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athée

  • Queue de l'Athéisme

    Depuis une cinquantaine d'années, voire un peu plus, l'athéisme est entré dans une phase religieuse extrêmement inquiétante, qui d'après moi correspond à l'avènement du cinéma et de la culture de masse, c'est-à-dire d'un moyen de sidération massif au service de la bourgeoisie libérale.

    La culture de masse est une raison d'estimer la démocratie libérale ou chrétienne comme un régime plus totalitaire encore que le nazisme ou le communisme soviétique, à l'inverse de ce que certains universitaires spécialisés dans le blanchiment prétendent. La gabegie économique des élites libérales n'est rien à côté de leur gabegie morale. Bien entendu le dérèglement économique n'est que la conséquence de cette dernière. "Marx s'est trompé, le capitalisme lui survit", entend-on répéter des spécialistes autoproclamés de l'économie, c'est-à-dire du néant. Cela revient à déclarer vivace un vieillard en proie à la maladie d'Alzheimer. Tous ces économistes chargés de "missions de réforme" sont aussi ridicules que les médecins de Molière. On a atteint le point, en politique comme en art, où l'aliénation préside à la vocation politique. Cela a toujours été le cas, diront certains, attentifs à la philosophie et sa remarque ancienne selon laquelle les hommes politiques agissent toujours avec une certaine dose d'inconscience. Cela a toujours été le cas, mais autrefois les politiciens ne prêtaient guère l'oreille aux discours confus de leurs médecins.

    Par "phase religieuse" athée, je veux parler d'un athéisme culturel entièrement dépourvu de la dimension critique qui détermina la pensée athée au cours des siècles précédents. La plupart des athées aujourd'hui, à l'inverse de Diderot, d'Holbach, ou encore Feuerbach et Nietzsche plus récemment, s'opposent à un christianisme dont ils ignorent à peu près tout. La volonté de purification de la foi que Simone Weil discerne chez certains athées, c'est-à-dire un mouvement athée plus spirituel que le mouvement religieux, a pratiquement disparu aujourd'hui.

    Ce état actuel de l'athéisme est inquiétant à double titre. Des pans entiers de la culture occidentale sont occultés, c'est-à-dire aperçus presque exclusivement sous l'angle esthétique. L'université moderne mérite les mêmes sarcasmes que ceux adressés par les humanistes de la Renaissance à la culture médiévale. Exprimant des convictions, voire une intuition athée, le citoyen laïc moderne ne s'aperçoit pas que, loin d'hériter de l'esprit critique de l'humanisme ou des Lumières, il prolonge l'ancienne bigoterie dont il se croit émancipé. Il se rend au bureau de vote pour voter, sans se poser plus de question qu'un dévot sur le rituel auquel il assiste.

    Le danger de cet athéisme, nettement dominant dans la société civile, et d'ailleurs complémentaire de la démocratie-chrétienne (de nombreux laïcs français présentent la théocratie américaine comme un modèle du genre "avenir", et sociologiquement ce sont à peu près les mêmes qui vantaient naguère l'URSS officiellement athée) est comparable au danger de la technique confondue avec la science. Le confort de l'esprit est synonyme de fanatisme, et il s'appuie dans cette mouture athée ultime sur la position dominante scolastique et la négation de l'esprit critique. De façon frappante, cette arrogance athée, équivalente de l'arrogance cléricale du XVIIe siècle, est le fait principalement des élites intellectuelles. Elle est d'ailleurs dirigée, non pas tant contre le christianisme que contre tout ce qui n'est pas moderne, en termes de culture. Dans le reste de la population, l'ignorance est à peu près la même, entretenue par l'institution scolaire et sa manie du calcul mental, mais l'arrogance est bien moindre, le dialogue possible.

