Culture ou religion, bien sûr c'est la même chose. Ce qui explique que les fonctionnaires de la culture disent du mal de la religion, et les religieux disent du mal de la culture. La religion a légué l'usufruit, il ne lui reste que la nu-propriété.
Les vertus de la culture sont les mêmes que celles de la religion. Pléthore d'agents culturels sont là, tel tartufe, pour faire passer la culture pour une chose sacrée, imposant le respect.
- Qu'est-ce qui vous empêche de vandaliser un Rothko, si vous ne pouvez supporter la vue de ses frottis vaginaux, ou un Monet, si vous n'aimez pas la pâtisserie ? La religion. En ce qui me concerne, je suis ravi que les talibans aient démoli un bouddha géant dans leur pays, car je n'aime pas bouddha, avec son sourire hypocrite, qui me fait penser à la démocratie. C'est mon choix, et je le vaux bien ! D'une manière générale, quand un type vandalise une oeuvre d'art dans un musée, je suis plutôt content, ça me rappelle la révolution française ; et d'ailleurs presque plus personne ne s'intéresse aux oeuvres d'art dans les musées ; il n'y a plus que des "experts en art", qui n'y comprennent que dalle, forcément, puisque l'art consiste à ne pas s'attacher aux détails. L'amateur d'art est un type non moins stéréotypé que la grenouille de bénitier ; l'amateur d'art est une oeuvre d'art lui-même, c'est-à-dire qu'il est déjà mort sans le savoir. C'est ce qui fait que la religion hégélienne ou nazie de l'art est aussi dangereuse : elle met l'homme en règle avec la mort, préalablement à son décès.
- Quand j'étais plus jeune, je m'intéressais à l'art des musées : il y avait quelque chose qui, dans l'art, pour peu qu'il soit un peu artisanal et ouvragé, me faisait pleurer, et je voulais comprendre pourquoi. Maintenant que j'ai compris, c'est fini. On peut au contraire fréquenter les musées, comme le croyant fréquente les églises, non pas dans le but de comprendre quelque chose, mais pour leur valeur de mensonge social réconfortant, au contraire - ce qui revient quand même moins cher qu'une psychanalyse. Généralement c'est la raison des personnes éduquées de fréquenter les musées : il faut dire que l'existence de ces personnes est souvent la plus hypothétique.
- C'est extrêmement bizarre de lire un bouquin de Houellebecq avant d'avoir lu les oeuvres complètes de Molière ou Shakespeare. Ce comportement étrange est de nature religieuse. C'est un des premiers trucs qui m'a mis la puce à l'oreille et qui m'a fait dire : Orwell avait raison. Je me souviens d'une étudiante qui lisait un bouquin de Houellebecq, et ça m'avait choqué, car c'était la deuxième fois en un mois, et je lui avais demandé : "Vous n'allez quand même pas les lire tous ?" Elle avait pris ça pour du snobisme, mais ça n'a rien à voir ; ce n'est pas par snobisme qu'on préfère en France le pinard au Coca-Cola.
- Plus l'homme est satisfait de lui-même, plus la culture ou la religion devient envahissante. Si les bouquins de Houellebecq tombent des mains, c'est parce que ce sont des offices religieux. Je crois qu'il fallait être informaticien pour écrire ça, c'est une sorte d'écriture automatique : je ne suis pas sûr que la nazisme en ait pour si longtemps que ça encore à vivre : une religion de l'art sans objets d'art à peu près crédible ne peut pas aller très loin. C'est comme le musicien de Hamelin qui aurait perdu sa flûte. Si Molière nous voit, il doit trouver que la France est plus religieuse encore qu'elle n'était au XVIIe siècle, où le diable tenait quand même déjà le haut du pavé. La première explication à ça, c'est l'âge. La France est une personne âgée, et c'est le lot des personnes morales vieillissantes de recommencer à prier dans leur vieillesse, comme elles faisaient étant gosses, et bien que la hideur de leur existence devrait les dissuader de cette recette. La France aux Français, l'Euro aux Européens, le Louvre aux experts, moi je dis plutôt : laissons les morts enterrer les morts.