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drieu la rochelle - Page 2

  • Vieilles gloires littéraires

    Sur le plan littéraire, Drieu est tout aussi lucide, si ce n’est plus. Emmanuel Berl, Julien Benda, Porto-Riche, Bernstein, tous ces ex-écrivains célèbres qui faisaient chier Drieu, ils n’intéressent plus personne en dehors de quelques maniaques bibliomanes désormais.
    Et pourtant, Dieu sait qu’on réédite tout et n’importe quoi aujourd’hui ! Rien ne serait plus facile que de payer un critique du “Monde”, de “Match”, du “Figaro” ou de “France 2” pour dire tout le bien qu’il pense de Porto-Riche et pousser le quidam à l'acheter…

    Lira-t-on encore Modiano ou Weyergans dans trente ans, dans vingt ans ? Houellebecq restera sans doute, mais plutôt en raison de son anticonformisme que de sa prose (Aussi, quelle erreur de se fondre dans le moule en faisant du cinéma produit par Lagardère.)

    *

    Préjugé favorable, tout de même, de Drieu en faveur de Nitche. Nul n’est parfait. Un préjugé partagé d’ailleurs par t’Sterstevens. Préjugé d’une époque. Et puis Drieu n’est pas un catholique conventionnel. Le superhomme, Zaratoustra, toute cette bimbeloterie… le goût pour les arts premiers n’est pas très catholique. Pour un catholique, les schémas marxistes de Simone Weil sont beaucoup plus raisonnables que la trahison par un Allemand francophile des grands moralistes français. Pourtant, Drieu le sait, le dit et le répète : les Allemands font de bons soldats, mais en politique ils sont nuls.
    Quant à Marx, beaucoup plus anglais qu’allemand, Drieu l’ignore presque complètement ; il est occulté par le communisme.

    *

    Apparemment sur un point Drieu s’est trompé. À la fin, estime-t-il, les Russes l’emporteront sur les Anglo-Saxons, pourris jusqu’à la moelle par le capitalisme.
    Dès le milieu du XVIIIe siècle, Grimm, le La Boétie de Diderot, aussi antipathique et visionnaire que Diderot est sympathique et aveugle, Grimm prévoyait que l’empire russe jouerait un rôle de premier plan à l’avenir, ce qui était loin d’être évident.
    Mais la dislocation récente de l’empire soviétique semble donner tort à Drieu. À moins qu’il faille attendre encore un peu ? Une chose est sûre, outre la haine du catholicisme et le mépris des Yankis, bref de tout ce qui n'est pas russe - un signe de santé psychologique -, les Russes ont ce que les "musulmans" n’ont pas et qui les condamne à demeurer sous la domination occidentale : l’unité, l’argent, les armes, et toutes les ressources énergétiques nécessaires.
    À tout prendre, Drieu aimerait mieux tomber sous le joug des Russes plutôt que sous celui des Yankis. Moi aussi : entre les gonzesses yankies et les gonzesses russes, il n’y a pas photo.

  • Prescience de Drieu

    Et la prescience de Drieu, n’est-elle pas étonnante ? Car il est isolé ou presque dans son “living room” mais avec quelques années d’avance prévoit la tournure que vont prendre les événements. Il y a sans doute des cartes d’état-major étalées chez lui, il connaît le nombre de divisions allemandes, britanniques, françaises, par cœur, il a beaucoup moins de préjugés que ses contemporains, et cela suffit.

    Comparons avec les politiciens actuels, incapables, avec leurs bataillons de soi-disant experts en économie et tous leurs logiciels, de prévoir ne serait-ce que six mois à l’avance une crise économique ! Tous les Attali, Cohen, Boissonnat, quelle bande de radoteurs inutiles ! Ils justifient après coup tout ce qu’on veut, ça, pour ça on peut compter sur eux. Attali publie un bouquin où il annonce la multiplication des i-pods, et tous les crétins qui sortent de Sup. de co. se ruent pour l’acheter.

    Le diagnostic de Drieu sur les campagnes d’Hitler : six mois de retard par année. Évidemment c’est le jugement d’un homme de méditation sur un homme d’action, mais il n’a pas tort, Hitler fond sur sa proie, puis il ne sait trop qu’en faire ensuite, il paraît tergiverser.

