, Shakespeare-Bacon choisit ce moyen, parmi les plus efficaces sur le plan populaire, général. Si les pièces de Shakespeare ne te plaisent, lis Bacon: il dit exactement la chose. Il dit : mon temps ne sait rien ou presque, et cela va aller en empirant. Les catastrophes viendront, de plus en plus catastrophiques, en raison de l'ignorance croissante des hommes, selon la description qui en est faite dans l'apocalypse.
    - Pour apprécier Shakespeare, il faut comprendre que les contes pour enfants ont bien souvent un intérêt beaucoup plus grand que toute la littérature moderne. Il n'y a rien de psychologique chez Shakespeare, et nous ne sommes plus habitués à ce genre de littérature. La plupart aujourd'hui n'ont que le goût des choses psychologiques (le cinéma), qui leur permet de vivre par procuration. Shakespeare se moque de la psychologie : ceux qui vivent par procuration sont déjà morts.
    - Le plus près de l'anticléricalisme de Shakespeare, qui consiste à dire : les pharisiens sont toujours dans la place : ils complotent avec les veuves : si tu veux le salut, surtout reste près de la parole de dieu et ne va pas lire les traductions des moines imbéciles, c'est sûrement Molière. Parmi les traducteurs, venus de l'Université, aucun. Shakespeare après Rabelais hait ces hommes-là, leur fonction publique parasitaire. Et ils le lui rendent bien, soit instinctivement, soit de façon machiavélique. Joseph de Maistre a parfaitement compris que Shakespeare ou Bacon arrache le masque chrétien derrière lequel des types comme lui dissimulent leurs ambitions.

  • Un pote me fait remarquer que dans chaque capitale du monde se joue une pièce de Shakespeare en permanence. Mais qui va voir ces pièces, sûrement pas le peuple. Donc tu as raison le peuple a changé et aujourd'hui S. n'est qu'une idole culturelle réservée à l'élite qui n'y pige pas plus que le peuple mais qui l'utilise pour affirmer sa supériorité, se conforter dans son sentiment d'être à sa rapport au peuple (corrige_moi si je me gourre. Le discours universitaire est le blabla qu'ils répètent en perroquets. Pour un homme du peuple lire S. ça revient à lire la bible. Pas très divertissant. Très édifiant certes à condition d'avoir un guide et sans toi j'en serais encore à ramer parmi toutes les thèses contradictoires ou délirantes. Quand je lis Bacon je ne m'attends pas à être divertis, c'est plus facile. Quant aux Sonnets, quand je pense à cette gamine de douze ans à qui on les fait lire à l'école, j'ai pas le sentiment que ce soit une bonne chose, ça semble comme une tentative de dégoûter les mômes, peut-être que c'est juste pour impressionner les parents (ceux de la gamine en question n'en peuvent plus de se pavaner).

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