    Un dernier chapitre sur Michel Onfray, qui s'adresse à des milieux populaires et à qui sa contestation de certaines doctrines officielles a valu les foudres du haut clergé. Malgré un effort critique, Michel Onfray reste assez confus (Diderot l'était aussi), passant de l'apologie de Nitche à celle de Proudhon, presque à l'opposé. Il a fallu également beaucoup de temps à cet érudit populiste pour comprendre que le psychanalyste joue aujourd'hui le même rôle social que le curé jouait autrefois, et que d'une certaine façon les dernier prêtres catholiques romains sont bien plus liés à la psychanalyse qu'à la lettre et à l'esprit de l'évangile. Proposer comme il le fait de substituer une psychologie nitchéenne à la psychologie freudienne revient pratiquement à faire l'éloge du catholicisme romain contre le protestantisme, ou du moins d'une religion plus concrète que la pure rhétorique chère aux Allemands. On pourrait aussi imaginer des thérapeutes nitchéens pour les hommes, et des thérapeutes freudiens pour les femmes ; quoi qu'il en soit, c'est une critique d'une portée très limitée, un amendement venu du bas-clergé à la ligne culturelle définie par les quelques évêques qui disent aux Français ce qu'ils doivent croire.

     

  • Shakespeare athée

    Le "Shakespeare sauvage" de Voltaire a un sens, puisque Shakespeare est en effet le plus antisocial des tragédiens. Si Shakespeare n'a pas pris une ride, et que chacun de ses aphorismes continue de déchirer le voile social, c'est pour la raison soulignée par le christ Hamlet que la société est déterminée par un principe macabre. Chaque citoyen persuadé du bien-fondé de la société a le front marqué d'une croix par Shakespeare, c'est-à-dire du symbole de la bêtise et de la torture sociale.

    Le "Shakespeare païen" de Claudel est d'un illuminé incapable de reconnaître que l'art de l'architecte Gaudi est le plus démoniaque que l'on puisse faire.

    Le "Shakespeare athée" traduit la volonté d'universitaires ignares de faire de Shakespeare un auteur moderne, c'est-à-dire le plus éloigné de son propos apocalyptique, celui-là même qui soutenait déjà la tragédie antique. Cela ressemble beaucoup au mouvement de propagande débile et scandaleux du clergé catholique qui consista autrefois à "christianiser" les institutions païennes, poursuivant ainsi le mobile le plus éloigné du message évangélique.

    L'université moderne est la fille cachée de l'Eglise catholique romaine : c'est ce qui explique que les tragédies de Shakespeare persistent à demeurer énigmatiques à ses yeux, notamment l'élucidation la plus efficace par Shakespeare de la subversion du christianisme par les institutions ecclésiastiques.

    Même le comique de Shakespeare est incompréhensible pour l'universitaire moderne. Francis Bacon, alias Shakespeare, a en effet conscience de la plus grande rationalité des civilisations antiques, comparées à la civilisation occidentale moderne, dont la bêtise se traduit concrètement par l'impuissance à atteindre l'équilibre politique auquel le monde antique était parvenu. La géométrie de Platon ou Pythagore est un art plus grand que celui des Allemands Descartes ou Einstein, manifestement.

    Le monde moderne, en faisant de la science une divinité, a rabaissé la science au niveau des moyens techniques, dont le monde antique païen savait mieux faire l'économie ; elle l'a rabaissée au niveau de la "culture scientifique", dont la détermination religieuse saute aux yeux. Typique de l'imbécillité scientifique moderne, le pseudo-savant Karl Popper, quand il assigne à la science un but de recherche et non d'élucidation. C'est la plus funeste et la plus totalitaire orientation que l'on peut donner à la science. Elle légitime l'appropriation par les élites de la science et de l'art, tout en posant le principe de l'irresponsabilité des élites. Au procès insane de Nuremberg, ce sont les élites occidentales et la science polytechnique que l'on aurait dû attraire, non pas quelques badernes et fonctionnaires dont ce n'était pas le métier de penser. La bêtise humaine est toujours systématiquement acquittée par la justice humaine.

    Rabelais et Bacon affirment au contraire que la conscience peut venir seulement au savant, et donc la responsabilité, de ce qu'il poursuit un but d'élucidation, et non seulement la recherche de nouveaux moyens. L'usage moderne de la science est celui d'un garde-fou : mais comme celui-ci ne soigne pas la folie, se contentant de lui fournir des dérivatifs, c'est un barrage précaire. Instrumentaliser le peuple à l'aide de la science est pour les élites la garantie que le peuple se retournera un jour contre elles, dès lors que les dérivatifs feront défaut.

    Le comique de Shakespeare s'appuie sur l'absurdité et la pataphysique de la conscience moderne ; le comique de Shakespeare ne vise pas le divertissement, mais au contraire l'avertissement.