    *

    Ce goût pour la conjecture politique, dont Drieu affirme qu’il se passerait bien pour se consacrer entièrement à l'histoire des religions, est plus fort que lui. Conséquence directe, l’avortement est un sujet qui l’obsède. Il a déjà écrit une nouvelle qui tourne autour et a le projet d’écrire tout un roman dessus.
    La réaction des démocrates-chrétiens, qui sont en quelque sorte les “derviches tourneurs” du catholicisme, face à l’avortement, est beaucoup plus “calme”. “L’avortement ? Ah, oui, c’est embêtant, mais tant que le business va, tout va”, voilà à peu près le ton et l’esprit d’un évêque français moyen, pas très éloigné de celui de Fillon ou Sarkozy.
    Lorsqu’on se souvient de l’inaptitude de Mgr Lustiger au calcul politique, à miser sur Balladur plutôt que sur Chirac (Parce que celui-ci avait intercédé en faveur de Mgr Lefebvre ?), on se dit que les évêques feraient mieux de s’en tenir aux principes, ce pourquoi ils sont payés, au moins en partie.

  • Déclin et suicide

    Fin du "Journal" de Drieu. Ça se lit comme un roman existentialiste. Le meilleur jamais lu à ce jour en ce qui me concerne. Gilles, il y a une dizaine d’années, m’avait rasé. Moins de néant que chez Sartre, mais plus de suicide.

    Il y a des passages comiques, comme chez Rousseau. Ils tiennent au masochisme de Drieu, flagrant, et qu’il reconnaît lui-même : il parle de rêves érotiques où des femmes se tripotent entre elles ; d'après lui, ce genre de rêve est une preuve de masochisme. Tiens donc ?
    Plus nettement maso lorsqu'il se définit sévèrement comme le chantre de la force virile… en pantoufles. Certes, Drieu n’est pas un guerrier et passe le plus clair de son temps vautré dans son canapé, à lire et à méditer sur les religions, mais il a quand même fait la guerre de 14-18 vingt ans plus tôt, subi de terribles assauts aussi bravement que possible. Un autre que lui aurait pu bâtir toute une épopée à sa gloire à partir de ces quelques faits d’arme et tirer la couverture à lui. Céline, qui n’est pas aussi masochiste ne se prive pas de rappeler sa médaille et ses cicatrices d'ancien combattant pour mieux faire ressortir la lâcheté de ses détracteurs.
    Qu’on songe à BHL aujourd’hui : un petit tour dans une tranchée de Sarajevo, quelques caméras attestant sa présence là-bas ont suffi à ce paltoquet chafouin dépourvu de style et d’ambition pour se confectionner un cévé d’intellectuel résistant héritier de Malraux…

    *

    Autre épisode comique : lors d’un dîner avant guerre, l’écrivain Bernstein raille le titre du dernier roman de Drieu, L’Homme couvert de femmes. Dans son for, Drieu approuve Bernstein et reste pantois, rougissant même, honteux de ne pas trouver une répartie.
    Peu avant la déroute complète de l’armée française, Drieu croise cette fois Bernstein fortuitement dans le jardin des Tuileries. Il prend pour de l’ironie un « Courage ! » que lui lance l’autre et se rue dessus, furibard, lui flanque quelques coups de poings ; Bernstein gueule alors : « Frapper un vieillard de soixante-quatre ans ! », se défend en donnant quelques coups de pied ; et Drieu : « Rien de plus lâche que les coups de pied ! »… On imagine la scène.
    Aujourd’hui les nouveaux Bernstein ne courent plus le risque de croiser des écrivains incorrects. Le dernier pugilat que j’ai en mémoire était entre W. Volkoff et trois petites frappes sans honneur, dont Karl Zéro, sur un plateau de télé... mais c’était un traquenard. Depuis, tous ceux qui admiraient Volkoff, au moins pour son franc-parler, rêvent de croiser cet immonde Zéro dans Paris pour venger Volkoff… à la régulière.

    *

    J’éprouve comme un sentiment de fraternité pour Drieu. Ça tient surtout au fait que je suis, comme lui, un Français de souche. « J’ai reporté sur la France la défaillance de l’être en moi. Mais si je suis ainsi, la France doit être ainsi puisque je porte la France dans mes veines et que leur pulsation dit prophétiquement la santé de la France. » Paradoxalement, ça fait de nous des européistes acharnés ; le simulacre de France, désormais, toutes ces cérémonies laïques d’embaumement, puent le formol ; l’Académie française aussi pue le formol, il n'y a plus aucune sève ni aucune verdeur là-dedans.
    Le nationalisme est une idéologie de métèques pour qui la France est synonyme de IIIe République. Ça vaut aussi pour le métèque breton Le Pen. Drieu est plus charnel.

  • De Blum à Kouchner

    L’hécatombe de civils en Irak est une leçon d’histoire et de morale pour les Français et les Algériens.
    Si les Algériens pendant leur guerre de “libération” n’ont pas eu à subir très longtemps le terrorisme, c’est que l’armée française, en usant de la torture, a anéanti rapidement l’armée secrète terroriste algérienne, ce que les démocrates yankis sont incapables de faire avec les résistants irakiens.
    (La défaite française, ensuite, fut de la responsabilité des hommes politiques. Jacques Chirac aurait-il mieux résisté aux pressions internationales que De Gaulle dans les mêmes circonstances ? Ce n’est pas impossible.)

    Et Bernard Kouchner voudrait nous faire admirer le néo-colonialisme ! À jouer les matamores contre l’Iran il nous rappelle Léon Blum, les “lettres” en moins. Drieu La Rochelle est encore vif :
    « Ce qui était le plus loin de toute connaissance politique sérieuse, de toute science de l’homme dans l’action (…) appelèrent aux armes et au suprême dévouement. Les enjuponnés de la synagogue et de la loge, les braillards de congrès et de parlement poussèrent au combat ceux qu’ils avaient minutieusement désarmés depuis cinquante ans par les soins de leurs instituteurs et de leurs sorbonnards, de leurs journalistes et de leurs romanciers. » (“Journal 1939-45”)

    *

    Le point de vue yanki est compréhensible ; l’Iran ne fait peser aucune menace particulière, mais lorsque tous les états possèderont la bombe, toutes ces bombes s’annuleront, et on peut penser que la dissuasion nucléaire aura vécu.
    Il est logique que les États-Unis s’accrochent à cette dissuasion nucléaire, d’autant plus que la guerre d’Irak, déclenchée par les médias plus que par l’administration Bush, a révélé au monde entier la faiblesse de l’armée yankie, connue des seuls historiens jusque-là. Elle la leur a révélée à eux-mêmes, beaucoup plus que le 11 Septembre, qui n'est qu'un accident.

    Même si les yankis baignent dans l’idéologie libérale la plus stupide, il leur reste assez d’instinct pour se douter que leur puissance économique dépend largement de leur pouvoir politique, donc du pouvoir d’intimidation de la bombe.
    Dans la partie de poker-menteur qu’ils jouent avec l’Iran, les États-Unis peuvent compter sur un atout : ils ont fait preuve précédemment en Irak d’une stupidité politique propre à inquiéter les Iraniens.
    Si les anciennes croisades étaient pour libérer le tombeau du Christ, la “nouvelle” est plus sûrement pour protéger la valeur boursière de Microsoft & Cie.

  • Anticapitaliste primaire

    Par la fenêtre du bolide, un paysage agreste à faire oublier tout l’art contemporain. Comme dit Drieu : « Restent les beautés physiques de la France. ».
    Deux jeunes Hollandaises en vis-à-vis aussi, qui s’extirpent enfin à moitié dénudées de leurs sacs de couchage et me dévisagent avec un sourire mi-ingénu mi-affranchi, surtout celle de droite. Pourvu qu’elles se taisent encore un moment…

    Je saute sur l’occasion de ce déplacement éclair, quelques centaines de kilomètres horizontalement et quelques centaines de mètres verticalement, pour analyser mon anticapitalisme dans ce qu’il a de plus primaire, j’ose dire : de “métabolique”. Ce transfert brutal d’un point géographique à un autre, me rendra tout patraque. Je suis un être sensible. Pas au sens de Proust, quand même, qui ne peut supporter le moindre inconfort et se retrouve tout bouleversé lorsqu’il passe brusquement d’un arrondissement à un autre…

    *

    Aujourd’hui, les humains se trimballent d’un point à un autre du globe comme des paquets, cette agitation est nécessaire à la marche absurde de l’économie capitaliste. Logiquement, ceux qui résistent le mieux à ce traitement sont ceux qui, moralement, sont les plus proches du sac de voyage ou du paquet : brutes yankies inconscientes, démocrates-chrétiens gavés, athées arrogants, jet-setteurs, abonnés du Monde ou du Figaro, sportifs dopés de haut niveau, représentants de commerce, etc.
    C’est dire à quel point le boeing jeté sur Manhattan était symbolique ! (Pas le symbole que veulent voir ces crétins de Beigbeder et de Maurice Dantec, bien sûr, ces deux suppôts travestis du capitalisme, l’un en écrivain mélancolique, l’autre en mafioso nippon.)

    Un exemple précis : ce que les pédants appellent “jet lag”, l’effet du décalage horaire brutal dû à une traversée du monde en avion. Un démocrate-chrétien, il lui faudra un jour-un jour et demi pour s’en remettre, un être moyen un peu moins abstrait, trois ou quatre jours ; moi, il me faut trois semaines pour m’habituer ! Pendant trois semaines, je continue à vivre à l’heure de mon terroir, à m’endormir lorsque le jour point, à me réveiller lorsque la nuit tombe. On devine ce que ce régime a d’aliénant.
    Bien sûr, j’ai pris un cas extrême, mais n’empêche, je redoute ce changement de pression atmosphérique brutal entre Paris et la montagne ; il va me déboussoler pendant trois ou quatre jours ; je serai réglé de nouveau qu’il me faudra repartir vers la capitale ! (Je serais curieux de savoir si les cycles menstruels féminins sont perturbés par les déplacements brutaux, qu’en est-il par exemple des hôtesses de l’air, perdent-elles leur féminité à force de transports brutaux ?)
    Trois ou quatre jours de perdus, ce n’est pas rien quand on sait que la mort nous guette à chaque virage, même si le train est moins dangereux que l’automobile.

    Ça explique pourquoi il a fallu les arguments extraordinaires de mon pote pour que je consente à monter dans un horrible TGV à deux étages, à respirer cette immonde odeur de plastique, et à m’infliger ce décors bouffon de Christian Lacroix. J’espère que mon pote va m’accueillir comme l’année dernière avec une de ces brioches à la châtaigne émouvantes.

  • Ultramodernité

    N’est-il pas vain, comme je m’apprête à le faire, de verser une page de Drieu La Rochelle, tirée de son "Journal" 39-45, dans le bordel public qu’est l'internet, machine à charrier des truismes et des lieux communs à une vitesse supersonique ? Bah, on ne sait jamais : le coup de la bouteille à la mer.
    (Toi qui est tenté de lire le dernier radotage insane de Maurice Dantec sur le 11 Septembre ou d’aller mater le dernier navet cinématographique de Michel Houellebecq, laisse-ça aux "autres" et lis plutôt le Journal de Pierre Drieu La Rochelle.)

    « Sous ce régime nous n’étions pas libres. Une certaine licence, diaboliquement portée vers la morne et monotone pente du désordre sexuel, faisait un rideau devant la profonde absence de liberté morale. On ne pouvait pas dire ce que l’on voulait dans la presse ni même dans les livres. Une censure sournoise et hypocrite se faisait par le concours spontané de tous ceux qui de près ou de loin servaient le régime, en attendaient des faveurs ou même simplement la plus sordide tranquillité.
    J’ai éprouvé cela tous les jours en plus de vingt ans de vie littéraire. Un certain ton de fierté, de mise en demeure était interdit.

    (…) Et la chose incroyable fut que ces gens qui avaient organisé la médiocrité, la somnolence, la perte du sens et la démission générale, brusquement voulurent tirer de cet amas de décombres une force de guerre. Les gens qui avaient tué toutes les vertus de l’esprit et du cœur chez les Français prétendirent les redresser soudain comme des guerriers capables de force, d’adresse et de sacrifice.

    Ce qui était le plus loin de toute connaissance politique sérieuse, de toute science de l’homme dans l’action - les Juifs, les clercs rationalistes, les journalistes de loge et de café, les politicailleurs de couloir appelèrent aux armes et au suprême dévouement. Les enjuponnés de la synagogue et de la loge, les braillards de congrès et de parlement poussèrent au combat ceux qu’ils avaient minutieusement désarmés depuis cinquante ans par les soins de leurs instituteurs et de leurs sorbonnards, de leurs journalistes et de leurs romanciers.

    Les apôtres de la faiblesse et de l’abandon, de la paix bêlante s’agitèrent soudain comme bellicistes à tout crin, fauteurs de bagarre, chercheurs de querelles slovaques ou polonaises.

    Les pauvres Français à qui on avait seriné que compte seule cette vie d’ici-bas et cette peau sans doublure spirituelle et l’apéro et la pêche à la ligne furent poussés vers la frontière sans avions, sans chars, derrière une demi-portion de ligne Maginot, avec la bénédiction d’un vieux président de la République ânonnant de peur et de responsabilité rentrée, d’un immonde d’ivrogne de Président du Conseil et de tant d’autres présidents avec pipe ou sans pipe - sans oublier la bénédiction des évêques que les maçons recrutèrent pour l’occasion.
    Et que peuvent dire pour se plaindre ces paysans et ces petits-bourgeois qui ont crevé sous les piqués d’avion et sous la chenille des chars ? Rien. Les gens qui les ont poussés à la boucherie, c’étaient ces députés qu’ils étaient si fiers d’élire tous les quatre ans - cette éjaculation électorale provoquée par les plus frauduleuses masturbations démagogiques leur donnant une si haute idée de leur virilité et de leur liberté.
    Tous ces imbéciles étaient fiers d’être gouvernés par des imbéciles qui n’eussent pas plus qu’eux d’imagination et de courage, d’audace et de persévérance. Chaque citoyen de France se réjouissait dans son cœur d’être sûr de n’avoir au-dessus de lui aucun supérieur. Ainsi se réalisait journellement le vice essentiel des Français qui après l’avarice est l’envie.
    Certes ils tiraient leurs chapeaux aux présidents, aux ministres, aux sénateurs, députés, etc. mais dans le fin fond de leur cœur ils se réjouissaient de n’avoir affaire qu’à des petits voleurs et non pas à de fiers et exigeants exacteurs. Seulement ces petits voleurs deux fois en vingt ans se sont révélés de grands assassins, de grands pourvoyeurs d’abattoirs, des équarrisseurs très exacts et très épuisants.
    Le petit-bourgeois, le fils du peuple envoie à la mort quand il est ministre aussi bien et mieux que le noble et le prince. L’instituteur dans sa morgue rationaliste vous arrange un un tour de main une hécatombe d’un million d’hommes. L’orgie de sang de la IIIe République (après celle de la Ire) laisse loin derrière elle les Parcs aux Cerfs de la légende. »


    Samedi 22 juin 1940.

  • Croisade moderne

    Je n’ai pas encore terminé ma lecture du “Journal” de Drieu La Rochelle (1939-1945), mais j’en sais déjà assez pour être édifié. Ce qui frappe le lecteur contemporain au premier abord chez ce défenseur passionné de la civilisation européenne, comme d’ailleurs chez Bloy, qui défend plus précisément l’Église, y compris contre l’imbécillité de ses prêtres, c’est le sentiment de Drieu, le sentiment de Bloy, d’avoir touché le fond et de ne pouvoir descendre plus bas dans la laideur et la médiocrité capitaliste ; aspiré dans un marécage insalubre, il n’y a plus que les narines du croisé qui surnagent, il va bientôt crever d’étouffement.

    Bloy fustige Zola ou Bourget, Drieu vomit Bernstein ou Porto-Riche. Que dire soixante-dix ans plus tard, lorsqu’on est contemporain de Finkielkraut, de Littell, de Philippe Sollers ou du petit d’Ormesson ? Bourget apparaît comme un auteur génial si on le compare à Jean d’Ormesson.
    On est submergé par la honte désormais. Drieu s’est-il trompé, ou bien la civilisation agonise-t-elle lentement, comme le héros d’une tragédie de Corneille ?

    *

    Pour la très synthétique Simone Weil, plusieurs événements tragiques, la deuxième guerre mondiale en est un, forcément, aux yeux de Drieu, plusieurs événements tragiques se succèderont, qui pourrront faire croire que la bascule est imminente, avant que cette bascule ne soit effective. Il est raisonnable de penser que, comme l’URSS s’est effondrée seule ou presque, comme un château de cartes, l’oligarchie internationale capitaliste, beaucoup plus solidement fondée que la dictature soviétique, sur une base sociale plus ancienne et cohérente, cette oligarchie s’effondrera aussi d’elle-même, victime de ses propres turpitudes.
    Les États-Unis ont vaincu grâce à la supériorité de leur économie, protégée par la bombe A (c’est un aspect important, quand on constate la nullité de l’armée yankie - les Yankis ont une dette énorme vis-à-vis de l'ingénieur von Braun et du général Mac Arthur) ; les États-Unis seront probablement vaincus par une défaillance de leur système économique ou du bouclier nucléaire.
    Pour Drieu, les civilisations durent mille ans : 900-1900. J’avoue que j’ai des lacunes sur l’an 900 ; ce que je sais mieux, c’est qu’à partir de 1900, voire un peu avant, les artistes ont commencé à être maudits, spécialement les peintres, supérieurs aux écrivains, notamment parce qu’ils ont joué un rôle plus grand dans la civilisation. Drieu aurait aimé être peintre.

  • Drieu et moi

    À la bibliothèque, je tombe sur le Journal de Drieu La Rochelle (1939-45). Sur la page de titre intérieure, un "résistant" a rajouté au stylo bille après “Journal” : “…D'UN TRAÎTRE !” - pour prouver que l’esprit de résistance n'est pas mort en France.
    Ça me décide à louer Drieu. J’avais reporté jusqu’ici cette lecture, estimant que j'avais trop de choses en commun avec cet écrivain, notamment le fait d'être et de me sentir “Français de souche”, comme lui. Disons que Drieu n’était pas une priorité, ma curiosité me pousse plutôt en effet vers des écrivains au tempérament sensiblement différent du mien comme Chardonne, Diderot, Waugh, Céline, Marx, Simone Weil…
    Ça ne fait rien, je m’amuserai avec le “Journal” de Drieu au jeu des sept différences.

    *


    L’avertissement de Pierre Nora confirme ce que je pensais de ce type, à savoir que ce n’est pas la moitié d’un hypocrite ! Il défend la liberté d’expression en justifiant le lynchage des historiens révisionnistes, il publie Drieu “pour qu’on puisse mieux le juger”, tout en le condamnant dès la préface. On peut penser : « Mais au moins il le publie… » ; je ne crois pas à cette ruse ; s’il y a ruse de la part de P. Nora, c’est pour mieux se mettre, lui, en avant, et prendre une pose “voltairienne”, ce qu’il n’est pas ; pas plus que Voltaire, d'ailleurs.
    Pauvre Drieu, il aurait été furieux qu’on lui impose un tel “préfacier”. Mais on ne se suicide qu’une fois.

    Le mot “couverture” prend ici tout son double sens puisque l'éditeur a choisi une photo qui montre Drieu en compagnie de Brasillach et de deux officiers allemands.

    PS : Je ferme momentanément ma “boîte à messages”, n’ayant pas ces jours-ci le temps de répondre un petit mot gentil à chacun, comme d’habitude, ou presque. Surcroît de travail : je prépare avec un pote un "calendrier réactionnaire" illustré pour 2008.

  • Explorations

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    Depuis Mort à Crédit, il y a quelques mois, je n’ai pas lu un seul roman : la peur d’être déçu, de trouver tous les plats un peu fade en comparaison.
    Dans la réédition en "poche" du Gilles de Drieu La Rochelle, je n’ai pas dépassé la préface. Contre le reproche qui lui est fait de trop se préoccuper de politique, Drieu se défend en mettant au défi de trouver un grand auteur qui se désintéresse de la chose politique.

    Cet avis aussi - je le partage -, que la France est un pays de peintres, d’observateurs attentifs ; pas étonnant qu’elle attire autant les iconoclastes (Mais d’être d’accord avec Drieu ne me donne pas envie de lire un des ses romans pour autant.)

    Je vois qu’on publie un volume du journal intime de Matzneff. J’ignore tout ou presque de la production de Matzneff, comme de celle de Drieu. Je lis quelques pages. La pédophilie ne m’intéresse pas, c’est une fiction juridique, comment peut-on fonder une littérature là-dessus ? Il faut être bien persuadé de la permanence des conventions humaines… C’est le désir sexuel pour les personnes âgées qui est plus rare et susciterait plutôt ma curiosité.
    À plusieurs reprises Matzneff décrit ses rapports sexuels avec ses lycénnes chéries de cette façon à peu près : “Nous avons fait l’amour, c’était fantastique !” Une telle idéalisation du coït, ça fait un peu sourire, quand même. On dirait que Matzneff a quinze ans lorsqu’il écrit des choses pareilles. Est-ce qu’il le fait exprès ? Est-ce qu’il n’a pas peur tout d’un coup de se transformer en adulte ?
    Ce n’est pas là-dedans non plus que je ferai mon miel ; probablement faut-il être soi-même lycéenne pour goûter cette littérature pleinement et je ne me sens pas l’âme d’une lycéenne aujourd’hui… Je prends donc finalement la résolution d’achever la petite biographie de saint Augustin par Lucien Jerphagnon.